La lumière de Nabil Nahas à Frieze London
Il était impossible, entre le 9 et le 13 octobre, de parcourir la foire de Frieze London sans avoir le regard captivé par une série de toiles monumentales à la géométrie abstraite et à la lumière absolument hypnotisante. Ces panneaux-là, de 2,75 m x 2,75 m chacun, ont été réalisés par l’un des plus grands maîtres de l’art contemporain libanais, Nabil Nahas, en 1973, qu’il terminait son master en Fine Art à Yale. Et jusqu’à ce jour, ces œuvres n’avaient jamais été présentées ailleurs qu’au département de l’université de Yale qui les avaient acquises après avoir retenu l’attention de Harry Wasserman, professeur au département de chimie et lui-même peintre amateur passionné. Présentées par la galerie Lawrie Shabibi, ces œuvres majeures et saisissantes, non seulement nous replongent dans la période d’abstraction géométrique de Nahas qui s’est poursuivie jusqu’au début des années 1980, mais elles révèlent aussi, et surtout, l’ampleur, l’ambition et la radicalité de son travail à ce stade précoce de sa carrière. Car il est d’autant plus éblouissant d’apprendre que ce génie de la couleur, qu’il traite comme un matériau à part, immatériel et un rien onirique, n’avait que 24 ans au moment où il a réalisé ces toiles, quatre ans avant sa première exposition personnelle à la galerie Robert Miller en 1978. Rythmés par une géométrie inspirée des motifs de l’art islamique, ces toiles sont comme baignées d’un jaune intense, profond dont seul Nahas a le geste secret. Accompagnés de deux peintures abstraites marquantes de 1978 — de la même série qu’une œuvre de l’artiste actuellement exposée au Tate Modern, ces panneaux racontent surtout toute la magie de Nabil Nahas : celle de transformer sa peinture et ses toiles en une source de lumière. Et aujourd’hui, le Liban en a tellement besoin…
Un dialogue entre Sybil Layous et Serge Poliakoff organisé par House of Today
« En ces temps extrêmement difficiles pour le Liban, tout peut sembler dérisoire, et les objectifs que l’on s’est fixé pour House of Today peuvent paraître insignifiants face aux immenses défis auxquels le pays est confronté. Je me suis donc demandée s’il n’était pas déplacé de continuer à exposer le travail de nos designers libanais au monde, en de telles circonstances. Cependant, après réflexion, j’ai décidé de poursuivre ma mission, même à petite échelle, car je souhaite mettre en lumière le Liban tel que je le connais — un lieu débordant de talent, de positivité, de sophistication, et qui mérite d’être reconnu comme le centre créatif du Moyen-Orient », confiait Chérine Magrabi Tayeb, fondatrice de l’organisation à but non lucratif House of Today à la veille de l’ouverture de l’exposition Sybil Layous & Serge Poliakoff qui s’est tenue à la prestigieuse galerie Maxime Flatry à Paris entre le 14 et le 20 octobre. C’est donc une rencontre inattendue entre deux artistes, de deux époques et de deux médiums différents, mais liés par une complicité silencieuse, qu’a imaginée Chérine Magrabi Tayeb. Une rencontre qui transcende les mouvements de l’art et du temps, entre l’un des maîtres de l’abstraction d’après-guerre en France, Serge Poliakoff, et la céramiste contemporaine libanaise Sybil Layous. Pour cet événement, Layous a ainsi créé une série d’œuvres en céramique en hommage à Poliakoff, notamment à deux tableaux issus de la collection de la galerie Dina Vierny (qui collabore sur cette exposition). L’exposition est scénographiée par l’architecte français Simon Basquin qui, dans une mise en scène épurée et précise, a orchestré un dialogue subtil entre les œuvres de Poliakoff et celles de Layous. Les vibrations monochromes des tableaux du peintre trouvent un écho sur les céramiques, tandis que les lignes fragmentées de Poliakoff semblent prolonger leur mouvement sur les œuvres de Layous, leur conférant un caractère à la fois primitif et onirique. Une véritable conversation émotionnelle s’installe entre ces deux artistes, défiant le temps et les médiums.
Les poulains de la galerie Marfa’, entre Londres et Paris
« Jusqu’à il y a quelques jours, on ne savait pas si on pourrait être présents ici », nous confiait Joumana Asseily, fondatrice de la galerie d’art contemporain libanaise Marfa’, avec un mélange de soulagement et d’extrême angoisse. Le 24 septembre dernier, la galerie en question annonçait sa fermeture, et la suspension du spectacle solo Barren Seeds de l’artiste Mohammad Abdouni qui avait ouvert une semaine avant seulement. Ce dernier présentait pourtant son exposition Soft Skills à Lafayette Anticipations à Paris. Ce show est le résultat d’une résidence que l’artiste a décroché avec le prix Lafayette Anticipations qu’il a remporté l’an dernier, et il marque un retour à l’enfance de l’artiste et son questionnement de la masculinité queer. Sur le booth de Marfa’ à la foire Frieze London, la galerie consacrait un spectacle solo de l’artiste libanaise Stéphanie Saadé. Une installation où, pour la première fois dans sa pratique, l’artiste se pliait à l’exercice « d’expérimenter avec des objets et des supports du quotidien qui ont dicté mes œuvres ». On retrouve des vêtements qu’elle a porté entre 2020 et 2024, avec les coordonnées géographiques des lieux qu’elle a habités pendant cette période, mais aussi des collages qui racontent sa vie « entre deux rives », entre Beyrouth et Paris, entre ses racines et son émigration suite à la double explosion au port de Beyrouth. À Paris, dans le cadre d’Art Basel, Marfa’ dédiait son booth à deux de ses artistes, Paola Yacoub avec des œuvres réalisées entre 1992 et 1993 et des toiles de 2018 de Seta Manoukian. Toutes deux, avec leurs pratiques et médiums différents, interrogent les thèmes de la mémoire, des espaces urbains et du passage du temps, comme un reflet des complexités de l’identité de leur ville, Beyrouth.
Le « drame en couleurs » de la galerie Sfeir-Semler
Andrée Sfeir-Semler, habituée et figure emblématique des foires d’art du monde entier, n’était pas comme on la retrouvait d’ordinaire, effervescente et volubile, sur son stand à Frieze London. Ce jour-là, la galeriste pionnière de l’art contemporain de la région était certes au rendez-vous de la grand-messe de l’art londonien, « envers et contre tout, parce que malgré la tristesse, on continue toujours d’avancer », nous disait-elle, mais toutefois avec des yeux encore encombrés de larmes. Si l’exposition que sa galerie beyrouthine consacre à Walid Raad dans ses deux espaces a été interrompue et fermée au lendemain de l’assassinat de Hassan Nasrallah et jusqu’à nouvel ordre, celle-ci a tout de même tenu à présenter des œuvres de ses artistes emblématiques à Frieze London, donc, mais aussi, la semaine suivante, à Art Basel Paris. Du côté de son booth londonien, la puissance, voire la gravité des œuvres de Mounira al-Solh, Walid Raad, Lawrence Abu Hamdan ou encore Khalil Rabah, était enrubannée d’un tourbillon de couleurs, transformant cet espace en une sorte de « drame en couleurs », tel le décrivait Andrée Sfeir-Semler. À Art Basel Paris, une œuvre de Aref el-Rayess à la symbolique bien chargée, puisque c’est une toile qui a été en 1978, au moment de la première invasion israélienne du Liban, dialoguait avec un monumental mur en céramique d’Etel Adnan dont la douceur résonnait à elle seule comme une promesse d’espoir. À leurs côtés, les cascades de Walid Raad que certains visiteurs ont eu la chance de découvrir à Beyrouth avant la fermeture de l’exposition de l’artiste, mais aussi des céramiques de Wael Shawky, et des œuvres de Samia Halaby et Taysir Batniji, un artiste originaire de Gaza. « Ces artistes sont notre lumière, au milieu de ces moments noirs et sombres », nous confiait la galeriste.
Les artistes libanais sont surcotés et souvent leurs thèmes sont issus d'un vécu libanais qui rend difficile leur revente sur le marché international. Aux prix d'aujourd'hui, il est plus rentable, et plus sûr d'acheter des oeuvres étrangères que des oeuvres libanaises. Reprenez vous et faites de l'Art pas du commerce. Egalement, quand on achète de l'Art, on achète une histoire: Celle de l'Artiste, celle de l'oeuvre. Aux marchands et galeries d'Art de faire leur boulot et non pas de se positionner comme Carrefour.
09 h 49, le 23 octobre 2024