Le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, ne semble pas avoir tiré la leçon de la dernière levée de boucliers chrétienne contre lui. Assuré de la précieuse couverture politique du tandem chiite Amal-Hezbollah, le chef du gouvernement s’éloigne de plus en plus de la notion d’expédition des affaires courantes stricto sensu, au grand dam de ses détracteurs. Il a ainsi suffi que son cabinet nomme un nouveau chef d’état-major de l’armée (après avoir renvoyé à la Chambre des lois votées en décembre dernier, une compétence considérée comme étant attachée à la personne du chef de l’État et non à son poste), en dépit de l’opposition du ministre de la Défense Maurice Slim (proche du Courant patriotique libre), pour que M. Mikati se mette à dos les chrétiens une nouvelle fois. Au point de pousser le patriarche maronite, Béchara Raï, à critiquer ouvertement « le duo » au pouvoir, en allusion à Nagib Mikati et au président de la Chambre, Nabih Berry, les deux hauts responsables respectivement sunnite et chiite qui gèrent le pays en l’absence du président de la République maronite. Mais si le chef du gouvernement semble être parvenu à calmer la colère de Mgr Raï, c’est surtout au CPL qu’il devrait faire face dans la prochaine phase. Et pour cause : le courant aouniste entendrait lui « demander des comptes », l’accusant d’« usurpation de pouvoir ».
Béchara Raï n’a attendu que quelques heures après le Conseil des ministres de jeudi dernier pour se prononcer au sujet de la nomination du général Hassane Audi au poste de chef d’état-major. Dans son homélie à l’occasion de la Saint-Maron le lendemain, il s’en est violemment pris au binôme Berry-Mikati. « Nous sommes face à une marginalisation voulue des maronites, à commencer par la non-élection du chef de l’État (…) et au retour à la pratique de la dualité au pouvoir d’une manière flagrante et inacceptable », a-t-il dit. Poursuivant sur sa lancée, le chef de l’Église maronite a critiqué « les entorses à la Constitution à travers l’hérésie de la (législation de) nécessité dont use le Parlement pour légiférer (en plein vide présidentiel) et qu’emploie le gouvernement pour procéder à des nominations allant au-delà de l’expédition des affaires courantes ».
Un « problème chrétien »
Le lendemain, à l’ouverture d’un Conseil des ministres, M. Mikati a réagi. « Ce qui a été dit au sujet du duo et de la (volonté de) s’accaparer le pays est infondé », a-t-il affirmé, ajoutant qu’(il) « ne veut prendre la place de qui que ce soit ». Réitérant l’appel à l’élection d’un nouveau président, il a ajouté : « Si nous exerçons aujourd’hui les prérogatives du chef de l’État, et que certains y voient une entorse, ils feraient mieux de la relever en Conseil des ministres (boudé par le CPL, NDLR), loin de toute logique confessionnelle. » « Le patriarche en a ras le bol. Et c’est pour cette raison qu’il a prononcé une homélie aussi virulente. Mais cela ne signifie pas que les relations avec le Premier ministre sont arrivées à un point de non-retour », commente une figure proche du prélat, faisant état d’une « certaine reprise de langue entre Bkerké et le Sérail ». « Nous respectons le patriarche Raï, mais nous faisons fonctionner le pays à l’heure où la présidentielle semble être un problème chrétien d’abord », affirme pour sa part Ali Darwiche, ex-député proche du Premier ministre, à l’heure où les principaux protagonistes chrétiens ont convergé sur l’appui à la candidature de Jihad Azour, ancien ministre des Finances, face à celle du chef des Marada, Sleiman Frangié, soutenu par le tandem chiite qui, par conséquent, bloque (constitutionnellement) l’échéance.
Le CPL et la surprise Bou Saab
La position de Béchara Raï converge avec celle du CPL, dont les ministres boudent le Sérail depuis décembre 2022, accusant le chef du gouvernement d’empiéter sur les prérogatives du président. C’est d’ailleurs sous cet angle qu’il conviendrait de lire le veto de Maurice Slim à la nomination du numéro deux de l’institution militaire, finalement adoptée sans son approbation. À ce sujet, Nagib Mikati persiste et signe. « Celui qui décide de se mettre à l’écart ne peut pas faire assumer la responsabilité (des décisions jugées mauvaises) à celui qui expédie les affaires du pays », a-t-il lancé mardi à l’adresse du CPL. Celui-ci semble pour sa part déterminé à passer à la vitesse supérieure, à en juger par le communiqué publié par le chef du parti, Gebran Bassil, quelques heures après la nomination du chef d’état-major. Outre le recours en invalidation de cette décision devant le Conseil d'Etat, le bloc parlementaire aouniste a décidé de remettre au Parlement une pétition à l’encontre du Premier ministre. « Nous accusons le chef du gouvernement d’usurpation de pouvoir », explique César Abi Khalil, député aouniste, faisant savoir que le parti entamera une tournée auprès du reste des protagonistes pour tenter de les convaincre de rallier la démarche. « Je crois que la pétition ira de pair avec le recours en invalidation », abonde Ghassan Atallah, également parlementaire aouniste.
Cette nouvelle phase du bras de fer Mikati-CPL intervient parallèlement à une surprenante hausse de ton du vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab, contre le Premier ministre. « M. Mikati a prétendu avoir consulté le président du Conseil d’État, Fadi Élias, avant de procéder à la nomination du chef d’état-major. Mais j’ai découvert que ces allégations sont fausses », a-t-il accusé dans un entretien à la chaîne locale MTV en début de semaine, estimant que « ce scandale a mis au grand jour les intrigues du chef du gouvernement qui a bluffé l’opinion publique et pourrait être sanctionné ».
Cette diatribe contre M. Mikati que M. Bou Saab a par la suite accusé, depuis Aïn el-Tiné, d’empiéter sur les prérogatives du président de la République interpelle. D’autant que le numéro deux de la Chambre, pourtant proche de Nabih Berry, calque désormais sa position sur celle d’un CPL au sein duquel il fait l’objet d’un procès partisan (pour avoir dérogé à la décision de voter Azour lors de la séance électorale du 14 juin 2023) depuis plusieurs mois. « Nous considérons que M. Bou Saab fait partie des nôtres tant qu’aucune décision n’a été prise à son encontre », se contente de répondre un responsable du parti sous couvert d’anonymat. Salim Aoun, député aouniste, va, lui, jusqu’à affirmer que « M. Bou Saab exprime aujourd’hui de la meilleure façon la position du CPL ». Calculs chrétiens obligent ?
commentaires (7)
Lamentable de voir les politiques et même religieux toujours en dispute à l'heure où le Liban est à 25 degrés Celsius en dessous de zero...
Raed Habib
12 h 44, le 16 février 2024