Les Libanais sont les champions des digressions inutiles. Ainsi, plus tordant encore que la querelle de chiffonniers autour du nouveau gouverneur de la Banque du Liban, aura été l’amuse-gueule qui a consisté à établir une analyse littéraire profonde de la dernière fulgurance rance de l’ex-argentier de la République, Ali Hassan Khalil, à la fois bas de caisse et haut-parleur de Nabih Berry.
Si le hasard fait bien les choses, il n’a pas dû être fait par hasard, lui. Sa saillie neuronale en prévision des prochaines législatives, il la miroite invariablement tous les quatre ans et prévoit d’encaquer les Libanais dans une circonscription unique englobant si possible la Békaa, le Liban-Sud, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Un miroir sans tain, qui ne risque pas de réfléchir grand-chose tant la liste de ce naufragé du ministère des Finances sera orpheline et le score sans équivoque : 99 % de « oui », 1 % de « traîtres ». Le tout agrémenté d’un programme politique bidon débité en bois de cèdre massif, aussi obscur que les grimoires talmudiques. Tout à son élan, le député aux trois prénoms a déployé cette vision prodigieuse devant ses collègues transformés en vases de Sèvres. Ce qui explique certainement pourquoi personne n’a osé éclater de rire.
En fait, c’est surtout son maître à penser, Istiz Nabeuh – un gestionnaire de patrimoine comme rarement l’histoire contemporaine en a produit –,
qui a la trouille de la petite circonscription, laquelle risque de lui amener des députés carrément à portée de baffe de leurs électeurs. Alors qu’avec la proportionnelle intégrale dans le caravansérail d’une grande circonscription unique, la recette serait pliée d’avance. Fini les bulldozers et autres autobus. C’est en avion charter au kérosène iranien qu’il veut amener ses larbins jusqu’à l’hémicycle, l’Ancêtre de Aïn el-Tiné, toujours à califourchon sur sa rente viagère du Parlement. Depuis Clisthène, père de la démocratie, on n’a jamais trouvé mieux pour mettre en érection les encéphalogrammes plats de ses partisans excités.
Mais voilà qu’entre-temps, à l’autre bout du sèche-linge, le Basileus fait à nouveau dans la grosse caisse avec le projet de loi dit « orthodoxe ». Une espèce d’apartheid électoral dont le texte est d’une simplicité enfantine, sinon infantile : chacune des communautés picore dans son cheptel et exhibe au Parlement son quota d’immunisés de frais. On voterait toujours pour un ahuri, mais ce serait un ahuri rassurant parce que de la même confession. Le fond abyssal, le trou noir, le degré zéro de la démocratie. Pour le patron du parti de l’orange amère, la persévérance est la noblesse de l’obstination.
Mais rien ne presse, les uns et les autres peuvent baver leurs arguments des années durant. Le bel exemple que voilà, quand on sait qu’un peu plus au sud, des Hébreux multitâches se paient depuis des lustres des élections législatives, locales, municipales, présidentielles, tout en nous abreuvant régulièrement de missiles, d’obus et autres surprises bariolées.
Mais ça, faut pas le dire. Ça fait tousser les bien-pensants…
gabynasr@lorientlejour.com
Cet édito et plus résume toutes les analyses en quelques phrases intelligibles et percutantes sans flonflon ni artifice dans un style inégalable. Merci M. Nasr de nous régaler avec nos malheurs. C’est un luxe qui n’est pas donné à tout le monde.
11 h 11, le 28 mars 2025