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Idées - Commentaire

Accord Arabie-Iran : vers une « Sainte-Alliance » moyen-orientale ?

Accord Arabie-Iran : vers une « Sainte-Alliance » moyen-orientale ?

Photo d’illustration : Musaad bin Mohammad al-Aiban, conseiller à la sécurité de l’Arabie saoudite, et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Ali Shamkhani, à Pékin le 10 mars 2023. Archives Reuters

La signature de l’accord de normalisation des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le 10 mars à Pékin, a conduit la plupart des observateurs à annoncer la fin d’un Moyen-Orient unipolaire, le rôle de médiation de la Chine dans cet accord montrant que le pouvoir incontesté des États-Unis était révolu.

Cela est sans doute vrai, mais dix ans après que le président Barak Obama a entamé le « pivot vers l’Asie », et plusieurs années après le début d’un interrègne au cours duquel les puissances internationales et régionales – la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Iran, la Turquie, Israël et même Oman – ont pesé sur la dynamique géopolitique au Moyen-Orient, on peut supposer qu’une telle conclusion aurait dû être tirée bien plus tôt.

Ce qui est plus intrigant, c’est de savoir où pourrait mener un Moyen-Orient multipolaire. Et là, les possibilités ne sont pas nombreuses. Soit la région continuera d’être une foire d’empoigne d’États, comme c’est le cas aujourd’hui, chacun invoquant son intérêt national pour justifier ses actions, soit elle parviendra à atteindre une plus grande stabilité, l’ordre finissant par s’imposer dans le chaos ambiant.

Assurer plus de stabilité
L’accord de Pékin suggère que deux des principales puissances de la région cherchent à normaliser leurs relations afin de parvenir à assurer davantage de stabilité. Et les deux parties ont raison de le faire. Pour les Saoudiens, le conflit au Yémen a lourdement grevé les finances de Riyad et détourné l’attention des aspirations du prince héritier Mohammad ben Salmane à changer le royaume et à adapter son économie à l’ère de posthydrocarbures. Quant à l’Iran, quintessence de la puissance révisionniste, il a lui aussi intérêt à consolider ce qu’il a gagné depuis une quinzaine d’années. Les Iraniens dominent la Syrie, le Liban, l’Irak et une partie du Yémen, mais tout ce qu’ils ont à montrer, ce sont des pays en ruine, où ses alliés sont de plus en plus vilipendés. Le seul modèle proposé par l’Iran est la dévastation économique et l’asphyxie politique, ce qui a provoqué une réaction en chaîne sur la scène interne, les Iraniens ayant passé des mois à se révolter contre un système qui semble avoir perdu toute légitimité. Les dirigeants du pays se rendent compte que la transition après la mort de l’ayatollah Ali Khamenei risque d’être beaucoup plus difficile que prévu, alors que les limites de l’influence régionale de la puissance chiite ont effectivement été atteintes.

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La plupart des grandes puissances de la région, et toutes les petites, accueilleraient favorablement un système régional stable. De nombreux pays sont aux prises avec un profond mécontentement interne, car les gouvernements ne peuvent plus remplir l’ancien contrat social qui consistait à fournir à leurs habitants un certain degré de bien-être social et économique en échange d’un assentiment politique. L’une des voies vers la stabilité interne consiste à s’appuyer sur un ordre régional sûr, de même qu’un ordre régional sûr réduit la probabilité que les États règlent leurs différends sur les territoires de voisins divisés.

Contrairement au système régional qui s’est effondré dans les années 1990, après que les États-Unis ont pris toute la place sur la scène politique arabe, un nouvel ordre régional inclura – ou plutôt, inclut déjà – des États non arabes à la périphérie du monde arabe, à savoir l’Iran, la Turquie et Israël. La réconciliation entre Riyad et Téhéran a implicitement reconnu les enjeux régionaux iraniens, tout comme la réconciliation de plusieurs États arabes avec la Turquie et les accords de paix avec Israël ont reconnu les enjeux régionaux turcs et israéliens.

Retour de la « politique des axes » ?
Lorsque l’on parle d’un nouvel ordre régional, on a tendance à être optimiste. Tout ce qui réduit les guerres par procuration destructrices qui ont épuisé les États et les sociétés de toute la région est considéré comme une bonne chose, d’autant plus que personne n’est sorti indemne de ces dernières. Cependant, quel que soit le bien-fondé de cet optimisme, il mérite également un examen plus approfondi.

Dans un essai publié au printemps 1993 dans la Beirut Review, le regretté Samir Kassir a établi une distinction entre différents types de systèmes étatiques arabes. Des années 1950 aux années 1980, la région était caractérisée par ce que l’on appelait la « politique des axes » (« siyassat al-mahawir »), dans laquelle les relations interarabes étaient déterminées par les rivalités entre les capitales de la région. Toutefois, dans les années 1990, après la première guerre du Golfe, les relations entre les États reflétaient ce que Kassir a décrit comme une « anomie », dans laquelle « la capacité d’un certain nombre d’États à intervenir politiquement en dehors de leurs frontières s’est effondrée, de même que leur capacité à jouer un rôle sur la scène politique interarabe ».

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Aujourd’hui, nous sommes dans une situation proche de la « politique des axes », mais avec tellement d’axes qu’il y a un manque de cohérence régionale, car les États changent constamment d’alliances, en fonction de leurs agendas. En outre, de nombreux États arabes, l’Iran, la Turquie et Israël ont passé une décennie à intervenir en dehors de leurs frontières, exacerbant ainsi l’incertitude régionale.

Le système interétatique arabe du passé n’a en aucun cas mis fin aux rivalités régionales, et tout nouvel ordre régional échouera certainement à le faire également. Toutefois, les États arabes disposant de mécanismes efficaces reflétant un consensus autour de la défense d’ordres autoritaires prometteurs de stabilité ont parfois réussi à contenir des conflits dangereux et ont permis à des coalitions d’États de neutraliser les menaces pesant sur leur sécurité nationale. Ces mécanismes seront les piliers de tout nouvel ordre régional qui verra le jour.

Un tel ordre serait fondé sur des impulsions antidémocratiques, notamment la protection des régimes, la collaboration contre-révolutionnaire (sur le modèle de la « Sainte-Alliance » établie par les monarchies conservatrices européennes en 1815) et la défense absolue de la souveraineté. Elle pourrait ensuite évoluer vers quelque chose de plus ambitieux, comme des accords de sécurité régionale, mais les limites de cette démarche sont évidentes, étant donné qu’Israël et l’Iran resteront des ennemis.

Après une décennie de soulèvements, les dirigeants de la région savent ce qui les menacent le plus. Tout nouvel ordre qu’ils mettront en place sera axé sur cette question. Le ciment qui unit ces nations sera la volonté de faire taire les voix indépendantes qui pourraient à nouveau se faire entendre. Telle sera l’idéologie commune de notre nouvelle ère moyen-orientale.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur « Diwan », le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de « Diwan ». Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

La signature de l’accord de normalisation des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le 10 mars à Pékin, a conduit la plupart des observateurs à annoncer la fin d’un Moyen-Orient unipolaire, le rôle de médiation de la Chine dans cet accord montrant que le pouvoir incontesté des États-Unis était révolu.Cela est sans doute vrai, mais dix ans après...

commentaires (3)

Ces pays n’ont pas besoin d’une intervention étrangère pour se saboter et se tirer dans les pattes, ils s’en chargent tout seuls comme des grands aussitôt qu’un de ces pays prenne l’ascendant sur les autres, puisque chacun d’eux se prend pour le roi dominant alors que seul un, peut trôner. Une situation inextricable qui prendrait l’eau aussitôt qu’un roi sera désigné.

Sissi zayyat

12 h 01, le 01 avril 2023

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Commentaires (3)

  • Ces pays n’ont pas besoin d’une intervention étrangère pour se saboter et se tirer dans les pattes, ils s’en chargent tout seuls comme des grands aussitôt qu’un de ces pays prenne l’ascendant sur les autres, puisque chacun d’eux se prend pour le roi dominant alors que seul un, peut trôner. Une situation inextricable qui prendrait l’eau aussitôt qu’un roi sera désigné.

    Sissi zayyat

    12 h 01, le 01 avril 2023

  • Attention aux idées simplistes, complot is tes et démagogues, avancées par des anciens du palais bustros.

    Zampano

    03 h 40, le 29 mars 2023

  • Si les États-Unis qui veulent toujours diviser pour régner , retiraient leur épingle du jeu , ce serait bien mieux pour tous les Etats du Moyen -orient (sauf pour Israel bien sûr)

    Chucri Abboud

    12 h 54, le 25 mars 2023

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