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Nos Lecteurs ont la Parole

Lumière sur l’hymne national libanais

Alain HARDANE
Une polémique a débuté au Liban après la diffusion d'un reportage à la télévision basé sur le documentaire de Simone Bitton produit en 2001, Ben Berka : l'équation marocaine.
On voit le roi du Maroc, Mohammad V ben Youssef (1909-1961), et non Ben Berka, sur un tracteur, entouré de paysans avec, en musique de fond, un hymne, et pas n'importe lequel !
Ce qui a attiré l'attention du grand public, c'était la ressemblance frappante entre l'hymne national libanais et cette musique dans le documentaire. D'après un reportage télévisé et plusieurs articles dans la presse libanaise, la première analyse rapporte cette musique à l'hymne de la République du Rif amazigh (berbère) dont le texte est écrit en 1924 par le poète palestinien Ibrahim Touqan (1905-1941) qui a vécu à Beyrouth, alors que la composition musicale est signée par le Libanais Mohammad Flayfel (1899-1985).
Le choc, c'est que l'hymne national libanais écrit par Rachid Nakhlé et composé par Wadih Sabra date de 1927. Il a vu le jour, selon cette hypothèse, après celui du Rif berbère « non arabe ». Cette découverte est considérée comme une affaire nationale au Liban.
Pourquoi ne pas penser à une autre hypothèse, l'inverse ?
Mohammad ben Abdelkrim el-Khattabi (amazigh, né vers 1882 à Ajdir au Maroc, mort le 6 février 1963 au Caire, en Égypte) est un résistant marocain du Rif, au nord-est du Maroc dit espagnol. Le Maroc actuel, rappelons-le, fut partagé à l'époque entre les deux puissances française et espagnole en quatre zones : Tanger l'internationale, le Maroc espagnol du Nord et du Sud, et le Maroc français.
Khattabi est devenu le chef d'un mouvement de résistance contre la France et l'Espagne au Maroc, lors de la guerre du Rif, puis l'icône des mouvements indépendantistes luttant contre le colonialisme. Il avait établi la République du Rif berbère (la région du nord du Maroc) en 1921 alors que sa chute a eu lieu après une offensive militaire franco-espagnole en 1927.
Les Berbères se caractérisent par des spécificités linguistiques, culturelles et ethniques. On distingue plusieurs formes de langues berbères : chaoui, chleuh, rifain, chenoui, kabyle, mzabi, zenati, tamasheq sont les plus importantes composantes du tamazight (c'est-à-dire « langues des Imazighen »).
En 1926, Abdelkrim el-Khattabi est exilé, et en mai 1947, il obtient l'autorisation de s'installer au sud de la France. Arrivé à Suez où le bateau fait escale, les nationalistes maghrébins l'ont convaincu de s'installer en Égypte, après trois jours de négociations. Il accepte et passe le reste de sa vie en Égypte. Il meurt en 1963 au Caire.
Conclusion première : même si quelqu'un a composé le texte et la mélodie, Abdelkrim el-Khattabi n'en n'avait pas besoin et ne l'avait et ne l'aurait jamais adopté comme hymne officiel pour la République du Rif, surtout que les Rifains ne comprennent pas la langue arabe courante et encore moins l'arabe littéraire. C'est comme si, caricaturé, il y avait un hymne national pour le Liban, mais en persan ou en turc...
Dans tous les cas, cet hymne n'avait aucune utilité, et en plus, on peut affirmer l'impossibilité de son adoption par Abdelkrim el-Khattabi à cause de la différence culturelle, linguistique et idéologique entre l'arabe et le tamazight. Ce qui est sûr à ce stade, c'est que la République du Rif n'avait pas d'hymne national reconnu comme tel. Elle avait un drapeau, une monnaie (symbolique surtout) et un gouvernement.
Du côté espagnol, des chercheurs ont consulté leurs archives : il n'y est pas fait mention d'hymne. De plus, après la lecture de nombre de rapports des officiers français, aucun n'a jamais prononcé un mot sur l'existence d'un hymne. Même l'officier français (et grand sociologue du protectorat), Robert Montagne, qui a passé 24 heures avec Abdelkrim el-Khattabi avant sa reddition, n'a jamais parlé d'hymne.
D'autre part, les Marocains, socialistes et nationalistes arabes ont essayé tout le temps de singer le Moyen-Orient. Donc, à part le texte, la musique date de l'euphorie de l'indépendance marocaine en 1956.
Il est vrai qu'Ibrahim Touqan a écrit Nachid Batal al-Rif, Abdelkrim el-Khattabi, mais c'est probablement un Marocain qui a « volé » quelques vers de son poème qu'il a habillés de la musique de l'hymne national libanais, puisque c'est la télévision marocaine qui passe le chant avec l'image du roi Mohammad V, donc à sa gloire.
Il est clair en outre que le chant ne parle pas de Ben Berka. Il semblerait que les gens ont cru que Ben Berka est la continuité de Abdelkrim el-Khattabi, ce qui est loin d'être le cas.
Ajoutons que le compositeur libanais Mohammad Flayfel (1899-1965) n'avait formulé aucune objection contre Wadih Sabra et n'a jamais déclaré qu'il avait signé lui-même cet hymne. En outre, toutes les compositions étaient signées par « les frères Flayfel » et jamais par Mohammad Flayfel seul.
Enfin, il n'est pas logique que les Français du mandat au Liban aient pu adopter la musique de l'hymne du Rif berbère révolutionnaire et anticolonial au « Grand Liban » de 1920, en très bons termes avec la France.
Reste à savoir où le documentaire sur Ben Berka a découvert la bande-son et dans quelles archives. C'est cela qui va éclairer la chose. Il faut demander à la télévision marocaine ou au réalisateur du film de Ben Berka les origines des images et de la musique pour voir la note qui l'accompagne afin de connaître le « cloneur » de cet hymne dans le but d'avoir la preuve.
L'hymne national libanais de 1927 est sans doute aucun libanais. Point à la ligne.

Alain HARDANE
Géographe-chercheur

*N.B : Un remerciement pour Mustapha Qadery (chercheur marocain).
Une polémique a débuté au Liban après la diffusion d'un reportage à la télévision basé sur le documentaire de Simone Bitton produit en 2001, Ben Berka : l'équation marocaine.On voit le roi du Maroc, Mohammad V ben Youssef (1909-1961), et non Ben Berka, sur un tracteur, entouré de paysans avec, en musique de fond, un hymne, et pas n'importe lequel ! Ce qui a attiré l'attention du grand...

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