Astrologues, horoscopistes, mages et autres scrutateurs de l’espace sidéral n’auront pas été seuls, cette fois, à crier au prodige. Car au terme d’une longue période de sombres firmaments et d’horizons bouchés, ce sont les Libanais, dans leur immense majorité, qui voient dans le tandem Joseph Aoun-Nawaf Salam un double cadeau du Ciel : une de ces rencontres astrales augurant d’une salutaire et puissante convergence d’énergies vers une réédification de l’État.
Même redescendu sur terre, le citoyen n’en finit pas cependant de renouer avec ce grisant sentiment d’espoir qui, depuis si longtemps, lui était devenu étranger. On le savait bien, allez, que depuis la dernière succession de séismes géopolitiques dans la région, la configuration du Parlement élu en 2022 était en total déphasage avec les réalités nouvelles apparues sur le terrain. L’Assemblée ne pouvait certes y demeurer indifférente. Mais c’était là une des rares fois où l’Assemblée se conformait aussi – et même surtout – aux exigences d’une base populaire avide de changement. La vigoureuse dynamique initiée en ce sens par l’élection présidentielle du 9 janvier ne pouvait, dès lors, être mieux entretenue et stimulée que par un vote conséquent, quand il s’est agi de désigner un Premier ministre. Pour barrer la voie à la vieille garde, pour conjurer tout risque d’incompatibilité d’humeur ou de vision entre Baabda et le Sérail, d’importants blocs politiques ont dû sacrifier leurs propres champions et porter leur choix sur Nawaf Salam. Au prix de savantes contorsions, sources parfois de cuisants lumbagos politiques, d’autres formations ont suivi le mouvement, attrapant le train en marche ou volant vaillamment au secours de la victoire. Naissait alors un saisissant effet domino, phénomène rarement observé sous la coupole de la place de l’Étoile. Le plus extraordinaire n’est pas là cependant, mais dans le très réel potentiel de changement dont se trouve largement crédité, à l’instar du président de la République, un homme pourtant issu d’une des grandes familles politiques beyrouthines.
Il est évidemment fâcheux que pour ses premiers pas, ce duo de rêve ait eu à régler la question de la grogne à laquelle s’est livré un autre tandem, réunissant celui-là le Hezbollah et le mouvement Amal. Comme on sait, cette remuante paire a mesuré et négocié jusqu’au bout son ralliement à l’élection du chef de l’État. Mais elle estime avoir été grugée avec la subite mise hors circuit du Premier ministre sortant Nagib Mikati ; le député en chef du Hezbollah n’a d’ailleurs pas eu de mots trop acerbes pour s’en plaindre lundi et mettre en garde contre toute exclusion dont pourrait être l’objet son parti, ce qui frapperait d’illégitimité tout nouveau gouvernement. Jolie allégation en vérité, quand on pense que c’est au contraire, le Hezbollah qui, plus d’une fois, a exclu le Liban tout entier de ses ruineuses décisions de guerre. C’est encore l’État libanais que la milice met au défi de gommer une occupation israélienne dont elle est elle-même la cause. Et comme si ce n’était pas déjà assez, voici qu’en boudant dans son coin alors que nul n’a parlé de l’y reléguer, c’est invariablement le Hezbollah qui se soustrait – et soustrait abusivement les chiites– des grandes espérances massivement placées sur un pouvoir exécutif flambant neuf. Est-il vraiment nécessaire d’ajouter que durant sa présidence de la Cour internationale de justice, Nawaf Salam aura davantage servi la cause palestinienne, mieux flétri l’image d’Israël, que toutes les aventures guerrières de la milice ?
Geste à l’appui, ce n’est pas une main mais deux que tendait hier aux boudeurs, en signe d’ouverture et d’inclusion, le nouveau pensionnaire du Sérail. Non moins réconfortantes sont les marques d’attachement à l’État et à l’unité du peuple proclamées au palais présidentiel par les chefs religieux d’une communauté chiite particulièrement éprouvée. Et plus que probablement sensible, elle aussi, à l’attrait du renouveau.
En attendant, et comme par magie, le simple mot de tandem sonne soudain mieux à l’oreille.
Issa GORAIEB