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Nos Lecteurs ont la Parole

Le pays bâtard ?

Le Liban fascine, intrigue, irrite. Il est le pays des contrastes, de l’excès, de la poésie et du chaos. Pour certains, il est un miracle méditerranéen ; pour d’autres, un projet avorté. À travers ses cent ans d’existence en tant qu’État, une question revient, brutale et sans fard : le Liban est-il un pays bâtard ?

Non pas dans le sens d’un jugement moral, mais dans celui d’un être sans filiation claire, né de compromis et de contradictions, sans origine stable ni avenir défini.

La naissance du Liban moderne en 1920 n’est pas le fruit d’un mouvement national clair, mais d’un découpage colonial. Le Grand Liban, proclamé par le général Gouraud sous mandat français, était une construction artificielle née du besoin stratégique de la France de garantir une présence chrétienne forte au Levant.

Cette création géopolitique a rassemblé des régions très différentes –

culturellement, économiquement, confessionnellement – sans réel ciment national. Le Liban n’est pas né d’un mouvement populaire ou d’un projet de société unifié. Il est né d’un calcul, d’un arrangement, d’une ingénierie territoriale qui a jeté les bases d’un mal-être structurel. Déjà, la bâtardise prend racine : un pays sans filiation légitime, tiraillé entre Orient et Occident, entre le rêve et l’instrumentalisation.

En 1943, avec l’indépendance, le Liban aurait pu se définir autrement. Mais au lieu d’un contrat citoyen basé sur l’égalité et la souveraineté populaire, c’est le pacte national, accord tacite entre élites maronites et sunnites, qui définit la structure de l’État. Chaque communauté obtient sa part de pouvoir, selon un équilibre censé représenter la réalité démographique d’alors. Mais cette formule, au lieu de créer un État, institutionnalise la division. Elle grave dans le marbre la logique communautaire, interdit l’émergence d’un sentiment national unifié, et installe un système où l’allégeance va plus à la secte qu’à la nation. Ce système rend le pays profondément vulnérable aux influences extérieures. Chaque groupe communautaire devient la porte d’entrée d’une puissance régionale ou internationale. Le Liban se fait alors terrain de jeu des autres, jamais pleinement maître de son destin.

De 1975 à 1990, le Liban sombre dans une guerre civile longue et complexe. Mais parler d’une seule guerre est trompeur. Il s’agit en réalité d’un enchevêtrement de conflits : communautaires, idéologiques, sociaux, internationaux. Palestiniens, Israéliens, Syriens, Iraniens, Américains, tous y trouvent leur part. Le Liban devient un théâtre, un champ de bataille où les acteurs libanais ne sont souvent que des pions. Le pays se bat contre lui-même, pour des causes qui le dépassent.

Et pourtant, après quinze ans de guerre, aucune réelle leçon n’est tirée. Le système confessionnel est reconduit dans l’accord de Taëf. Les seigneurs de guerre deviennent ministres. L’impunité est consacrée. L’identité du pays, encore une fois, est suspendue, bricolée, jamais assumée. La bâtardise politique devient chronique.

Le Liban est-il un État souverain ? La question semble presque absurde. Depuis sa création, la souveraineté libanaise n’a jamais été complète.

Les Syriens ont occupé le pays pendant presque 30 ans. Israël y est intervenu à plusieurs reprises. Le Hezbollah, bras armé de l’Iran au Liban, détient un pouvoir militaire, politique et social.

L’armée nationale ne contrôle pas pleinement le territoire. La justice est entravée. Les élections sont biaisées par l’argent, l’extorsion ou la peur.

Le Liban ressemble parfois plus à un espace disputé qu’à un État souverain. Une entité floue, où l’intérêt général est toujours subordonné à des logiques de clan, d’allégeance ou d’ingérences étrangères.

Depuis 2019, le Liban connaît l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne. La monnaie s’effondre. Les banques confisquent l’épargne des citoyens. Les services de base (électricité, santé, éducation) s’effritent.

L’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, a été un moment de bascule. Non seulement elle a détruit une partie de la capitale, mais elle a révélé l’impensable : un État incapable de protéger ses citoyens, même de son propre désastre.

Depuis, les Libanais vivent dans une sorte de réalité post-État, entre survie et exil intérieur. Le pays tient debout par ses gens, non par ses institutions. C’est le peuple qui s’adapte, invente, résiste. Pas l’État. Alors oui, le Liban est peut-être un pays bâtard. Pas dans un sens péjoratif, mais dans le sens tragique d’une entité sans reconnaissance pleine, sans légitimité assurée, sans vision commune. Un pays né dans le compromis, grandi dans la division, gouverné par l’impunité. Mais cette bâtardise peut aussi être une chance. Car ce qui n’a pas de forme fixe peut encore se transformer. Ce qui est hybride peut devenir créatif. Ce qui n’est pas figé peut encore être réinventé. Le Liban n’est pas fini. Il est blessé, trahi, fracassé. Mais il est aussi porté par une mémoire, une culture, une jeunesse qui, malgré tout, refuse de s’effacer. Le Liban est peut-être un pays bâtard. Mais il n’est pas un pays mort !

Michel TAWK

Élève de terminale au GLFL

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Le Liban fascine, intrigue, irrite. Il est le pays des contrastes, de l’excès, de la poésie et du chaos. Pour certains, il est un miracle méditerranéen ; pour d’autres, un projet avorté. À travers ses cent ans d’existence en tant qu’État, une question revient, brutale et sans fard : le Liban est-il un pays bâtard ?Non pas dans le sens d’un jugement moral, mais dans celui d’un être sans filiation claire, né de compromis et de contradictions, sans origine stable ni avenir défini.La naissance du Liban moderne en 1920 n’est pas le fruit d’un mouvement national clair, mais d’un découpage colonial. Le Grand Liban, proclamé par le général Gouraud sous mandat français, était une construction artificielle née du besoin stratégique de la France de garantir une présence chrétienne forte au Levant.Cette...
commentaires (1)

Very well said let's not forget in oct 2019 the different lebanese peoples ( even many chiites ) got together to take a stand and we all know why if failed but just to point out that given the right circumstances and situation it can happen again.

EL KHALIL ABDALLAH

16 h 53, le 22 mai 2025

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Commentaires (1)

  • Very well said let's not forget in oct 2019 the different lebanese peoples ( even many chiites ) got together to take a stand and we all know why if failed but just to point out that given the right circumstances and situation it can happen again.

    EL KHALIL ABDALLAH

    16 h 53, le 22 mai 2025

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