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Économie - Crise

Restructuration des banques libanaises : ce qui se prépare

Un projet de loi incluant également le volet de restructuration des pertes a fuité vendredi.

Restructuration des banques libanaises : ce qui se prépare

Une agence bancaire dans une rue de Jounieh, en janvier 2024. Photo : P.H.B.

Au bout de 4 ans et demi de crise, les décideurs libanais semblent aujourd'hui déterminés à mettre les bouchées doubles pour faire adopter les différentes réglementations attendues par le Fonds monétaire international (FMI) pour entamer le redressement du pays.

Après un budget 2024 au contenu qui fait débat mais qui a néanmoins été promulgué avec pas trop de retard jeudi dernier, et deux circulaires publiées il y a une semaine par la Banque du Liban (BDL) pour faire un pas décisif vers l’unification du taux de change, c’est désormais au tour de la restructuration bancaire et de la répartition des plus de 70 milliards de dollars de pertes financières du pays de faire la une de l’actualité.

Deux chantiers, qui devaient faire l’objet d’autant de projets de loi distincts, ont finalement été réunis dans un même texte, devant rester confidentiel mais qui a fuité vendredi dans les médias et les réseaux sociaux.

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Dans un communiqué publié dans la nuit de vendredi à samedi par l’Agence nationale d’information (Ani, officielle), le vice-président du Conseil des ministres, Saadé Chami, a assuré qu’il s’agissait du « meilleur projet de loi possible vu les circonstances difficiles que traverse le pays », ajoutant que l’exécutif était « prêt » à discuter toutes les remarques qui lui seraient adressées.

Contacté, le PDG de I&C Bank, Jean Riachi, a estimé que le contenu du texte est « plutôt satisfaisant sur la partie technique qui gère la restructuration, mais plus flou sur le volet concernant la répartition des pertes ». Il espère cependant que, dans le cas où ce projet serait voté tel quel, la rigueur des procédures établies pour restructurer le secteur permettra de clarifier la manière dont le fardeau des pertes sera partagé.

Une autre cadre de banque, qui souhaite garder l'anonymat, considère que le plan n’est pas « équitable » vis-à-vis du secteur bancaire. « Il leur demande beaucoup trop d’efforts pour combler les pertes, et ne fait pas suffisamment participer l’État ou la BDL », résume-t-il. Il admet toutefois que « n’importe quelle réglementation vaut mieux que la situation que le pays vit actuellement », un constat qu’avait également partagé le gouverneur par intérim de la BDL, Wassim Manssouri, lors d’une conférence à Beyrouth le 2 février dernier.

Mesures phares

Au niveau de la forme, le document de 60 pages que l’Orient-Le Jour a pu consulter, comporte plusieurs mesures phares que Jean Riachi a mis en exergue pour notre journal.

« La première, qui est particulièrement importante, consiste à imposer aux banques étrangères de payer tous les dépôts qu’elles doivent, sans pouvoir passer par la case restructuration », explique-t-il. Concrètement, il s’agit de contraindre les groupes bancaires basés à l’étranger et pour qui le marché libanais ne représente qu’une portion des activités à assumer directement les pertes liées à la faillite du système libanais sans en faire subir le poids à leurs clients.

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« C’est une mesure tout à fait normale dans ce contexte et je pense que, de toute façon, les enseignes dans cette situation ne se seraient pas permises de consentir à une restructuration au Liban, vu qu’il s’agit quelque part d’une forme de reconnaissance de faillite », développe le patron de I&C Bank. Il souligne cependant que la définition de banque étrangère doit être clarifiée dans le projet pour savoir laquelle des enseignes opérant au Liban entrera dans le lot.

Deuxième nouveauté, l’inclusion du principe de la hiérarchie des droits et des créances, qui avait été un des nœuds gordiens des discussions sur ce projet ces dernières années. « Quoi qu’il arrive, les banques qui ne pourront pas rembourser les dépôts qu’elles détiennent vont être restructurées, et cela passera par la mise à zéro de leur capital », indique encore M. Riachi. La majorité écrasante des banques ne pourra pas échapper au couperet, essentiellement en raison des pertes de la BDL qui ne remboursera qu’une partie de leurs dépôts auprès d’elle.

Troisièmement, le projet établit une distinction claire entre les dépôts en devises qui existaient avant le 17 octobre 2019 et ceux qui ont été constitués après, en convertissant par exemple des fonds en livres libanaises alors que le système était déjà en train de prendre l’eau. Le projet demande aux banques de garantir le remboursement graduel des dépôts jusqu’à 100.000 dollars aux déposants pour les premiers et seulement 36.000 pour les seconds. 

Épée de Damoclès

Autre point cardinal du texte : les dépôts supérieurs au montant “protégé” (100,000 ou 36.000 dollars) vont être soustraits du bilan des banques en tant que tels et traités différemment. « C’est une mesure normale car on ne pouvait pas raisonnablement laisser à la charge des banques le poids de 90 milliards de dépôts, alors que la BDL va effacer une grande partie de sa dette envers les banques. Un des objectifs recherchés par le texte est de sauver ce qui peut l’être », expose Jean Riachi.

Les trois options pour traiter les dépôts « non protégés » qui seront à la disposition de l’autorité ad hoc créée au sein de la BDL pour gérer ce volet sont :

• Le bail-in, soit l’échange entre une portion des dépôts dus contre une participation dans le capital de la banque. Cela s’applique sur une portion des montants des dépôts dépassant 500.000 dollars. À noter qu’un dollar venant des dépôts concernés vaut le quart d’un vrai dollar. Donc un déposant devra renoncer à 4 dollars de ses dépôts pour obtenir le même nombre d’actions qu’un investisseur qui injectera 1 dollar « frais » dans la banque.

• La 'lirification' (soit la conversion en livres libanaises) volontaire d’une partie des dépôts dépassant les 100.000 dollars. Le taux de conversion sera cependant équivalent à 20 % de celui du marché.

• La conversion du solde en titres qui donne des droits sur un fonds de restitution des dépôts devant être créé, et dont les contours restent très flous dans le texte.

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Le projet inclut aussi une mesure obligeant les banques à demander aux déposants travaillant dans la fonction publique et dont les dépôts sont supérieurs à 300.000 dollars de justifier l’origine de leurs fonds. « Cette mesure est bonne sur le fond mais inconsistante. Il est difficile d’imaginer qu’une banque va raisonnablement déployer les moyens nécessaires pour confondre un client compromis alors que cette compromission risque, au final, de se retourner contre elle et sur les procédures de contrôle de conformité bancaire qu’elle avait mises en place », analyse encore le dirigeant de banque.

Enfin, si le texte est plutôt indulgent avec les banquiers qui sortiront de la restructuration en injectant un nouveau capital dans leurs banques, il laisse planer une épée de Damoclès sur les banquiers dont les enseignes iront en liquidation avec la possibilité de saisie conservatoire sur leurs biens et des poursuites judiciaires. « C’est la carotte et le bâton. Le texte incite les banquiers à tout faire pour ne pas aller à la liquidation et à remettre au pot une partie des bénéfices encaissés dans le passé. Quitte à fusionner in fine avec une autre banque. Ceux qui rêvaient de simplement remettre les clés de leurs banques et prendre leur retraite sont en risque », conclut Jean Riachi.

« Réduire les risques »

Le projet de loi est bâti sur de précédents projets qui ont commencé à être travaillés au moins en 2022 sous la houlette du gouvernement actuel, mais avec de nombreux ajustements au passage.

Selon Saadé Chami, le texte a été élaboré par l’exécutif, avec le concours de la Commission de contrôle des banques et de la BDL. La banque centrale n’a pour l’instant pas officiellement commenté le contenu du projet, que le gouverneur par intérim avait considéré comme étant perfectible mais que des changements pourraient être introduits lors de la même conférence évoquée plus haut et que rien n’interdisait que des changements soient apportés d’ici à ce qu’il soit adopté, voire même après.

Le projet n’a pas été discuté lors de la réunion du Conseil des ministres qui s’est tenue jeudi. Dans son communiqué Saadé Chami, a précisé que le texte n’avait pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’exécutif. Il a ensuite énuméré les objectifs du projet de loi : « protéger les dépôts légitimes » ; « renforcer la stabilité financière » ; et « réhabiliter le secteur bancaire afin qu'il joue son rôle dans le financement du secteur privé et des citoyens ». Le tout pour « stimuler la croissance », en tenant compte de la « soutenabilité de la dette publique et de la continuité des services publics » tout en « réduisant les risques systémiques du secteur financier » libanais.

Un dernier objectif qui passe par la réduction de sa dépendance actuelle à l’économie du cash, qui risque à terme d’endommager durablement les relations entre le secteur bancaire du pays et les banques correspondantes et les institutions financières internationales », note encore Saadé Chami. Ces objectifs sont listés dans l’article 3 du projet de loi.

Pour le cadre de banque anonyme interrogé, les mesures imposées finissent surtout par décourager les investisseurs futurs qui envisagent d’entrer aux capitaux des banques. « Ce qui est prévu va impacter les revenus des banques sur le long terme », souligne-t-il.

Au bout de 4 ans et demi de crise, les décideurs libanais semblent aujourd'hui déterminés à mettre les bouchées doubles pour faire adopter les différentes réglementations attendues par le Fonds monétaire international (FMI) pour entamer le redressement du pays.Après un budget 2024 au contenu qui fait débat mais qui a néanmoins été promulgué avec pas trop de retard jeudi dernier, et...

commentaires (11)

Et l’Etat s’en sort blanc comme neige. C’est l’Etat qui n’honore pas ses dettes (d’ailleurs tous les responsables de l’Etat n’ont aucun honneur à défendre) et ce sont les épargnants qui doivent payer. Au fait, on se fait voler 2 fois mais on va voter pour les mêmes brigands et voleurs. Un État qui vole ses citoyens, only in Lebanon !

Lecteur excédé par la censure

10 h 47, le 13 février 2024

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Commentaires (11)

  • Et l’Etat s’en sort blanc comme neige. C’est l’Etat qui n’honore pas ses dettes (d’ailleurs tous les responsables de l’Etat n’ont aucun honneur à défendre) et ce sont les épargnants qui doivent payer. Au fait, on se fait voler 2 fois mais on va voter pour les mêmes brigands et voleurs. Un État qui vole ses citoyens, only in Lebanon !

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 47, le 13 février 2024

  • Ce projet de loi est une prime aux voleurs et un encouragement à recommencer à voler à l'avenir puisque l'impunité est garantie. Mais il faut être vraiment super naïf pour croire qu'avec une loi pareille qui dévalise les épargnants, quelqu'un aura encore confiance dans le système bancaire libanais et viendra y placer un seul dollar!

    Georges Airut

    03 h 21, le 13 février 2024

  • Toutes les crises financières au monde sont résolues par un genre de sauvetage des banques et des financiers. OU SONT LES SOLUTIONS PÉNALES À LEURS CRIMES?

    T P N

    15 h 49, le 12 février 2024

  • Les devises ne sont que des dettes détenues sur l'État concerné généralement ayant atteint un niveau de surendettement irréversible, c'est particulièrement le cas du dollar et de l'euro. Autrefois basé sur la confiance, le système monétaire mondial ne tient que par la peur que tout s'effondre. La question est quand ? Qu'est-ce qui le remplacera ? Enfin la fin de l'hégémonie américaine ? Par quoi sera t elle remplacée ?

    Nicolas ZAHAR

    14 h 28, le 12 février 2024

  • Ah ben ça va, on est sauvés alors, suis vraiment rassurée !!!!

    Vero M

    09 h 55, le 12 février 2024

  • VOL EN BANDE ORGANISÉE DONT LES ACTEURS SONT TOUS LES DIRIGEANTS POLITIQUES DES 30 DERNIÈRES ANNÉES, LE GOUVERNEUR DE LA BDL ET LES ACTIONNAIRES DES BANQUES. SI UN TEL PROJET PASSE ET QUE LE PEUPLE NE SE RÉVOLTE PAS CONTRE LES POLITICIENS, ALORS CE PEUPLE MÉRITE SU’ON LE VOLE CAR IL EST LÂCHE APATHIQUE ET SOUMIS

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 34, le 12 février 2024

  • Messieurs soyez sur que personne ne mettra un sous dans une banque Libanaise avec les meme personnes au pouvoir et les meme propriétaires de banques.

    hrychsted

    20 h 17, le 11 février 2024

  • • Le bail-in, soit l’échange entre une portion des dépôts dus contre une participation dans le capital de la banque. Après leurs comportements douteux, Comment voulez vous avoir confiance dans les banques et leurs confier vos dépôts ?

    fadi labaki

    17 h 50, le 11 février 2024

  • En premier lieu, il est de plus en plus clair que c'est les epargnants qui vont payerr la plus grosse partie des pertes, sinon la quasi totalite. Ce que l'article omet de dire, c'est que la restitution des 100 000 $ (ou 36 000 selon les cas) se fera au compte goutes, dans le style des 150 $ mensuels de la circulaire 166. De la poudre aux yeux. Par contre, pour la plupart des crapules bancaires, ce serait le retour du business as usual, pensent-ils. Mais qui pourra encore leur faire confiance ????

    Michel Trad

    15 h 30, le 11 février 2024

  • Ouf les banques sont sauvées, nous pouvons tous dormir tranquilles maintenant. A quoi d'autre pouvait-on s'attendre lorsque les banquiers et les politiques sont main dans la main.

    K1000

    14 h 01, le 11 février 2024

  • ON A LAISSE COULER DU TEMPS. - ET CE QU,ENFIN ON NOUS PREPARE, - C,EST LA DEVALISATION SIMPLE, - DE TOUTES NOS ECONOMIES. - NOTER, SEULES CELLES DU PEUPLE. - CORROMPUS, ESCROCS ET MAFIEUX, - GOUVERNENT ENCORE LES ANES, - QUI LES ONT CONSACRES ANIERS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 42, le 11 février 2024

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