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À La Une - Liban

Voitures au diesel et au gaz : doit-on les autoriser au Liban en l’absence de tout contrôle ?

Les commissions parlementaires conjointes devraient discuter demain du projet de loi controversé du ministère de l’Énergie sur l’autorisation du diesel et du gaz pour les voitures individuelles.

Le projet de loi qui crée la polémique s’intitule « autorisation d’importer des véhicules fonctionnant au gaz naturel et au diesel (mazout vert) ». Il est proposé par le ministère de l’Énergie et a été adopté en Conseil des ministres le 28 mars 2012. Ce texte interdit toutefois « l’importation de véhicules âgés de plus de quatre ans ». Les véhicules usagés de moins de quatre ans doivent « être conformes aux normes européennes en vigueur, qui sont continuellement mises à jour ». Ces véhicules, s’ils doivent être utilisés comme taxis, seraient « exemptés de taxes », selon le même texte. Plus important, il sera possible, selon ce projet de loi, de transformer des véhicules à essence pour qu’ils puissent fonctionner au gaz et à l’essence, et cette transformation pourrait avoir lieu au Liban « dans les garages spécialisés et ayant obtenu un permis octroyé par l’Institut de recherches industrielles (IRI) du ministère de l’Industrie ».


Enfin, le texte précise que des décrets d’application devraient être adoptés en Conseil des ministres pour trancher certaines questions spécifiques comme les normes de sécurité, l’adaptation du contrôle mécanique à l’examen de la conformité aux normes environnementales... Pour ce qui est des raisons qui ont poussé le ministère à prendre cette mesure, une annexe au texte parle, en substance, « de donner au consommateur une alternative moins chère et moins polluante que l’essence ».


Ce projet de loi pose plus d’un point d’interrogation qui ne manquent pas de révolter ses détracteurs, dont certains emploient des expressions comme « catastrophe en puissance » ou « suicide » pour le qualifier.
« Suicide » est en tout cas le mot choisi par Mohammad Kabbani, président de la commission parlementaire de l’Énergie, qui sera présent à la réunion des commissions mixtes et compte bien faire entendre sa voix. « Il est vrai que je fais partie des députés qui ont présenté une proposition de loi pour réintroduire le diesel, mais c’était pour une catégorie spécifique de véhicules, celle des minibus de 16 à 24 places, dit-il. Nous voulions ainsi remédier à une injustice sociale qui avait été perpétrée contre ces chauffeurs il y a quelques années. Mais le projet de loi du ministère va bien au-delà. »


Selon le député, le gaz dans les voitures pose un problème de sécurité, et le diesel un risque pour la santé. « Les explosions de gaz sont très dangereuses, insiste-t-il. Le moindre de ces accidents a la capacité de détruire deux kilomètres carrés. Or existe-t-il deux kilomètres carrés inhabités au Liban ? C’est un suicide, et l’autorisation de transformation des véhicules au Liban en est un autre, encore plus grand. Nous n’avons pas les experts nécessaires ici, et il sera impossible de contrôler tous ceux qui voudront bien s’adonner à cet exercice. »


D’un point de vue environnemental, le gaz naturel est sans nul doute plus propre que tous les autres carburants fossiles, explique Farid Chaaban, professeur à l’AUB, expert en pollution de l’air. Auteur d’une étude sur la question, il n’écarte pas pour autant les nombreux risques sur la sécurité. « Pour qu’un véhicule au gaz soit sûr, il doit être doté de cinq niveaux de sécurité : des installations contre les fuites, contre les chocs, contre la température élevée, contre les incendies, ainsi qu’une bonbonne spéciale très différente de celle utilisée dans les maisons, dit-il. Est-ce que tout cela va être respecté dans les transformations faites au Liban ? »


Pour sa part, un expert en automobile qui a requis l’anonymat se dit inquiet « des transformations à la libanaise qui pourraient avoir lieu ». « Et si certains mécaniciens se suffisaient de placer une bonbonne de gaz domestique dans la voiture ? se demande-t-il. De plus, il faudra que même les garages les plus sophistiqués s’adaptent à cette nouvelle réalité. Enfin, les voitures ainsi transformées, si elles sont acquises auprès des concessionnaires, perdront leur garantie. »


Michel-Ange Medlej, conseiller du ministre de l’Énergie Gebran Bassil, balaie ces arguments. Pour lui, « la technologie du gaz est la plus sûre de toutes ». « D’une part, pour s’enflammer, le gaz naturel doit se trouver à une concentration volumique de 5 à 15 % dans l’air, beaucoup moins que l’essence qui n’a besoin que de 1 %, dit-il. D’autre part, la technologie est dotée de non moins de six valves de sécurité qui empêchent les fuites. Le risque est donc quasiment nul. »


Sur le manque de contrôle contre les futures « transformations à la libanaise », M. Medlej fait remarquer que « des mécaniciens du coin en font déjà aujourd’hui ». « Je suis sûr qu’ils ne sont pas heureux de ce risque qu’ils font peser sur eux et sur les autres, mais il le font dans la volonté de faire des économies, poursuit-il. Ils ne devront pas nécessairement acheter un véhicule neuf. Nous leur proposerons une formule à prix raisonnable et très sûre : un des décrets d’application qui suivront la loi définira quelles institutions seront autorisées à effectuer les transformations et à installer des kits entiers dans des voitures conçues à la base pour fonctionner à l’essence. »

 


Émanations « cancérigènes » selon l’OMS
Autre problème lié au diesel : le risque sur la santé. Longtemps réputé moins polluant que l’essence car dégageant moins de monoxyde de carbone (CO), le diesel est aujourd’hui vu comme une source principale d’un autre polluant, les petites particules. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi que les petites particules sont cancérigènes, souligne Farid Chaaban. Des études récentes ont montré que le diesel, même avec les normes les plus strictes et toutes les précautions envisageables, reste responsable d’émanations de petites particules, notamment l’oxyde d’azote (NOX), qui sont très dangereuses parce que leur petite taille leur donne la possibilité de se nicher profondément dans les poumons sans en ressortir par la respiration. Elles causent et aggravent toutes sortes de maladies respiratoires. Une étude que j’ai menée avec deux autres experts (les Dr Nuwayhid et Djoundourian) a montré que dix milligrammes de particules de plus par mètre carré sont susceptibles d’augmenter de 1 % le taux de mortalité, de 3 000 le nombre d’admissions à l’hôpital par an... et coûtent à l’État environ 10 millions de dollars en plus. Ces chiffres ont été repris par la Banque mondiale. Que serait-ce si l’augmentation du taux de polluants est encore plus substantielle ? »


De plus, selon lui, la voiture doit nécessairement être dotée d’un filtre à particules pour en minimiser les émanations. « Mais ce filtre doit être changé chaque année, sinon il se bouche et réduit la puissance de la voiture, tout en devenant incapable de jouer son rôle premier, dit-il. Beaucoup pourraient être tentés de le supprimer simplement, ce qui équivaudrait à une catastrophe. Qui va contrôler tout cela ?
Les tests mécaniques sont-ils adaptés à de tels examens approfondis ? »


L’expert met le doigt sur un autre problème qui pourrait surgir : la qualité du diesel lui-même. « Sera-t-on capable, comme le dit le ministère, de nous assurer que le diesel importé est conforme aux normes européennes ou se retrouvera-t-on face à la commercialisation d’un mauvais mazout, une fois encore, ce qui rendra l’air irrespirable comme c’était le cas avant l’interdiction du mazout pour les petites voitures en 2001 ? » s’insurge-t-il.
Notons d’ailleurs que le projet de loi parle de « diesel » (mazout vert). « Ce terme de “mazout vert” est très vague et peut cacher n’importe quoi », souligne Farid Chaaban.


Interrogé sur toutes ces questions, Michel-Ange Medlej insiste sur le fait que « le filtre à particules permet de réduire les émissions au minimum, à des taux acceptables ». « D’ailleurs, en parlant d’émissions, notons que les émissions de l’essence sont déjà un problème immense, dit-il. Nous sommes au contraire en train de promouvoir des technologies moins polluantes. »


Pour ce qui est des normes pour le carburant lui-même, il explique pourquoi des spécifications n’ont pas été données dans le texte de loi. « Nous n’avons pas voulu commettre les mêmes erreurs que nous constatons dans d’autres lois où les normes et les spécifications sont incluses, explique-t-il. Cela rend leur réactualisation très difficile, alors que dans la formule pour laquelle nous avons opté, tout se règle par des décrets d’application. » En bref, il affirme que des normes libanaises devront être définies avec Libnor, afin de s’assurer qu’elles seront adaptées à la réalité libanaise, mais soutient qu’elles seront toujours en phase avec les dernières normes en vigueur en Europe (celles-ci étant régulièrement réactualisées).

 


Peut-on faire confiance au contrôle de l’État ?
Reste la question centrale qui traverse en filigrane tous les arguments des détracteurs du projet de loi : celle du contrôle pratiquement inexistant au Liban. Rappelons que même une loi aussi banale que l’interdiction de fumer dans les lieux publics n’a pu être appliquée par les autorités. Que serait-ce alors quand il s’agit d’une loi aussi complexe que celle de l’introduction de nouvelles technologies dans le secteur automobile ?


Habib Maalouf, environnementaliste et journaliste au quotidien as-Safir, se souvient de la lutte menée à la fin des années 90 et au début des années 2000 pour faire interdire le mazout (ce qui s’est réalisé par la loi 341) qui, en ce temps-là, suffoquait les citadins. « Rien n’est-il jamais abandonné dans ce pays ? s’exclame-t-il. Alors que le Liban se trouve sans gouvernement, que des élections législatives n’ont même pas pu être organisées à temps, qu’aucune loi n’est appliquée correctement, n’y a-t-il rien de plus urgent que de réintroduire le mazout ?
Nous allons vers une catastrophe assurée. »


Mohammad Kabbani, qui entend bien mener un combat contre ce projet de loi, se demande pourquoi, au lieu de privilégier le diesel aujourd’hui critiqué en Europe pour son danger sur la santé, ne se dirige-t-on pas vers les véhicules hybrides ou électriques. « J’ai moi-même demandé au ministère de l’Intérieur s’il avait les moyens de contrôler la qualité du diesel et les normes de sécurité des voitures et des stations à gaz, on m’a répondu qu’il n’en a pas les moyens », assure-t-il.


Michel-Ange Medlej ne nie pas les lacunes dans le système de contrôle au Liban. « Mais allons-nous continuer à freiner l’introduction de nouvelles technologies au Liban à cause de cela ? se demande-t-il. Pourquoi ne pas améliorer les mécanismes de contrôle tout simplement, et donner aux institutions responsables de cela les moyens qui leur manquent ? D’ailleurs, puisqu’on se plaint du manque de contrôle, c’est l’essence qui devrait alors nous inquiéter au plus haut point ! » Il affirme qu’il va s’efforcer, demain, de convaincre les membres des commissions mixtes des « arguments scientifiques » qui ont poussé le ministère à faire ces choix.


L’issue de la réunion de demain est incertaine, sachant que le projet, même s’il est adopté en commissions, devra encore passer le cap de l’Assemblée nationale. Quoi qu’il en soit, la polémique bat son plein. Mohammad Kabbani s’interroge sur « le timing » de ce projet, démentant vigoureusement « être la voix du lobby du pétrole, comme on m’accuse ». Michel-Ange Medlej parle de « campagne politique », sans donner davantage de précisions. Et la santé du citoyen dans tout ça, la qualité de l’air qu’il respire ?

 

 

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