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Culture - Entretien

Mounira al-Solh : à Venise, je veux transmettre un message poétique, artistique et féministe

L’artiste libanaise, qui représentera le Liban à la Biennale de Venise (du 20 avril au 24 novembre), raconte en exclusivité à « L’Orient-Le Jour » la genèse de son installation « A Dance with her Myth » (Danser avec son mythe), qui a pour décor la civilisation phénicienne et qui, par le biais du mythe d’Europe (enlevée par Zeus sur les rives de Sidon), agit comme une manière de réinventer notre propre histoire.

Mounira al-Solh : à Venise, je veux transmettre un message poétique, artistique et féministe

Mounira al-Solh, l’artiste qui va représenter le Liban à la Biennale de Venise 2024. Photo ©Sfeir-Semler Gallery Beirut & Hamburg ©️LVAA

Pour commencer, comment vous sentez-vous à l’idée de représenter le Liban à la Biennale de Venise en 2024 ?

Nous traversons actuellement des moments extrêmement critiques qui rendent les joies et les moments de bonheur difficiles à apprécier. Le Liban, ainsi que la région dans son ensemble, est plongé dans le chaos de toutes parts, et tout le reste nous semble presque dérisoire. Cela étant dit, c’est un honneur pour moi de représenter mon pays à cette foire prestigieuse et importante. D’autant plus que je pense que, malgré tous nos problèmes, nous, Libanais, méritons cette représentation. Sans cela, le Liban serait davantage invisible. Même au plus fort de nos guerres, même lorsque les artistes libanais n’avaient pas de ressources pour créer leurs œuvres, ils ont toujours trouvé un moyen de continuer à produire et présenter un travail qui leur permet d’amplifier leur voix. J’espère m’inscrire dans cette mouvance. En dépit de tout, je crois qu’il reste au moins cette plateforme merveilleuse que j’entends employer comme un outil pour transmettre un message poétique, artistique et féministe. C’est ma façon de revisiter et de me réapproprier notre histoire qui a toujours été racontée du point de vue des vainqueurs, en particulier dans le cas du thème que j’aborde, du point de vue des hommes grecs.

Comment l’actualité au Liban, à Gaza et dans la région, coïncidant avec la préparation de votre œuvre pour la Biennale, a-t-elle impacté le processus créatif ?

C’était très difficile. Comme tout le monde, mon esprit est embrouillé et j’ai du mal à fonctionner. J’avais commencé à travailler sur cette installation avant le 7 octobre, et le plus fou, c’est qu’en vue de la vidéo que je présenterai à la Biennale, j’étais en tournage à Tyr jusqu’au 4 octobre, ce qui a rendu tout encore plus troublant. En même temps, je pense que plus il y a de catastrophes dans notre pays, plus on ressent le besoin de rechercher des liens forts, des liens du passé, des points d’ancrage de force et d’enrichissement culturel, par exemple. Il faut s’accrocher à des choses qui sont peut-être anciennes et profondément enracinées, mais qui servent de piliers inébranlables en temps de destruction et de déclin. Et ce travail de recherche m’a permis d’une certaine manière de prendre un peu de recul et de guérir mes blessures. Ce qui se passe en ce moment dans notre région m’a également permis de lire les mythes, et le mythe d’Europe plus particulièrement, d’une autre manière. Dans A Dance with her Myth, j’ai voulu, d’une certaine façon, renverser l’histoire d’Europe qui finirait par “reprendre” son histoire, un peu comme si on reprenait notre histoire qu’il nous avait été longtemps impossible de raconter.

« A Dance with her Myth » (Danser avec son mythe), votre installation au sein du pavillon libanais, explore l’idée des mythes, notamment celui d’Europe. Pourquoi les mythes en général, et pourquoi celui-ci en particulier ?

C’est une obsession qui a commencé lorsque j’ai été passer trois jours à Batroun, juste en face du mur phénicien, il y a deux ans. Je me souviens de toute une nuit à la pleine lune, avec ma fille, à regarder les pêcheurs lentement jeter leurs filets avec la lune comme seule lumière. Je me suis mise à les peindre instinctivement et j’ai ressenti une sorte de connexion étrange avec le passé, qui m’avait autorisée à respirer et me reconstruire, d’une certaine manière, après le tragique 4-Août. C’est de là que tout a commencé. Ensuite, alors que je faisais des recherches et lisais sur les Phéniciens, j’ai pris la mesure de l’immensité de ce sujet. Peu à peu, je me suis surtout intéressée aux mythes dans lesquels les femmes jouaient un rôle majeur, dans l’optique d’inverser ces histoires et de faire des femmes les personnages principaux, même quand elles ne l’étaient pas. J’ai focalisé sur le mythe d’Europe comme histoire principale reliant l’ensemble de l’œuvre, surtout que les thèmes liés aux femmes, à leurs corps et à leurs droits ont constamment été présents dans mon travail depuis la fin des années 1990. L’idée était d’une part d’aller vers de nouveaux horizons, de nouvelles connexions, en puisant dans le passé, mais aussi d’être capable de jouer avec les mythes et de les revendiquer. Je me vois comme une jeune “rebelle” libanaise, récupérant une immense histoire, pour jouer dans un petit coin, m’amuser avec, tout en cherchant la signification de la vie, au milieu de tant de catastrophes auxquelles nous sommes confrontés. Et, d’autre part, je voulais montrer qu’en tant que femmes, nous voulons nous débarrasser du rôle de victimes. Je voulais inverser cette image victimaire assignée à la femme. En fait, tout est lié par ce besoin de reprendre nos histoires, de les changer, de les inverser, afin de se les réapproprier.

Le mythe d’Europe, avec son lien à Sidon, soulève en fait des questionnements sur l’identité libanaise, le fantasme de la Phénicie pour certains Libanais et le schisme que cela provoque au sein de la population. Quelle est votre perspective sur ce débat ?

Je pense que l’identité n’est pas quelque chose de fermé, de figé, et surtout en tant que Libanais, je crois que nous avons le droit d’être pluri-identitaires. Nous pouvons être à la fois arabes, phéniciens, levantins, car nous portons en nous toutes ces identités, et c’est d’ailleurs ainsi que les Phéniciens se percevaient. La Phénicie, c’était un ensemble, certes, mais c’était aussi plusieurs villes, Saïda, Tyr, Batroun, etc., qui composaient de petits pays et donc des fragments d’identité au sein d’une civilisation. En ce sens, je considère que la fragmentation de nos identités devrait être perçue comme un point de force et non comme un point de conflit.

Entre mythes et faits scientifiques, où situez-vous la vérité dans la construction de l’histoire collective ?

Dans ma pratique, je ne cherche pas la vérité. Au contraire, ma démarche consiste à « voler » l’histoire, notre histoire, pour la redire à ma manière. Dans la mythologie, Europe a été enlevée par Zeus et emmenée en Crète. C’est pour cette raison que, l’été dernier, je me suis rendue en Crète pour voir « l’autre côté de l’histoire ». Je voulais capturer, voire « voler » cette histoire à ses auteurs grecs masculins. Je voulais la rapprocher de ma manière de penser, encore plus proche de ma propre biographie, sans que le travail ne devienne autobiographique. Ce qui me fascine, en effet, c’est la manière dont les mythes, qui ne sont pas des vérités scientifiquement prouvées, ont justement le pouvoir de devenir plus importants, plus véridiques que la réalité.

Votre travail explore les comportements sociaux et l’appartenance des Libanais. Quelles analogies avez-vous découvertes entre nos comportements et ceux des Phéniciens ?

En lisant l’histoire phénicienne, j’ai réalisé à quel point elle reflète notre manière de vivre aujourd’hui, en particulier nos flux migratoires, et notamment la manière dont nous, Libanais, scrutons l’horizon depuis l’âge du fer, voire plus tôt. Nos multiples migrations depuis et les retours dans nos villes rappellent les voyages incessants des Phéniciens depuis et vers les côtes du Liban. Les Phéniciens n’avaient pas l’aspiration de devenir un grand empire, tout comme nous, où la mer est notre seul empire. L’idée d’exil, de voyage, d’allers et de retours en dépit de tout ressemble aussi au comportement des Phéniciens. Cette continuité dans le mouvement, cette affinité avec la mer et cette absence d’ambition impériale créent des parallèles intrigants entre notre époque contemporaine et l’histoire ancienne des Phéniciens.

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D’où le fait qu’une barque chavirée occupe une place significative dans votre installation ?

Cette barque, que j’ai imaginée ouverte, trouve son origine dans ma volonté de donner de l’espace à nos histoires, souvent négligées, et d’encourager une relecture de l’histoire de manière plus globale. La barque, ouverte, symbolise cet espace que je souhaite accorder à d’autres versions et points de vue, une invitation à écouter une perspective alternative de l’histoire. Trop souvent, nous avons été confrontés au point de vue de Zeus dans le mythe d’Europe, miroir du point de vue occidental, patriarcal et colonialiste. L’inclusion de la mer dans l’installation reflète son importance cruciale dans la civilisation phénicienne. Cependant, j’ai également puisé dans d’autres éléments propres à cette civilisation, tels que des références à des fleurs, des triangles et des animaux représentant des mythes phéniciens, visibles encore aujourd’hui sur des mosaïques romaines. L’utilisation des couleurs dans mon œuvre est aussi fortement inspirée des Phéniciens. Tout comme eux qui se rendaient à Chypre pour se procurer du bronze et découvraient l’or, j’incorpore ces teintes dans l’installation. La coquille de murex occupe en ce sens une place prépondérante. Les teintes qu’elle produisait sont visibles, sous différentes nuances, dans certaines des peintures de l’œuvre. J’utilise du charbon de bois pour dessiner et colorer, reflétant ainsi la manière dont les Phéniciens naviguaient pour trouver du charbon.

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« A dance with her Myth » et le choix du mythe d’Europe mettent la femme au centre de votre installation et en lumière la question du traitement du corps des femmes, évoquant des thèmes de viol et de pillages…

Les mythes des Phéniciens ont principalement été rédigés par des auteurs occidentaux masculins. Alors, pourquoi ne pas jouer avec eux, les modifier pour qu’ils reflètent quelque chose que nous aimerions lire aujourd’hui ? C’est en me posant cette question que j’ai voulu aborder le personnage d’Europe en lui redonnant le pouvoir, en déconstruisant l’image de victime sensuelle et sans défenses qu’on a d’elle. Dans cinq toiles présentées dans mon installation, c’est Europe qui porte Zeus, au lieu d’être la victime emportée. L’histoire, je la retourne sur plusieurs fronts, dont celui de la notion de la féminité à laquelle j’insuffle un caractère féministe. Europe est au centre de mon installation, elle devient un symbole de puissance et non de sensualité ou de victime.

Comment vous sentez-vous à deux mois de l’ouverture de la Biennale ?

C’est à la fois beaucoup de stress et beaucoup d’excitation… J’aimerais que cette installation donne une voix, une représentation au Liban, mais aussi qu’elle permette de poser des questions par rapport à notre lecture de l’histoire… Et aussi qu’elle agisse comme une manière pour nous de la réécrire, après en avoir été longtemps privés. 

Pour commencer, comment vous sentez-vous à l’idée de représenter le Liban à la Biennale de Venise en 2024 ?Nous traversons actuellement des moments extrêmement critiques qui rendent les joies et les moments de bonheur difficiles à apprécier. Le Liban, ainsi que la région dans son ensemble, est plongé dans le chaos de toutes parts, et tout le reste nous semble presque...

commentaires (2)

Belle initiative, bravo !

Wow

13 h 55, le 26 février 2024

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Commentaires (2)

  • Belle initiative, bravo !

    Wow

    13 h 55, le 26 février 2024

  • Bravo Madame et toutes mes félicitations pour votre approche artistique représentant le Liban lors de la biennale de Venise. Toutes fois au cas ou vous seriez approchée pour répondre a toute question, demandez tout d'abord a connaitre sa nationalité , sinon vous pourriez tomber entre les mains d'un malade ou d'un fou furieux comme c'était dernièrement le cas de l'incident qui vient déranger la vie de cette pauvre Madame Nancy Ajram lors de sa présence a Chypre. Bon Courage.

    DRAGHI Umberto

    12 h 39, le 24 février 2024

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