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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Camille SIRGI

Mieux vaut peut-être un passeport libanais

Tout au long de ma vie privée et professionnelle, j'ai eu l'occasion de voyager souvent. Ayant la grande chance d'avoir un passeport européen depuis 1989, je n'ai plus eu besoin du passeport libanais depuis lors, au grand dam de certains de mes compatriotes. Dernièrement, j'ai dû faire quelques voyages en Égypte et je vais devoir le faire souvent dans les prochaines années. Le visa pour les Européens est payant tout comme pour les Libanais d'ailleurs, sauf pour ceux qui, malheureusement, comme moi, ont dépassé la cinquantaine. Je me suis donc dit qu'il valait mieux faire un nouveau passeport libanais, après tout il va me faire faire des économies. Chose rare dans un pays où, quand on ne paie pas deux fois le prix, on paie le double. Attention, ce n'est pas la même chose. Dans le premier cas, la facture est suivie d'un complément comme pour l'électricité et le moteur, alors que dans le deuxième la facture est salée, comme pour les téléphones portables ou l'Internet.
Surviennent alors, coup sur coup et par la malheureuse loi des séries, les tragédies de l'avion de la Malaysian Airlines, abattu à la frontière russo-ukrainienne, puis celle de l'avion taïwanais pris dans une tourmente climatique, et enfin celle du vol d'Air Algérie qui s'est écrasé dans le désert malien.Je suppose, en écrivant ces lignes, que beaucoup d'entre vous ont, comme moi, suivi les images du rapatriement des corps des victimes hollandaises (corps retrouvés malgré le fait que cet avion a été touché de plein fouet par un missile russe sol-air). Et que, comme moi, vous avez noté et admiré le respect, la considération, la dignité, la décence, la réserve, la tenue, l'élégance, l'admiration, la déférence, l'estime, l'humilité, la piété, la révérence, le lyrisme, la solennité, la majesté et la chaleur (j'en épuise mon vocabulaire) avec lesquelles ce peuple a reçu les dépouilles mortelles de ses compatriotes disparus. Après une cérémonie d'hommage aux victimes et pendant que tous les drapeaux étaient en berne et que le pays observait une minute de silence, chaque cercueil était porté par huit militaires néerlandais marchant au pas et déposant délicatement les cercueils dans des corbillards presque tous identiques. Le cortège funèbre interminable de voitures noires, une pour chaque disparu, a ensuite emprunté la voie centrale de l'autoroute menant vers Hilversum pendant que de l'autre côté de la berne centrale, les voitures et les camions s'arrêtaient par respect pour leurs feus compatriotes. Sur les ponts, les gens amassés lançaient des fleurs que deux voitures utilitaires, en fin de convoi, prenaient la peine de ramasser pour les rassembler au pied de l'église d'Hilversum où une cérémonie se tenait en parallèle.
Je suis resté ému et ébahi par cette civilité.
Quelques jours plus tard, l'avion d'Air Algérie s'écrase au Mali. Cent dix-huit personnes sont mortes, dont cinquante-quatre Français et dix-neuf Libanais pour lesquelles je présente mes plus sincères condoléances aux familles.
En France (641 185 kilomètres carrés et 66 600 000 habitants), les drapeaux ont été mis en berne pendant trois jours. Une décision que François Hollande a prise après trois heures de réunion de crise. Il a aussi rencontré les proches des victimes et leur a promis de rapatrier tous les corps et de transporter les familles qui le désirent sur place, le moment venu.
Au Liban (10 452 kilomètres carrés et une population estimée à 4 125 247 habitants), le Premier ministre, M. Tammam Salam, a téléphoné à... Nabih Berry pour lui présenter ses condoléances. Le ministre de l'Intérieur, M. Nouhad Machnouk, a envoyé les responsables des mohafazats concernés auprès des proches des victimes. Quant au ministre des Affaires étrangères, M. Gebran Bassil, il a trouvé, lui, qu'il était suffisant d'envoyer le chargé d'affaires libanais à... Abidjan, en Côte d'Ivoire. D'un autre côté, une seule malheureuse et petite journée de deuil sera décrétée à l'arrivée des dépouilles mortelles.
Pour les victimes françaises, l'équipe dite ante mortem de la gendarmerie effectuera elle-même le contact avec chacune des familles pour savoir quels étaient les signes distinctifs de leurs proches disparus et qui étaient les dentistes qui les prenaient en charge. En dernier recours, cette équipe s'occupera du prélèvement biologique de l'ADN en cas d'impossibilité d'identification. Des psychiatres et des psychologues assisteront les familles frappées par cette tragédie.
Pour les Libanais, et en référence aux témoignages des proches des victimes, personne ne les avait contactés les premiers jours. M. Fayez Daher, père et mari foudroyé par la disparition de sa famille, ne sait pas comment faire pour prélever l'ADN et livrer l'échantillon aux autorités libanaises, tandis que M. Mohammad Daher, frère d'une victime, a dû lui-même contacter M. Haitham Joumaa, (directeur général du département des émigrés aux AE) et assurer les liaisons nécessaires. M. Michel Skaff, qui lui non plus n'a pas reçu d'appel des autorités libanaises, remercie le président... du Burkina Faso, Blaise Compaoré, qui les a reçus au palais présidentiel pour leur présenter ses condoléances et les éclairer sur la situation.
Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que j'espère que le pouvoir décisionnel libanais, ou ce qui en reste, se réveillera vite de son inertie et assurera un rapatriement et une cérémonie honorable aux victimes, à défaut de leur avoir assuré une vie digne et convenable dans leur pays.
Pour tout cela j'utiliserai de nouveau mon passeport étranger pour voyager, car je préfère de loin mourir belge, hollandais ou français plutôt que libanais.

Dr Camille SIRGI

Tout au long de ma vie privée et professionnelle, j'ai eu l'occasion de voyager souvent. Ayant la grande chance d'avoir un passeport européen depuis 1989, je n'ai plus eu besoin du passeport libanais depuis lors, au grand dam de certains de mes compatriotes. Dernièrement, j'ai dû faire quelques voyages en Égypte et je vais devoir le faire souvent dans les prochaines années. Le visa pour les...
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