Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

L’arrivée de Bernard Pivot au paradis

En hommage à Bernard Pivot, une scène imaginée de son arrivée au paradis.

Bernard Pivot a tiré sa révérence et est enfin arrivé devant la porte du paradis, avec une bouteille de Romanée Conti dans une main (destinée au Très-Haut), et le Ainsi parlait Zarathoustra dans l’autre. Il espérait bien que Dieu lui expliquerait le sens profond de cette œuvre qui a bouleversé les croyances de notre siècle, et voulait surtout comprendre pourquoi Il avait permis cela.

Saint Pierre est là pour l’accueillir. Il apostropha ce nouveau venu aux sourcils en broussaille, qui avait l’air plutôt étonné de se retrouver déjà au paradis.

- Qui êtes-vous ? demanda saint Pierre.

- Pivot, Bernard, pour vous servir. N’avez-vous donc pas entendu parler de moi ? Je suis connu partout dans le monde : Apostrophes, Bouillon de culture, l’académie Goncourt, etc. Je suis un passionné des mots, un passionné de la langue française, un passionné de la littérature… sans parler du vin (le bon beaujolais de chez nous), du foot et autres jouissances terrestres. Mais des jouissances inoffensives et qui ne dérogent pas aux commandements divins.

Cela dit, Bernard Pivot était un peu dépité de devoir expliquer tout cela, mais aussi déçu car il pensait que Dieu lui-même serait là pour le recevoir. Il demanda donc à saint Pierre :

- Mais où est Dieu ?

- Dieu est partout mon fils, répondit celui qui fut le chef des apôtres.

- Non, non, ce n’est pas de catéchisme que je parle. Je veux dire : pourquoi n’est-Il pas là pour m’accueillir ? Je L’ai rendu populaire, j’en parlais lors de chacune de mes émissions, répliqua Pivot. Ne regardiez-vous pas Bouillon de culture ?

- Mais bien évidemment, sourit gentiment saint Pierre... Je ne vous avais pas reconnu tout de suite mais là, je vous replace. Vos émissions nous distrayaient, on en discutait souvent avec les hommes de lettres, philosophes ou théologiens qui nous ont rejoints au paradis.

- Alors, dit Pivot, vous n’êtes pas sans savoir que je finissais toujours l’émission avec Lui.

En effet, répondit saint Pierre avec un sourire malicieux, mais votre question qui commence par ce « si » conditionnel (et je vous la rappelle : « Si Dieu existe qu’aimeriez-vous après votre mort, l’entendre vous dire ? ») ne

mettait-elle pas un peu en doute l’existence du Très-Haut ?

N’influenciez-vous pas votre nombreuse audience en instillant ce conditionnel comme si l’existence divine était une probabilité et non une certitude ? Alors voilà, Dieu ne s’est pas précipité pour vous accueillir. Estimez-vous heureux d’avoir quand même atterri chez nous.

Pivot, pour la première fois de sa vie (enfin son après-vie), se trouve tout décontenancé. Mais son sens de la répartie vint à son secours.

- Ah, mon cher saint Pierre (et

permettez-moi de vous appeler mon cher), dites-moi, est-ce que le grand philosophe Blaise Pascal est au paradis ?

Saint Pierre haussa les sourcils.

- Bien évidemment que ce grand homme est parmi nous. Lui justement fut reçu en personne par le Très-Haut, et avec tous les honneurs. Sa vie fut exemplaire, vous n’êtes pas sans le savoir.

- Mais alors, rétorqua Pivot, il me semble que la foi de ce grand philosophe reposait aussi sur un pari ! On l’analyse aujourd’hui comme le « pari de Pascal » et l’enjeu est qu’on ne peut parvenir à la connaissance de l’existence de Dieu par la raison seule et que la meilleure chose à faire est donc de vivre comme s’il existait, parce que ainsi, on a tout à gagner et rien à perdre. N’est-ce pas cela l’expression d’un doute ?

Saint Pierre se gratta la tête. La rhétorique n’était pas son fort, et il n’avait pas envie de rentrer dans ces considérations philosophiques conçues par des cerveaux humains alambiqués.

Il dit alors à Pivot :

- Écoutez, vous êtes au paradis, n’est-ce pas l’essentiel ? Je vous suggère de régler vos problèmes de doute autour de colloques hebdomadaires. Vous pourriez appeler cela : « Rencontres paradisiaques » ou « Bouillons bénis ». Vous pourrez alors y inviter Pascal lui-même. Sachez toutefois que vous ne trouverez pas tous vos intellectuels ici. Les Sade, Nietzsche, Schopenhauer, Sartre, Bataille, Sollers (et même Voltaire, et pourtant il était déiste mais sa foi était chancelante) et autres ont leur propre salon dans l’étage du dessous. Ils ont aussi des réunions hebdomadaires (intitulées « L’enfer, c’est nous ») lors desquelles ils se chamaillent comme larrons en foire. Je vous conseille aussi de balancer votre Zarathoustra, cela fait mauvais effet

Pivot se tut. En son for intérieur, il se dit qu’il l’avait échappé belle. Il arbora alors son sourire le plus chaleureux, et il serra les mains de saint Pierre en lui offrant la bouteille de Romanée Conti. Cette bouteille était destinée à Dieu mais, se dit Pivot, se rappelant les noces de Cana, le maître du ciel et de la terre pourra créer autant de Romanée Conti qu’il le désire.

Marie-Thérèse BALLIN

Toronto, Canada

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

En hommage à Bernard Pivot, une scène imaginée de son arrivée au paradis.Bernard Pivot a tiré sa révérence et est enfin arrivé devant la porte du paradis, avec une bouteille de Romanée Conti dans une main (destinée au Très-Haut), et le Ainsi parlait Zarathoustra dans l’autre. Il espérait bien que Dieu lui expliquerait le sens profond de cette œuvre qui a bouleversé les croyances de notre siècle, et voulait surtout comprendre pourquoi Il avait permis cela. Saint Pierre est là pour l’accueillir. Il apostropha ce nouveau venu aux sourcils en broussaille, qui avait l’air plutôt étonné de se retrouver déjà au paradis.- Qui êtes-vous ? demanda saint Pierre.- Pivot, Bernard, pour vous servir. N’avez-vous donc pas entendu parler de moi ? Je suis connu partout dans le monde : Apostrophes, Bouillon de culture,...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut