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À La Une - Eclairage

Snowden, cette épine dans le pied de Poutine...

Les révélations de l’analyste réfugié à Moscou sur la surveillance américaine des internautes et d’entités diplomatiques alliées a causé une minicrise diplomatique internationale. Deux analystes se penchent pour « L’Orient-Le Jour » sur les conséquences possibles de ce qui ressemble de plus en plus à un thriller politique.

Sarah Harrison de WikiLeaks (à gauche), et Edward Snowden ont rencontré des défenseurs des droits de l’homme, avocats et hommes politiques proches du pouvoir à l’aéroport de Moscou-Cheremetievo. Handout/Reuters

Héros ou traître ? La question a été posée et reposée, sans que l’on ait encore de réponse, depuis qu’a éclaté l’affaire Snowden il y a quelques semaines. L’affaire Snowden du nom d’Edward Snowden, l’informaticien américain qui a révélé au monde par l’intermédiaire du Guardian et du Washington Post des informations classées top secret de la toute-puissante National Security Agency (NSA) et son système d’espionnage, notamment à travers le programme de surveillance Prism qui aurait permis au FBI et à la NSA de surveiller les internautes. D’abord réfugié fin mai à Hong Kong, l’informaticien prend un mois plus tard un vol pour Moscou ; et depuis trois semaines, il « réside » dans la zone de transit de l’aéroport Cheremetievo. Entre-temps, de nouvelles informations sont venues s’ajouter à celles déjà connues du public, mais celles-ci sont autrement plus dangereuses. En effet, d’après les révélations de Snowden, les États-Unis espionnent non seulement les citoyens américains, mais également des instances diplomatiques internationales... Ainsi, le Royaume-Uni aurait mené une large opération d’espionnage des communications des participants au G20 en 2009. Fin juin, c’est le journal allemand Der Spiegel qui se charge de démontrer que la NSA espionne plusieurs bureaux de l’Union européenne : les représentations diplomatiques à Washington et aux Nations unies, mais aussi le Conseil européen à Bruxelles, et les ambassades de France, d’Italie, de Grèce, du Japon, du Mexique, de la Corée du Sud, de l’Inde, de la Turquie...


Ces révélations ont fait l’effet d’une bombe, même si, quelque part, ceux qui ont un peu trop regardé de films hollywoodiens peuvent affirmer que tout cela n’est en fin de compte pas très surprenant, et que cette affaire a fait le bonheur de tous les adeptes des conspiracy theories. Entre-temps, l’ex-employé de la NSA a demandé l’asile à 21 pays... qui ont tous refusé. Et début juillet, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, et la France ferment brutalement leur espace aérien à l’avion du président de Bolivie Evo Morales, qui revenait d’une conférence à Moscou : on répétait partout que M. Snowden se trouvait à bord. M. Morales sera même retenu 13 heures à Vienne, provoquant une crise diplomatique et l’indignation de nombreux pays d’Amérique latine qui crient à l’« agression » et à la « mise en danger » du chef de l’État bolivien.


Vendredi dernier, lors d’une rencontre avec des avocats et des défenseurs des droits de l’homme à Moscou, Edward Snowden a demandé l’asile politique temporaire à la Russie. Trois pays d’Amérique latine s’étaient pourtant dit prêts à l’accueillir, mais Snowden invoque l’impossibilité de rejoindre ces pays, n’ayant tout simplement plus de passeport pour pouvoir se déplacer hors de Russie, le sien ayant été invalidé par les autorités américaines.

 


Acte et ampleur
L’on pourrait alors se demander pourquoi cette affaire a pris tant d’importance car, au final, l’espionnage a de tout temps existé entre nations, d’autant plus que l’opinion publique, selon un sondage effectué dans les premiers temps de l’affaire, était majoritairement pour les programmes de collecte de renseignements de la NSA (pour le bien public ?...), mais aussi contre la poursuite de Snowden pour ses révélations. Nicholas Dungan, chercheur à l’Atlantic Council et conseiller à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), estime qu’il ne « s’agit pas seulement de l’acte, mais de l’ampleur. Nous acceptons que des gouvernements surveillent les activités d’autres gouvernements, mais en l’occurrence, c’est la capacité de surveillance de tout le monde qui gêne ». De son côté, Laurence Nardon, responsable du programme États-Unis à l’Institut français des relations internationales (IFRI), nuance quelque peu les réactions internationales et de l’opinion publique : « C’est une affaire en plusieurs phases. Au début, il n’y avait pas de nouveautés et oui, il y a toujours eu de l’espionnage entre différents États. Mais il y a eu un changement. Au fur et à mesure que de nouvelles informations arrivaient, au compte-gouttes, elles se sont avérées de plus en plus dangereuses au niveau de la sécurité nationale notamment, et mettent en jeu la réputation du président (Barack) Obama, même si la popularité de Snowden reste grande. » Et plus l’étendue de la surveillance de la NSA paraît importante, plus la nature de l’agence paraît inquiétante aux yeux d’un public qui finit par réaliser la vulnérabilité d’une vie privée de plus en plus exposée, et par se demander qui contrôle quoi, en termes de technologies chaque jour plus développées.

 


Contrôle de la société civile
En attendant, le justicier des temps modernes à lunettes et disques durs est toujours bloqué à Moscou, pour qui il représente un problème épineux. Sans accord d’extradition avec les États-Unis, la Russie ne peut renvoyer dans son pays Edward Snowden, qui se trouve d’ailleurs dans la zone libre de l’aéroport moscovite. Toutefois, il n’est pas certain que Vladimir Poutine accepte la demande d’asile, même temporaire, du jeune analyste. En effet, cette affaire ne pourrait que lui causer du tort, dans la mesure où les relations russo-américaines sont loin d’être idylliques.
À l’arrivée d’Obama au pouvoir en 2008, plusieurs tentatives de rapprochement avaient été effectuées, via notamment le projet Start (Strategic Arms Reduction Treaty, ou Traité de réduction des armes stratégiques). Mais certaines affaires ont par la suite empoisonné les relations entre les deux puissances, comme le dossier Magnitski ou encore la position russe dans la crise syrienne. L’affaire Snowden ne pourrait donc que compliquer encore plus des rapports déjà exécrables entre les deux pays. En outre, comme le souligne Mme Nardon, l’informaticien représenterait également un problème significatif pour la Russie sur le plan intérieur. Depuis la réélection de Poutine en 2012, un mouvement de contestation sans précédent a pris forme pour dénoncer répression, corruption, ou encore absence de liberté d’expression. Snowden, de par ses révélations accusatrices sur le gouvernement américain, symbolise justement cette opposition muselée. « (Pour Poutine), accueillir Snowden, c’est totalement contraire à sa tentative de contrôle de la société civile », estime la spécialiste.


En ce qui concerne l’Amérique latine, qui a toujours eu une « rhétorique agressive envers les États-Unis », rappelle Laurence Nardon, elle est « un peu un non-sujet » pour ces derniers. En revanche, l’Union européenne, elle, se retrouve dans une position difficile. « C’est très frustrant pour l’UE. Et les discussions ont eu lieu de manière bilatérale, alors qu’il aurait fallu une réponse à 27, unanime (aux révélations de l’analyste américain), et cela est la preuve de la faiblesse d’une UE qui passe par une très grande crise. » Pour Nicholas Dungan, au contraire, « l’affaire Snowden n’affectera guère les relations – stratégiques ou pratiques – entre les États, en définitive. Il est vrai que des instances comme le Parlement européen pourraient protester mais plus que d’affecter des relations entre gouvernements eux-mêmes, l’affaire Snowden ouvre un débat concernant la relation entre gouvernements et citoyens ». Quant aux conséquences sur les relations diplomatiques entre les USA et le futur pays d’accueil, l’expert juge que le sort de Snowden « constituera un dossier de plus entre les États-Unis et le pays d’asile mais, encore une fois, ne risque pas d’affecter les relations politiques ou stratégiques à condition que Snowden se taise désormais », ce qu’a d’ailleurs exigé la Russie.

 


La lutte contre le terrorisme
Cette affaire affectera-t-elle la guerre contre le terrorisme menée par Washington ? Pour M. Dungan, ce sera le cas « dans la mesure où elle provoquera un débat concernant le bon équilibre à rechercher entre la liberté et la sécurité — un débat nécessaire et qu’on aurait dû avoir il y a longtemps ». En revanche, Laurence Nardon ne voit pas d’impacts à l’avenir sur la lutte américaine contre le terrorisme. « Ça ne change rien et il n’y aura pas de complications à ce niveau. Les agents de renseignements alliés-européens ont des liens directs avec les États-Unis, et ils étaient déjà au courant des écoutes dans les ambassades de toute manière. Ce serait plutôt de l’espionnage industriel, politique, et donc ne concerne aucunement la guerre contre le terrorisme. »

 

 

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