Alors que la guerre continue de ravager Gaza, le New York Times a révélé, dans un article publié mardi dernier et citant des officiels américains et iraniens, que Téhéran avait demandé à ses alliés dans tout le Moyen-Orient de suspendre leurs attaques contre les forces américaines, craignant que cela ne l’entraîne dans un conflit avec les États-Unis. Depuis le début du conflit, les Iraniens se sont en effet montrés calculateurs dans leur approche, montrant l’étendue de leur influence par le biais de leurs alliés au Liban, au Yémen et en Irak, tout en évitant de provoquer une conflagration régionale qui pourrait les impliquer directement et détruire leurs atouts les plus précieux.
Le nouvel ordre régional a montré que l’Iran était incontournable. Les États-Unis ont pratiquement reconnu ce fait, que ce soit sous les administrations Obama et Biden, ou sous l’ancien président Donald Trump, qui n’a pas riposté aux frappes sur les installations pétrolières saoudiennes en septembre 2019. Les admirateurs de Trump l’ont applaudi lorsqu’il s’est retiré de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, mais ont gardé un silence de pierre depuis lors, alors que Téhéran a fait progresser son programme nucléaire. Ils n’étaient pas non plus présents lorsque les Iraniens ont bombardé les installations pétrolières saoudiennes d’Abqaiq et de Khurais, après quoi M. Trump n’a pu qu’affirmer docilement qu’il cherchait à « éviter la guerre » avec l’Iran.
Axe de ruine
Une idée défendue par l’ancien président Barack Obama est en train de se concrétiser. « La concurrence entre les Saoudiens et les Iraniens – qui a contribué à alimenter les guerres par procuration et le chaos en Syrie, en Irak et au Yémen – nous oblige à dire à nos amis ainsi qu’aux Iraniens qu’ils doivent trouver un moyen efficace de partager le voisinage et d’instaurer une sorte de paix froide », avait notamment déclaré ce dernier dans une interview accordée à The Atlantic en avril 2016. La réconciliation entre Riyad et Téhéran, parrainée l’an dernier par Pékin, a donné un premier signal sur la possibilité d’une telle issue, et les développements en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen l’ont confirmé depuis.
Pourtant, malgré la reconnaissance de l’influence régionale croissante de l’Iran, une chose est tout aussi évidente. Partout où les Iraniens ont affirmé leur pouvoir, les résultats ont été catastrophiques. Le réseau d’acteurs politico-militaires régionaux dans l’orbite iranienne se qualifie d’« axe de la résistance », mais la réalité est que partout il s’agit avant tout d’un axe de ruine. La Syrie et le Yémen sont dévastés ; l’Irak est dominé par des milices pro-iraniennes qui ont empêché l’émergence d’un État fonctionnel et sapé les élections ; au Liban, le Hezbollah a protégé une classe politique qui a provoqué un effondrement économique tout en faisant dérailler les réformes économiques ; et à Gaza, les alliés de l’Iran ont provoqué une guerre qui a ravagé le territoire. Où que les Arabes regardent, le modèle iranien a renforcé le pouvoir de Téhéran, mais a laissé les sociétés dans la misère.
Cela doit changer si l’Iran veut consolider son influence dans la région. Hormis en Irak, la stratégie iranienne consistant à soutenir des minorités armées et soudées contre des majorités divisées s’est avérée très efficace, mais elle ne constitue pas un projet durable à long terme. Par exemple, en Syrie et au Liban, il est évident pour l’Iran et ses alliés que ces deux pays ne seront pas remis sur les rails sans une aide considérable des pays arabes du Golfe, majoritairement sunnites, qui étaient il n’y a pas si longtemps encore les principaux rivaux régionaux de Téhéran. L’ampleur des dégâts et des souffrances à Gaza est telle que l’enclave n’est sans doute plus en mesure de constituer un point de pression iranien sur Israël. Cela accrédite l’idée que si Téhéran a pu contribuer à la préparation de l’attaque du 7 octobre 2023, il n’en a pas approuvé le calendrier.
Certains signes montrent que l’Iran est conscient des lacunes de son approche, le plus notable étant l’accord conclu avec l’Arabie saoudite. Dans le même temps, les Iraniens ont également atteint les limites extérieures de leur influence, de sorte qu’un conflit supplémentaire n’est pas nécessairement dans leur intérêt. Ils n’ont plus grand-chose à gagner maintenant qu’ils jouent un rôle de premier plan dans les affaires libanaises, syriennes, yéménites, irakiennes et palestiniennes. S’ils ne consolident pas leur pouvoir en permettant à ces sociétés de se stabiliser et de progresser, il est plus que probable que leur autorité s’érodera.
Pourtant, les structures de pouvoir iraniennes dans la région sont marquées par une tension inhérente. Ce qui permet aux alliés de l’Iran de rester en position dominante chez eux, c’est leur armement. Même si l’Iran est prêt à faire des compromis avec d’autres pays pour revitaliser des pays comme le Liban, la Syrie, le Yémen, l’Irak et la Palestine, il aura tendance à maintenir en place des groupes armés affiliés pour garantir son influence. Dans les sociétés pluralistes, souvent pluriconfessionnelles, du monde arabe, cette menace implicite ne fera que susciter un ressentiment croissant à l’égard des alliés de l’Iran, compliquant ainsi ce processus de consolidation.
Changement significatif
Dans ces conditions, que peuvent faire les Iraniens ? S’ils s’éloignent progressivement de leurs alliés miliciens au profit de relations d’État à État dans lesquels les États arabes auront leur mot à dire, ils risquent de voir leur pouvoir s’effriter. C’est pourtant la seule véritable option qui s’offre à Téhéran : les Iraniens ont les ressources financières et culturelles nécessaires pour compenser cet effritement par une politique de « soft power », tout en réalisant peut-être qu’en ne désarmant pas ses alliés, les États concernés resteront en fin de compte dysfonctionnels, avec le risque d’un contrecoup négatif pour Téhéran.
Quelle que soit la voie choisie par l’Iran, nous sommes déjà en train d’assister à un changement significatif de sa part. Les choix des Iraniens dans la région découleront probablement de dynamiques internes, mais seront également liés aux relations extérieures de Téhéran. L’influence de la Chine en particulier sera décisive, puisque Pékin est devenu un facteur de stabilité dans une région où il a des enjeux économiques majeurs. Alors que les Chinois cherchent à obtenir un accès plus sûr aux hydrocarbures de la région et à faire progresser leur « nouvelle route de la soie », l’Iran pourrait bien être contraint de les satisfaire. Cela pourrait à son tour affecter les activités du puissant Corps des gardiens de la révolution islamique, pour lequel l’instabilité régionale a souvent créé des opportunités précieuses.
Toutefois, en l’absence d’une vision claire de la dynamique institutionnelle en interne, il est difficile de prédire quel sera le résultat final. L’Iran se trouve à un moment essentiel de son effort de plusieurs décennies pour occuper le devant de la scène au Moyen-Orient, mais il est également confronté à la méfiance et au ressentiment de nombreuses sociétés arabes. La façon dont il aborde cette situation et les exigences conflictuelles du pouvoir définiront la région dans les années à venir.
Ce texte est aussi disponible en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.
Par Michael YOUNG
Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).
Sur le bout du canon je lis les 3 lettres latines : FWD, qui veut dire en englais, langue du grand Satan: l'avant. Ils n'ont pas honte d'utiliser la technologie occidentale qu'ils critiquent tant ? Sans les américains, ces barbus serait encore au moyen âge, en sandalettes, entrain de discuter de la theorie de la terre plate.
09 h 57, le 02 mars 2024