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Nos Lecteurs ont la Parole

Observatoire euro-méditerranéen des tendances interculturelles

Par Antoine Messarra
La Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures vient de lancer son programme triennal (2009-2011) qui comprend, entre autres, la création d'un « Observatoire euro-méditerranéen des tendances interculturelles ».
Le programme a été approuvé par le conseil des gouverneurs. Les grandes lignes avaient été débattues au cours de la 1re réunion, à Naples, des dix-huit membres du nouveau conseil consultatif (notre article, L'Orient-Le Jour, 5/11/2008). Le Liban, en tant que zone souhaitée de stabilité, de coopération et d'échange, y est fortement concerné.
L'action de la Fondation Anna Lindh pour les trois prochaines années revêt ainsi une importance capitale pour la relance du processus de Barcelone dans sa dimension culturelle et à l'échelle des 43 pays membres de l'Union pour la Méditerranée dont la population globale s'élève à plus de 750 millions d'habitants.
La Fondation entend devenir un centre d'observation, d'analyse et de recommandation, en conformité avec le troisième chapitre du Processus de Barcelone, grâce notamment à la création et au développement de l'Observatoire, consacré à l'analyse et à une meilleure compréhension des valeurs et des comportements. Il tiendra compte des autres initiatives existantes et offrira des orientations pour l'action. L'Observatoire sera appuyé par une politique de communication, afin que le rapport annuel soit, dès sa première publication, un document de référence pour les acteurs et les organismes de la société civile.

Trois composantes
Au cours de la réunion, à Naples, du conseil consultatif, cinq chantiers phares avaient été proposés par le nouveau président de la Fondation, André Azoulay, dont la création d'un « Observatoire pour comprendre et mesurer les comportements socioculturels ». Trois composantes de l'Observatoire sont envisagées :
1. Observation : où en est la coexistence interculturelle dans la région en fonction d'indicateurs et d'un thème choisi chaque année pour une étude approfondie ? Compilation de données existantes, sondages, études quantitatives et qualitatives... sont les moyens proposés.
2. Explication : l'Observatoire organisera des débats sur les phénomènes observés, « afin de comprendre l'évolution des valeurs et des tendances socioculturelles dans la région et de sensibiliser le public sur l'impact de ces phénomènes sur la société civile ».
3. Recommandation : à l'encontre des modèles négatifs qui compromettent la coexistence, l'Observatoire tentera de promouvoir « des initiatives et des actions de grande envergure émanant des réseaux nationaux de la société civile ». Au Liban, la commission nationale de l'Unesco assure avec efficience la coordination des activités.
Le rapport annuel de l'Observatoire offrira ainsi une vue d'ensemble comparative des tendances et des comportements. Chaque année, le document se concentre sur un thème pertinent. Pour l'année 2009, le thème est : « Le rôle des médias dans le façonnement des perceptions mutuelles ». Le rapport, qui sera transmis aux 43 gouvernements du Partenariat euro-méditerranéen, à la Ligue arabe et à d'autres institutions, servira d'outil de travail à l'intention des opérateurs des médias, des institutions éducatives et de la société civile. Il s'agira surtout d'identifier des études de cas et des bonnes pratiques.

Que signifie donc « formation » ?
Un Observatoire des valeurs et des comportements témoigne d'un revirement par rapport à des tendances actuelles dans le monde académique d'aujourd'hui, l'enseignement et la recherche.
En effet, il est malheureux de constater que les comportements sont souvent dans un univers autre que les savoirs. Un enseignement universitaire et des recherches deviennent le plus souvent académiques et sans finalité. Des dialogues interreligieux versent dans la répétition de ce que disent des livres sacrés, alors qu'on voit crûment que les comportements disent tout le contraire et avec une autre logique ! Une certaine éducation se réduit à une didactique, oubliant le sens même de la pédagogie. On explique dans des cercles d'intellectuels et d'académiques des données objectives, alors que la société de consommation, la publicité, la mobilisation politicienne, et les médias construisent dans les esprits d'autres réalités. Des sciences dites humaines se trouvent réduites à des sciences sociales quantitatives et rien que quantitatives. D'où le cri d'Axel Kahn, dans un plaidoyer pour un humanisme moderne : Et l'homme dans tout ça ? (Paris, Nil édition, 2000, 376 p.).
Toutes les disciplines d'enseignement, le droit, la pédagogie, le journalisme, la gestion des ressources humaines, la médecine... impliquent, pour celui qui s'y engage vraiment, un profil, des valeurs et des comportements. Dans le cadre d'un cours de droit constitutionnel, j'ai dû dire à des étudiants que cette branche du droit se propose l'organisation de la vie publique, alors que plusieurs d'entre eux se trouvent incapables de gérer l'espace public restreint qui les réunit. À des étudiants en gestion des ressources humaines, observant de leur part des comportements incompatibles avec l'exercice minimal de la profession (défaut d'écoute, agressivité relationnelle, individualisme débridé...), il a fallu leur expliquer le profil du gestionnaire en ressources humaines.
À des concours d'entrée à un diplôme supérieur de journalisme, on constate sans peine, par les comportements, que des candidats ne sont pas faits pour la carrière. Dans le cadre d'entretiens à des concours de recrutement à de hauts postes dans l'administration publique, il ressort de l'observation immédiate que des personnes manquent d'aptitude au leadership et à l'encadrement des potentialités.

Renouer le lien social
Qu'ont-ils appris ces élèves qui ont bénéficié d'une excellente explication d'un enseignant et qui, en sortant de la classe, laissent après eux un espace en plein désordre ? On a classé ce dernier problème dans la catégorie « Discipline ». Nouvelle catégorie didactique, sans perspective du lien social.
À une période où on parle le plus de « formation » et de « formation permanente », on n'entend malheureusement par là que l'acquisition d'un surplus de savoirs et de techniques... sans formation ! Or formation signifie « développement complet de l'être », lorsqu'on dit âge de formation, époque de la formation, comme le relève le bon vieux Littré.
Vraiment vieux tout cela dans un académisme, intellectualisme, didactisme et psychologisme à la mode. Les jeunes scientifiques qui se comportent aujourd'hui dans leur vie comme des sauvages illettrés ont appris une science conceptuelle et abstraite, alors que la science est la compréhension du réel.
Dans le passé, surtout chez les Grecs, quand on parlait d'école philosophique, il ne s'agissait pas seulement d'un courant de pensée, mais aussi d'une discipline de vie et d'action. Il me faut souvent déployer un grand effort de persuasion pour dire à des étudiants qui préparent des mémoires et des thèses, qui se perdent dans des labyrinthes conceptuels et des méthodes formelles et exclusivement quantitatives dans des sciences dites humaines : allez voir concrètement ce qui se passe, comment cela se passe, allez voir où sont les comportements !

***

Les valeurs républicaines et le principe de légalité au Liban ont été bafoués, surtout depuis 2005, par des parieurs et des aventuriers, sous le couvert de slogans simplistes, avec des techniques sophistiquées de manipulation. C'est là où se situe, en profondeur, la dimension culturelle.
Face à un académisme sans finalité et à des dialogues qui se déroulent comme un nouveau type de salons, des fanatismes et des terrorismes menacent l'humanité et les acquis de la civilisation. Le professeur Antoine Corban citait dernièrement cette phrase prémonitoire d'Albert Camus, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Antoine Messarra
Membre du conseil consultatif de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures
La Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures vient de lancer son programme triennal (2009-2011) qui comprend, entre autres, la création d'un « Observatoire euro-méditerranéen des tendances interculturelles ».Le programme a été approuvé par le conseil des gouverneurs. Les grandes...
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