Les dirigeants du Hamas ont déclaré que tout accord de cessez-le-feu à Gaza devait inclure la libération de Marwan Barghouti, qui se trouve dans une prison israélienne depuis 2002. En réalité, la libération de ce dirigeant particulièrement populaire pourrait ne pas être que la clé d'un cessez-le-feu mais aussi et surtout le meilleur espoir de relancer la solution des deux États.
Aujourd'hui âgé de 64 ans, Barghouti est membre du Fateh, la faction dominante de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), depuis son adolescence. Il a cofondé la Shabiba (mouvement de jeunesse) du Fateh il y a plusieurs décennies, avant de prendre la tête des Tanzim, les cadres de base du Fateh qui soutiennent la direction de l'organisation au niveau local. Bien qu'il ait passé plus de vingt ans dans une prison israélienne, il reste bien connu et largement respecté parmi les Palestiniens.
Quête intellectuelle
J'ai rencontré Barghouti pour la première fois dans les années 1980 avec mon cousin Mubarak Awad, un partisan de l'activisme non violent. Étant donné son intérêt pour l'efficacité de la lutte non violente, Barghouti avait reçu l'édition arabe de Nonviolent Soldier of Islam, une biographie traduite de Khan Abdul Ghaffar Khan, un allié du Mahatma Gandhi dans le mouvement pour l'indépendance de l'Inde. Barghouti souhaitait en savoir plus non seulement sur Khan, mais aussi sur toute personne, de Gandhi à Martin Luther King, Jr, susceptible d'apporter un éclairage utile sur la manière de parvenir à la libération de la Palestine.
Cette quête intellectuelle a façonné le leadership de Barghouti lors de la première intifada palestinienne qui a débuté peu après. Les manifestations massives ont commencé comme un soulèvement non violent visant à « secouer » l'occupation israélienne ; la violence n'a éclaté qu'après l'assassinat de quatre ouvriers palestiniens à Gaza. Sa figure étant devenu trop médiatisée au goût d'Israël, et il a été arrêté pour incitation à la violence, puis expulsé vers la Jordanie.
Au cours de cette période, Barghouti a commencé à voir les faiblesses de la structure du Fateh. Il en conclut que les Palestiniens devaient se préparer à la création d'un État et le devenir un parti politique. C'était une idée audacieuse – et controversée. Lorsque j'avais évoqué cette perspective avec le fondateur du Fateh, Yasser Arafat, président de l'OLP, lors d'une interview en Tunisie, il était devenu furieux. Un mouvement de libération comme le Fateh pourrait « représenter tous les Palestiniens », avait-il expliqué, unifiant la droite et la gauche, les religieux et les laïcs, derrière un objectif unique : libérer les terres palestiniennes. Mais en tant que parti politique, il devrait créer une plate-forme et prendre position sur toutes sortes de questions, ce qui conduirait à la division et à la faiblesse. Il a ensuite brusquement mis fin à notre entretien, me laissant bouche bée.
J'en suis venu à penser que le discours de Arafat était en réalité destiné à Barghouti et à d'autres jeunes dirigeants palestiniens de Cisjordanie avec lesquels j'étais en contact. Et il se peut qu'il y ait eu une certaine sagesse dans ce discours : après tout, un Fateh fragmenté a effectivement eu du mal à se présenter aux élections face à un Hamas uni.
En 1994, Barghouti a été autorisé à rentrer de Jordanie en vertu des accords d'Oslo que l'OLP avait négociés avec Israël. Mais il n'était pas un partisan de ces accords, doutant de l'engagement d'Israël. En effet, loin de restituer les terres palestiniennes en échange de la paix, les accords ont permis aux dirigeants israéliens de quadrupler le nombre de colons juifs sur ces terres.
Après avoir été élu au nouveau Parlement de l'Autorité palestinienne, le Conseil législatif palestinien, en 1996, Barghouti a commencé à plaider activement en faveur de la création d'un État palestinien indépendant, après avoir appris l'hébreu en prison et noué des relations avec des hommes politiques israéliens et des militants pour la paix afin de faire avancer la cause (Il a également fait campagne contre la corruption au sein de l'administration de Arafat et contre les violations des droits de l'homme commises par ses services de sécurité).
« Coexistence pacifique »
Mais Barghouti commençait à perdre ses illusions sur le processus de paix, un sentiment qui s'est intensifié après l'échec du sommet de Camp David en 2000. En 2002, il ne s'identifiait plus comme un pacifiste, tout en précisant qu'il n'était pas non plus un terroriste. « Moi-même et le mouvement Fateh auquel j'appartiens, nous nous opposons fermement aux attaques et au ciblage des civils à l'intérieur d'Israël », écrit-il en janvier, mais « je me réserve le droit de me protéger, de résister à l'occupation israélienne de mon pays et de me battre pour ma liberté ». Loin de chercher à « détruire Israël », Barghouti conclut : « Je cherche toujours la coexistence pacifique entre les pays égaux et indépendants d'Israël et de la Palestine. »
Mais les attaques violentes contre les Israéliens, menées en grande partie par le Hamas, se multipliaient et, en mars 2002, Israël a effectivement rompu ses pactes de sécurité avec Arafat et les Palestiniens, avant de réoccuper toutes les grandes villes palestiniennes dont il s'était retiré en vertu des accords d'Oslo. Peu après, les forces de sécurité israéliennes ont arrêté Barghouti sous l'inculpation de meurtre liée à son implication présumée dans des attaques meurtrières contre des Israéliens. Refusant de reconnaître l'autorité du tribunal, il n'a pas présenté de défense et a été condamné à cinq peines de prison à perpétuité consécutives.
Même derrière les barreaux, Barghouti est resté une figure influente du Fateh et un défenseur de la cause palestinienne. Avec d'autres dirigeants du Fateh emprisonnés, il a rédigé en 2006 un document pour l'OLP présentant des mesures tactiques, notamment la limitation de la résistance armée aux territoires occupés en 1967 et la mise en place d'un gouvernement d'unité.
M. Barghouti croit fermement au droit des Palestiniens à l'autodétermination, ayant consenti de grands sacrifices personnels pour cette cause. Il comprend également les réalités du terrain et reconnaît la nécessité de trouver un moyen de coexister pacifiquement avec Israël. Il pourrait bien être le seul dirigeant capable de convaincre les Palestiniens, toutes factions confondues, d'accepter un compromis imparfait, si cela signifie qu'ils peuvent enfin vivre en paix aux côtés d'Israël dans un État palestinien indépendant.
Je n'ai pas parlé directement à M. Barghouti depuis nos rencontres à Tunis dans les années 1990, mais j'ai suivi son parcours de près au fil des ans et je suis convaincu qu'une fois libéré de prison, il reprendrait rapidement son rôle de patriote palestinien modéré et ouvrirait la voie à de véritables progrès. Alors que les relations israélo-palestiniennes sont au plus bas, il n'y a peut-être personne de mieux placé pour ouvrir la voie à une paix juste.
Copyright : Project Syndicate, 2024.
Par Daoud KUTTAB
Journaliste palestinien, lauréat de nombreux prix internationaux pour la liberté de la presse.
"Nous avons à faire avec Mère Theresa Barghouti " je suppose ?
14 h 23, le 01 mars 2024