Pas de création sans créateur, pas de créateur sans créature. Longtemps on a associé exclusivement la créature au créateur. Le Créateur est l’Être suprême, sempiternel, et ses créatures ne sont que des êtres modestes, fragiles, mortels, qui n’ont de valeur que parce qu’ils sont le fruit de la volonté du Créateur éternel. Leurs corps se désintègrent après une mort certaine. Leurs esprits sont voués aux enfers s’ils n’obéissent pas scrupuleusement aux ordres de Celui qui a voulu qu’ils soient.
C’est un trait commun à toutes les religions qui ont pour raison d’être de donner un sens à la vie, à la mort et par la suite conjurer celle-ci. L’on a trouvé finalement un moyen pour faire cohabiter l’être humain avec l’insoutenable conscience de sa propre mortalité.
Tout cela est vieux comme l’humanité, sans compter l’inattendu, l’inespéré, l’inexplicable, la création artistique.
La création nous transforme de créature en créateur. La création est fondamentalement différente de la procréation. La procréation est commune à tous les êtres vivants, sans exception aucune. La création artistique est exclusivement le propre de l’humain qui n’est capable d’aucune autre forme de création réelle.
Lorsqu’il crée, l’humain donne forme à ses pensées, certes, mais aussi et surtout à ses émotions. Quelque chose de si intime, de si confus, prend soudain forme, se concrétise et devient par la suite relativement accessible, presque compréhensible par les autres, et ce d’une manière durable qui transcende le créateur lui-même. L’œuvre survit toujours à celui qui l’a créée car il y a une forme de divinité, un parfum d’éternité. Le vouloir est créateur. Le devoir est créature.
Cette immensité incite l’autre à admirer, à vibrer, à réfléchir, à adhérer, à critiquer ou à rejeter. Qu’en est-il de l’artiste ? L’artiste se trouve devant lui-même, ses idées et ses émotions, à travers une œuvre qui reflète un instantané de sa vie, exprimé dans l’obscurité de la solitude et qui s’exhibe soudain au grand jour. Ce créateur sublimé se voit nu à travers son œuvre, sans protection et sans défense. Plus il crée, plus il est fragile ; plus il est fragile, plus il a besoin de créer, jusqu’à l’extase, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort, seul passage vers l’éternité.
Pierre BOU ASSI
Député
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Sempiternel = Éternel + pédanterie
17 h 40, le 13 août 2024