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Culture - Focus Sur…

Seta Manoukian : artiste à Beyrouth, nonne bouddhiste à Los Angeles

« La pratique artistique est aussi une forme de méditation », assure cette peintre pas comme les autres qui présente à la galerie Marfa’ « Dew Drops » (Gouttes de rosée), une sélection de ses toiles au langage singulier. "L'Orient-Le Jour" l'a rencontrée.

Seta Manoukian : artiste à Beyrouth, nonne bouddhiste à Los Angeles

Seta Manoukian devant l'une de ses toiles à la galerie Marfa'. Photo Yolla Eddé

Elle promène calmement sa silhouette de nonne bouddhiste, en tenue safran et rouge foncé, parmi les happy few, les quelques privilégiés invités au vernissage de son exposition de peintures Dew Drops (Gouttes de rosée) à la galerie Marfa’ à Beyrouth. Et tout le détachement du monde se dégage de son attitude !

Cheveux ras, regard intensément… serein, petit rire en cascade, rappelant fortement celui du Dalaï Lama, Seta Manoukian, 79 ans au compteur, est d’une simplicité et d’une modestie que l’on aimerait contagieuses.

Il suffit pourtant de prononcer son nom devant des « connaisseurs » – commissaires d’expositions, curateurs et grands collectionneurs – pour soulever aussitôt un florilège d’exclamations admiratives. Et pour cause, elle a été l’une des figures emblématiques de la scène artistique libanaise des années 1970.

Une artiste qui a marqué du sceau de sa peinture, imprégnée d’une certaine métaphysique à la De Chirico, la représentation d’un Beyrouth crépusculaire au cours des premières années de la guerre civile. Avec notamment d’éloquentes toiles – inspirées de photos parues dans la presse – de gens pris au piège d’un désarroi quotidien et d’un environnement urbain devenu ligne de front.

Une artiste engagée, militante propalestinienne, professeure à l’Académie des beaux-arts de l’Université libanaise. Et partie prenante du cercle d’artistes et intellectuels qui refaisaient le monde au café Horseshoe à Hamra : ces Paul Guiragossian (l’un de ses premiers professeurs), Yvette Achkar, Hussein Madi, Rafic Charaf ou encore le critique d’art Nazih Khater qui ont marqué de leurs empreintes la peinture libanaise moderne et contemporaine.

La rose aux pétales qui se déploient en spirale, un symbole récurrent de la nouvelle période de Seta Manoukian. Photo DR

« Leur fréquentation a eu un impact important sur mon parcours », confie Seta Manoukian à L’Orient-Le Jour. « Parce que ce sont leurs débats et les échanges qu’ils avaient sur l’art et la politique qui ont dessillé les yeux de la jeune femme naïve et protégée que j’étais à l’époque. Je revenais de quatre années de pur bonheur et beauté passées en Italie, où j’avais étudié à l’Académie des beaux-arts de Rome, et je ne savais rien de l’état du monde et de sa cruauté. Ce sont eux qui ont nourri en moi le doute, le questionnement et l’anxiété qui me mèneront plus tard à rechercher des voies de paix et de sérénité », poursuit-elle.

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Un chemin spirituel que Seta Manoukian empruntera… à Los Angeles, aux États-Unis où elle s’installe en 1985, lorsque, « lassée du verbiage creux des politiques et de la violence sans fin dans laquelle baignait le Liban », elle y rejoint ses parents et sa famille.

« Plus loin que la vie et la mort »

Dans cette capitale du cinéma, des paillettes et des voies rapides, elle poursuit son travail artistique, de plus en plus marqué par des lignes horizontales et verticales chamboulées par des angles obtus. Mais, en parallèle, elle ressent un manque profond de nature et d’authenticité qu’elle ira compenser en se lançant dans la pratique de la méditation. « J’avais besoin de me reconnecter avec moi-même de rentrer en soi. Je me suis mise à méditer de plus en plus, jusqu’à atteindre les huit heures par jour. J’ai rejoint alors le temple de bouddhisme Theravada de Los Angeles, où j’ai rencontré mon lama (maître) qui, en m’initiant à la symbolique bouddhiste, a fait refluer en moi les souvenirs d’expériences transcendantales que j’avais vécues dans ma jeunesse au Liban. Comme ce mantra “je veux aller plus loin que la vie et la mort” que j’entendais dans ma tête chaque fois que je contemplais la mer à Beyrouth, et qui m’avait poussée à peindre en 1972 une série de tableaux de draps blanc, couleur que je découvrirai plus tard être celle qui englobe la vie et de la mort dans la spiritualité bouddhiste. Ou cette phrase lue dans un manuel de mathématique “Tout est un”» qui m’avait emportée dans un état de transe pendant plusieurs jours, suite auquel j’en étais revenue avec une palette de couleurs plus vives et claires », raconte Seta Manoukian.

Une vue de l'exposition « Dew Drops » de Seta Manoukian à la galerie Marfa'. Avec l'aimable autorisation de la galerie Marfa'

À partir de 1995, l’artiste intensifie son engagement spirituel, gravissant les échelons jusqu’à être ordonnée nonne bouddhiste. Elle rangera définitivement ses pinceaux pour se consacrer exclusivement à la prière méditative durant une dizaine d’années, avant d’être rattrapée par sa passion de la peinture. « Quand on me parlait d’art, je culpabilisais parce que je ressentais un état de manque comme celui que peut éprouver un ancien fumeur. J’ai mis longtemps avant de réaliser que la peinture pouvait être aussi une autre forme de méditation », dira-t-elle, une fois revenue à sa pratique picturale, en 2005. Sans pour autant sortir vraiment de sa retraite.

Du sang, des roses et des pierres

C’est là qu’ira la chercher Joumana Asseily, à la tête de la galerie Marfa’. « Je me suis rendue chez elle à Los Angeles pour la convaincre de revenir montrer au Liban la nouvelle phase de son travail. Ses œuvres des deux dernières décennies très différentes de son travail antérieur », souligne avec enthousiasme la galeriste beyrouthine.

Une nouvelle période, aux sujets et motifs nettement infusés de spiritualité thibétaine. Comme ces Body Fluids (les fluides corporels) représentation ludique du sang que Seta Manoukian privilégie désormais dans ses toiles et qui sont issus de ses « voyages intérieurs ». Ou encore ces motifs évocateurs de la dualité vie et mort, lourdeur et légèreté, matrices de toute forme d’existence que représentent à ses yeux les œufs délicats, les roses déroulées en spirales, les pains, les pierres se balançant sur des cheveux ou encore ces oiseaux-lyre qui reviennent de manière récurrente dans ses œuvres. Des compositions aux couleurs vibrantes et comme en apesanteur sur des fonds immuablement d’une blancheur lumineuse qui risquent de désarçonner les amateurs de l’ancienne peinture de Seta Manoukian. L'artiste, qui en est consciente, appelle les visiteurs à les contempler en s’accompagnant de la citation de Rumi : « Vous n'êtes pas une goutte d'eau dans l'océan, vous êtes l'océan tout entier dans une goutte d'eau. »

« Dew Drops » de Seta Manoukian chez Marfa’ jusqu’au 7 septembre.

Elle promène calmement sa silhouette de nonne bouddhiste, en tenue safran et rouge foncé, parmi les happy few, les quelques privilégiés invités au vernissage de son exposition de peintures Dew Drops (Gouttes de rosée) à la galerie Marfa’ à Beyrouth. Et tout le détachement du monde se dégage de son attitude ! Cheveux ras, regard intensément… serein, petit rire en cascade, rappelant fortement celui du Dalaï Lama, Seta Manoukian, 79 ans au compteur, est d’une simplicité et d’une modestie que l’on aimerait contagieuses. Il suffit pourtant de prononcer son nom devant des « connaisseurs » – commissaires d’expositions, curateurs et grands collectionneurs – pour soulever aussitôt un florilège d’exclamations admiratives. Et pour cause, elle a été l’une des figures emblématiques de la scène artistique...
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