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Nos Lecteurs ont la Parole - Opinion

Parricides en puissance

Les habitudes ont la vie dure, comme mettre quelqu’un sur un piédestal, l’encenser chaque jour que Dieu fait, lui rendre en public comme en privé hommage, claironner haut et fort qu’il s’agit là de la quintessence du genre humain, puis d’un coup se rendre compte que ce n’était que du vent, de la poudre aux yeux.


Dure est la désillusion. Du coup, vous voilà confronté à un cas de conscience, vos méninges craquent de partout, votre tête résonne de bruits fous, votre regard se brouille, vous êtes mal dans votre peau, impossible de vous dédire, non par peur du ridicule, seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, mais du risque d’être traité de parricide.
Que faire alors ? Ruminer dans un coin votre désillusion n’est pas la solution. Abattre la statue, la briser en mille morceaux, le piédestal avec, que le vent les emporte, en serait une. Mais dans les décombres il restera dans ce tas de pierres quelques-unes qu’avec amour vous avez mises l’une sur l’autre, cimentées de votre sueur. Chacune raconte une histoire et recèle en elle une part du souvenir.


Celui de votre jeunesse perdue à croire que demain sera meilleur qu’aujourd’hui et bien moins qu’après-demain. Comme les je t’aime que l’on roucoulait langoureusement, faisant semblant d’y croire en attendant la prochaine amourette, ou une nouvelle déconvenue, qui exacerbait encore plus votre appétit de la vie et vous faisait rebondir plus déterminé qu’avant.
C’était un défi permanent : plus nous trébuchions, plus nous nous relevions avec plus de foi, dans ce pays déchiré entre mille tendances. Notre parcours ressemblait au chemin de la croix, avec parfois de larges aires de repos entre une station et l’autre. Elles confortaient notre espoir en des lendemains enchanteurs, jusqu’au moment où la gifle suivante nous sortait de notre léthargie, et ainsi de suite.


Le chemin de la croix initial comportait quatorze stations, puis la Résurrection advint. Le nôtre a dépassé de loin ce chiffre, nous avons cessé de compter. Les éclaircies s’égrènent au rythme de l’espoir qui s’estompe rapidement, tel un souvenir fugace.


En fin de compte, le souffre-douleur qu’est devenu le Libanais est poussé dans ses derniers retranchements. Combien pourra-t-il encore reculer les échéances vitales qui à chaque instant le guettent ? Je ne reprendrai pas l’antienne de la qualité de la vie qui s’étiole ; elle lasse.


Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise. Ses morceaux, comme ceux du vase contenant la verveine, ne se recollent plus. Je suis sous l’impression qu’entre les bases populaires et les dirigeants, c’est l’incompréhension la plus totale, chacun chantant sa partition sur un air diamétralement opposé.
Quelle cacophonie ! Le peuple acculé, aux abois, cherche une bouffée d’oxygène. Les dirigeants, eux, avec en ligne de mire les législatives de 2013, le renvoient, comme Marie-Antoinette, aux petits biscuits, alors que ce n’est que du pain qu’il demande.


Les biscuits, comme les bonbons, c’est tellement bon, mais ils ne payent ni l’essence, ni l’électricité, ni l’école, ni le manger et le boire, ni les médicaments, ni la sécurité. Ils ne créent pas des emplois, ne rassurent pas les touristes, ne remplissent pas les hôtels, ne désengorgent pas les routes, ni ne nivellent les nids de poule qui les jonchent.
Dans ce pays qui fut, dit la légende, béni des dieux – et quelle bénédiction ! Malédiction serait plus approprié –, le miel a tourné au fiel, et le lait au poison, tant les rivières sont polluées. On a fait oublier au peuple toute notion de prospérité ; ce qu’il demande désormais, c’est juste de vaquer en paix à son travail, s’il en a, de revenir le soir sain et sauf à son domicile, considérant qu’une journée sans problèmes, c’est toujours ça de gagné.


Trop de biscuits donc fait grossir, comme les poches de nos édiles. La graisse accumulée en s’en empiffrant ramollit le cerveau, embrouille les esprits, rend patauds les gens, les asservit, tue irrémédiablement toute sorte d’ambition, en faisant de nous, à peu de frais, des moutons de Panurge, des automates.


C’est ainsi qu’on a entassé les Libanais dans des autobus, desservant uniquement deux lignes parallèles – on connaît le corollaire – : l’une porte le chiffre 8, l’autre le 14. Inutile de parler aux conducteurs, ils n’en savent pas plus que leurs passagers, recevant leurs instructions par liaisons satellitaires. Les aiguilleurs se trouvant assurément loin, bien loin, hors de nos frontières.


Trop c’est trop. La chose publique, le bien-être d’un pays, son devenir, l’ambition de le servir, lui faire connaître à nouveau la prospérité, lui redonner sa place sur l’échiquier des nations, ne peut plus être l’apanage d’une caste qui a prouvé ses limites, sa capacité de nuisance et souvent son incompétence, sauf à jouer de l’éteignoir pour étouffer la moindre lueur d’espoir.


S’il y a des statues à déboulonner, des idées à refaire, un pays à repenser, quitte à le remettre au moule, il faut le faire avant qu’il ne soit trop tard, même au risque d’être traités de parricides. Ce n’est pas le père qu’on tue, c’est un pays qu’on revivifie.

Les habitudes ont la vie dure, comme mettre quelqu’un sur un piédestal, l’encenser chaque jour que Dieu fait, lui rendre en public comme en privé hommage, claironner haut et fort qu’il s’agit là de la quintessence du genre humain, puis d’un coup se rendre compte que ce n’était que du vent, de la poudre aux yeux.
Dure est la désillusion. Du coup, vous voilà confronté à un cas...
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