
L¹activiste Makram Rabah est un chercheur politique enseignant à l'AUB. Photo d’archives OLJ
Connu pour sa farouche opposition au Hezbollah, l’intellectuel Makram Rabah, maître de conférences en histoire à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), a été interrogé lundi par la Sûreté générale (SG), avant d’être placé en garde à vue puis relâché sous caution. M. Rabah avait lui-même annoncé dimanche sa convocation. « J’ai été notifié hier (samedi) d’une audition devant le service des investigations sécuritaires de la Sûreté générale. Ils veulent probablement que je les informe de la réunion de l’axe de la « diversion » et de la « résistance » qui s’est tenue la semaine dernière à Beyrouth », avait-il ironisé sur X.
L’activiste politique faisait ainsi allusion à l’impuissance de l’État libanais face aux actions menées sur son territoire par des membres de cet axe. Des dirigeants du Hamas et des représentants des rebelles yéménites houthis s’étaient ainsi rencontrés à Beyrouth il y a quelques jours pour discuter de la « coordination » de leurs actions contre Israël, selon l’AFP. Le Jihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) avaient également participé à la réunion, avait ajouté une source palestinienne. On sait que le Jihad islamique, les houthis, le Hezbollah et des milices irakiennes font partie de « l’axe de la résistance », auquel a fait référence Makram Rabah dans son tweet. Quant à « la diversion » évoquée par ce dernier, il s’agit de la décision du Hezbollah d’ouvrir un front face à Israël au Liban-Sud pour alléger la pression sur Gaza, explique à L’Orient-Le Jour un opposant au parti chiite sous couvert d’anonymat, critiquant cette décision qui « n’a pas empêché la destruction de l’enclave palestinienne ».
Lors d’une émission (« Spotshot ») diffusée il y a quelques jours par le site électronique Lebanon debate, M. Rabah avait souhaité, sur un ton humoristique, qu’« Israël s’empare du Litani », affirmant qu’un tel fait serait préférable à « la transformation de ce fleuve en un égout ». Il pointait ainsi du doigt la pollution du Litani causée par les millions de mètres cubes d’eaux usées qui s’y déversent régulièrement.
« Drones de noces »
Proche de l’analyste politique et leader d’opinion Lokman Slim, un opposant notoire au Hezbollah qui avait été assassiné en février 2021, Makram Rabah avait en outre pris en dérision les drones du Hezbollah, les comparant à « ceux utilisés lors des célébrations de noces ». « Un clin d’œil au fait que ces engins ne provoquent pas des destructions importantes », explique une opposante au Hezbollah sous couvert d’anonymat.
Dans la même émission, l’enseignant universitaire avait prôné l’idée que les terres libanaises litigieuses puissent être restituées par « des moyens diplomatiques, comme lors de l’accord sur la frontière maritime avec Israël (octobre 2022) ». À la fin de l’interview, il avait relevé qu’« aux yeux du Hezbollah, nous sommes tous des traîtres », citant dans ce cadre les noms de Lokman Slim et Samir Kassir, journaliste assassiné en 2005.
M. Rabah avait été notifié de l’audience sur ordre du commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire Fadi Akiki, un parent du chef du Parlement Nabih Berry. L’activiste avait renoncé à mobiliser la rue opposante au Hezbollah et s’est rendu à la séance d’interrogatoire avec son avocat. Au terme de l’audience qui a débuté à 9h et s’est prolongée jusqu’en début d’après-midi, le juge Akiki a enjoint à la Sûreté générale de ne pas relâcher l’activiste avant qu’il ne lui livre son téléphone portable. Une injonction que ce dernier a fermement refusée, sachant qu’en tout état de cause, il ne le portait pas sur lui.
À sa sortie du siège de la SG, Makram Rabah a affirmé que « le juge Akiki a prouvé que la justice et l’État libanais sont sous l'hégémonie du Hezbollah ». « Il s’avère aujourd’hui que le tribunal militaire est utilisé pour réprimer les opposants à ce parti, comme l’avait déclaré Lokman Slim », a ajouté M. Rabah, estimant que s’il avait été « un trafiquant de captagon affilié au Hezbollah », il n’aurait pas été convoqué sur instruction du juge Akiki. « Zéro peur », a-t-il répété trois fois.
« Retirer son téléphone à un citoyen est une atteinte à la propriété privée », martèle son avocat Lou’aï Ghandour, joint par L’OLJ. « Makram Rabah a été interrogé par la SG pour des propos qu’il avait exprimés dans une interview politique. L’audition n’avait donc aucun lien avec son téléphone », ajoute l’avocat, précisant qu’« il ne s’agissait pas d’une enquête sur des contacts avec Israël ». « Nous avons donc maintenu notre refus de livrer le portable, quitte à ce que la SG choisisse de l’arrêter », indique Me Ghandour, précisant que l’activiste « a finalement été libéré sous caution », alors que ses sympathisants s’étaient rassemblés devant le bâtiment de la SG, situé dans le secteur du Musée, à Beyrouth. En concomitance, le secrétaire général du Bloc national Michel Helou a appelé à rejoindre le rassemblement, écrivant sur son compte X que « retenir l’activiste et ami Makram Rabah pour avoir simplement refusé de livrer son portable est une atteinte à la liberté d’expression et au droit à la vie privée ».
Dans la soirée, la SG a regretté, dans un communiqué, le fait que certains médias et internautes aient évoqué la convocation de M. Rabah « de manière négative » et un « manque de professionnalisme » face à une « enquête judiciaire ». La SG « a le devoir de faire appliquer la loi, à la demande du pouvoir judiciaire, de la décision d'ouvrir une enquête jusqu'à la libération ou la mise en état d'arrestation » des personnes concernées. Elle le fait en s'engageant à respecter « les droits de l'homme, sous la supervision du pouvoir judiciaire compétent ».
Harcèlement
Interrogée par notre journal, Racha el-Amir, sœur de Lokman Slim, estime que « les dictatures n’aiment ni leurs contradicteurs ni l’humour ». « Elles musellent les voix libres et tuent », note-t-elle, regrettant que « ces voix sont de plus en plus réduites au silence par la force des armes ».
Les Forces libanaises ont stigmatisé la convocation de M. Rabah, jugeant dans un communiqué qu’« elle n’est pas conforme aux libertés d’opinion et d’expression, et constitue une menace pour la nature et le rôle du Liban ».
De son côté, le chef des Kataëb Samy Gemayel a exprimé sa solidarité avec l’activiste. « Nous avons affronté par le passé un système judiciaro-sécuritaire et l’avons fait chuter », a-t-il écrit sur X, soulignant qu’« on ne permettra sous aucun prétexte un retour aux dossiers fabriqués et aux atteintes à la liberté d’expression ».
Quant au chef du Parti socialiste progressiste (PSP) Walid Joumblatt, il a fait une déclaration plus nuancée. « Je respecte la liberté d’opinion, mais je refuse les moqueries, alors que la guerre ouverte et continue contre Gaza et le Liban est à son comble », a-t-il écrit sur X. De confession druze, M. Rabah était réputé proche du PSP.
À l’international, Robert Satloff, directeur exécutif du Washington Institute, a fustigé sur X « le harcèlement de Makram Rabah », affirmant qu’« il ne passera pas inaperçu « ».
En soirée, la Sûreté générale a publié un communiqué dans lequel elle a affirmé qu' « en sa qualité de police judiciaire, il est de son obligation d'appliquer la loi sur base d'instructions de la justice (compétente) ». Et ce, « dès sa réception de la décisision d'enquête, jusqu'à la remise en liberté ou l'arrestation », ajoute le communiqué.
Nous avons sacrifié nos vies pour nos Zouaamas et voilà comment il est défendu pardon fendu ou pourfendu par son Zaïm! Une nouvelle heureuse pour tout le monde ! Arrêtez de suivre ces gens là et la moitié du parcours est fait pour sortir le Liban de l’engluement dramatique dans lequel il est !
09 h 06, le 20 mars 2024