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Nos Lecteurs ont la Parole

Irons-nous au bois ?

Lina EL-KADI RIFAAT
Le 8 février s’est tenu au théâtre al-Madina un forum public pour discuter de l’ouverture du bois de Beyrouth en présence du président de la municipalité, M. Bilal Hamad, des représentants d’associations et d’activistes militant pour cette cause.
Bien que la date d’ouverture n’ait pas été encore fixée, le dossier semble être dorénavant pris au sérieux.
Ce bois, qui reste un des rares espaces verts dans un gigantesque monstre de béton, est inaccessible à nos enfants, contraints à faire du vélo dans l’espace limité de nos appartements, à respirer l’air recyclé des maisons ou le dioxyde de carbone provenant des générateurs (si l’on ose ouvrir les fenêtres) et à admirer la verdure des parcs dans des villes étrangères à travers les écrans de télévision au lieu de prendre un contact direct avec la nature et la verdure de leur propre ville.
Chose que je viens de découvrir : les étrangers ont le droit d’accéder à quelques parties du bois ! Eux et leurs enfants ont la chance de pouvoir bénéficier d’un espace vert sur le territoire libanais que mes enfants (coupables d’être libanais) ne peuvent admirer.
C’est fâcheux ! C’est révoltant !...
Mais est-il vraiment choquant d’être pénalisé pour un mal dont on est parfaitement coupable ? Il faut bien l’admettre : la majeure partie des Libanais ne respectent pas la nature et éprouvent un besoin incontrôlable, à la limite instinctif, de salir les endroits publics auxquels ils peuvent accéder. Je crains, une fois le bois ouvert, de le voir transformé en café où les gens viendront polluer l’air avec leurs narguilés et salir l’endroit avec leurs bouts de cigarettes, leurs bouteilles et sacs en plastique, leurs canettes et autres. Outre la pollution de cet espace vert, cette ouverture au public ne fera qu’accroître le risque d’incendie : le bois a été détruit une fois lors de l’invasion israélienne, et sa réhabilitation a nécessité de très longues années.
En un tour de main, le bois risque d’être détruit par la négligence du Libanais insouciant et le poumon de la ville sera une fois de plus malade.
On pourrait faire valoir comme contre-argument que la responsabilité civile n’est pas acquise automatiquement, qu’un travail de sensibilisation est nécessaire, que commencer cette sensibilisation, concurremment avec l’ouverture du bois au public, est bénéfique aux Libanais et que cet argument a plus de mérite que le raisonnement élitiste impliquant que les Libanais sont indignes de respecter les espaces publics.
Certes, un travail de sensibilisation doit être entrepris, mais il ne pourra pas s’accomplir d’un jour à l’autre, et toute sensibilisation des citoyens au respect des espaces publics exigera aussi des lois précises et des mécanismes efficaces pour s’assurer que ces lois seront respectées.
On peut aussi faire valoir que les pauvres seront les seuls à être lésés par l’inaccessibilité du bois alors que les plus aisés ont plus de choix. En vérité, que ce soit les riches ou les pauvres ou tous ceux qui se situent au milieu, tous les Libanais sont privés d’accès aux espaces verts et si une minorité de la population peut acquérir des chalets à Faqra ou des abonnements dans des clubs privés, la majorité des Libanais reste en manque d’espaces publics verts.
Les militants pour l’ouverture du bois avancent un tout autre argument, qui n’est pas, il faut l’admettre, moins valable : les endroits publics appartiennent aux gens, et les leur rendre doit les motiver à en prendre soin puisque, naturellement, ils devront s’occuper de ce qui constitue leur propriété.
Sauf que, nous libanais, nous ne le faisons pas automatiquement. La preuve ? La corniche du Phare ou le jardin des Arts et Métiers. Admirez comment le conducteur d’une Porsche modèle 2012 comme celui d’une Nissan 1988 jettent leurs saletés par la fenêtre, bien que les routes qu’ils salissent sont les leurs ? Il faut sortir de nos illusions. C’est trop beau de penser que le Libanais va se sentir motivé avec l’ouverture du bois. Toutes les expériences passées et courantes prouvent le contraire.
Blâmer le laxisme des autorités et le manque de sensibilisation des citoyens à la propreté est légitime puisqu’une bonne partie de nos concitoyens n’ont jamais été initiés à la citoyenneté et ont été prisonniers d’un entourage qui perpétuait le chaos et l’indiscipline.
Cependant, une autre bonne partie des Libanais se prétendent sophistiqués simplement en fumant les meilleurs cigares cubains et en portant les vêtements griffés les plus chers.
Une bonne partie de la population est bilingue, sinon trilingue, et se félicite d’avoir voyagé partout dans le monde, d’être ouverte à l’Orient et à l’Occident et d’être fidèle aux traditions tout en adoptant les innovations s’opérant partout dans le monde.
On aurait cru que cette richesse et cette ouverture nous rendraient plus respectueux envers notre nature, envers nos lois et envers nos espaces publics, à l’instar de ces étrangers qui, eux, ont le droit de visiter « notre » bois.
Hélas ! Nous ne respectons que les lois des pays que nous visitons ; nous sommes incapables de montrer le même respect envers notre pays ; nous salissons nos villes ; nous conduisons sans considération pour autrui ; nous ne préservons pas l’environnement et nous ne culpabilisons pas.
Cependant, en tenant un verre d’arak à la main, le tuyau d’un narguilé tout fumant dans l’autre, et dévorant la viande crue et le taboulé, au rythme d’une dabké en musique de fond, nous crions notre amour pour notre beau Liban.
Mais aimer sa ville, aimer son pays, c’est avant tout en prendre soin, le garder propre, préserver ses richesses naturelles, protéger son environnement, ne pas déverser des matières chimiques ou colorées dans ses fleuves, défendre ses plages et respecter sa verdure.
Tant que des lois bien définies, avec un mécanisme de sanction face aux contrevenants, ne sont pas mises en place, l’ouverture du bois pose des risques dépassant les avantages.
Cela dit, il ne faut pas accepter l’indiscipline des Libanais et le laxisme des autorités et se résigner à être privé d’un espace vital. Il faut savoir sortir de sa passivité et réagir.
Chacun de nous, les composantes de la société civile, doit entamer le long chemin de la sensibilisation des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, au respect des espaces publics, et réclamer de la part des responsables des lois et des procédures d’exécution de ces lois qui rendront cette sensibilisation possible.

Lina EL-KADI RIFAAT
Le 8 février s’est tenu au théâtre al-Madina un forum public pour discuter de l’ouverture du bois de Beyrouth en présence du président de la municipalité, M. Bilal Hamad, des représentants d’associations et d’activistes militant pour cette cause.Bien que la date d’ouverture n’ait pas été encore fixée, le dossier semble être dorénavant pris au sérieux.Ce bois,...
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