
Le gouverneur p.i. de la Banque du Liban (à droite) pendant la conférence organisée à Beyrouth vendredi dernier, aux côtés de l'économiste Nassib Ghobril. Photo DR
Au cours d’une conférence organisée à Beyrouth vendredi par l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar, dans le cadre des rencontres organisées par la Fondation Culture et Libertés, le gouverneur par intérim de la Banque du Liban est revenu sur les différents dossiers qui accaparent l’attention du conseil central de l’institution et l’approche qu’il privilégie pour les résoudre.
Un exercice assez rare pour cet homme, 1er vice-gouverneur depuis juin 2020 et nommé l’été dernier à son poste actuel après le départ de Riad Salamé qui avait enchaîné six mandats successifs à la tête de la BDL, dont un dernier marqué par le début d’une crise qui a mis à jour les vices et faiblesses du système financier libanais.
Le responsable a notamment abordé l’épineuse question de la restitution d'environ 90 milliards de dollars d'avoirs bancaires bloqués depuis 2019 par des restrictions unilatéralement imposées par les banques, ainsi que des choix que le gouvernement et le Parlement doivent faire et qu’ils repoussent depuis quatre ans et demi.
« La Banque du Liban a reçu de nombreuses propositions du gouvernement, qui dans ses plans pour gérer la question prévoit d’échelonner le remboursement des dépôts sur des périodes dépassant parfois 20 ans, voire 30 ans, et prévoyant des coupes (haircut) dans les dépôts. Ce qui est sûr, c’est que n’importe loi qui aborde le sujet vaut mieux que pas de loi du tout. Même si la loi adoptée est défaillante, elle pourra être ajustée par la suite », a-t-il déclaré.
Classer les dépôts bancaires
Wassim Manssouri s’est abstenu de préciser ou de commenter les orientations privilégiées par le gouvernement. Il a néanmoins indirectement fourni quelques indications sur la méthode qui devrait être suivie.
Il a notamment insisté sur le fait que « toute procédure de restitution des dépôts devra passer par une classification préalable des avoirs légaux et ceux qui ne le sont pas ». « Cela veut dire que tous les déposants devront justifier l’origine de leurs dépôts et qu’il sera alors possible de détecter et d’écarter ceux qui sont en infraction avec la loi, et donc de déduire les montants de leurs avoirs et les intérêts liés, du total qui doit être restitué », a-t-il insisté, ponctuant : « Les personnes honnêtes n’auront rien à craindre ou à perdre. Mais il faut une loi pour enclencher ce processus. » Le Liban doit actuellement démontrer au Groupe d’action financière que ses procédures de contrôle de conformité bancaire sont suffisantes. Un délai d’un an lui a été accordé en juin dernier.
Le gouverneur p.i. a aussi souligné que le processus d’unification du taux de change, entamé avec l’adoption du budget de 2022 en septembre de la même année et qui vient de passer un autre cap décisif avec le vote du budget de 2024 et la publication de plusieurs circulaires-clés dont deux durant le week-end écoulé (n° 166 et n° 167), constituait le seul point de départ possible à une solution viable.
« La première chose à faire pour aborder n’importe quel chantier, c’est de mettre les choses à plat. Dans le cas de la crise, cela passe par établir une vision claire de la situation, avec aucun artifice. Il faut reconnaître ce qui a été fait, c'est-à-dire que les dollars frais ne valent pas autant que les dollars bancaires », a-t-il décrit, en référence à une autre circulaire, portant le n° 165 adopté en avril dernier.
« Si on le fait, on pourra fixer la question des dépôts, à savoir comment articuler le processus de restitution et l’échelonner en très peu de temps. Sinon on reviendra à la situation d’incertitude de 2019 dans laquelle la BDL était incapable de prendre la mesure de la situation », a-t-il encore noté, ajoutant : « C’est incontournable si on veut espérer attirer des investisseurs (dans le secteur bancaire). »
Quatre chantiers
Sur un plan plus large, Wassim Manssouri a fourni les quatre temps de l’approche empruntée par le conseil central actuel pour articuler le redressement du pays, en gestation avant sa prise de fonction qui s’était imposée faute de successeur désigné à Riad Salamé. Ce conseil est notamment composé des trois autres vice-gouverneurs, Bachir Yakzan (2e), Salim Chahine (3e) et Alexandre Moradian (4e).
« Le premier, c’est la responsabilité et la possibilité de poursuivre ceux qui ont des comptes à rendre. Mais il faut le faire de façon proportionnée et professionnelle. Le deuxième, c’est régler la question des banques et des déposants. Le troisième, c’est la relance et la réforme de l’économie. On ne peut pas prétendre financer la restitution des dépôts avec une économie de petite taille et qui ne prospère pas. La quatrième, c’est réformer l’État », a-t-il énuméré.
« Sans ces quatre chantiers interdépendants, le Liban que nous connaissons est en danger d’effondrement total. Nous sommes à court de solutions provisoires », a-t-il encore insisté.
Les priorités définies dans ces quatre points se retrouvent dans les recommandations faites par le Fonds monétaire international que le Liban a approché dès 2020 pour tenter de souscrire à un programme d’assistance financière imposant l’adoption d’importantes réformes structurelles. Le processus est bloqué au stade de l’accord préliminaire (le Staff-Level Agreement) signé en avril 2022 entre le Liban et le FMI.
« Mettre en place les réformes (au Liban) sera compliqué. Cela a été compliqué partout ailleurs, que ce soit à Chypre, en Grèce. Même en France avec la réforme des retraites », a-t-il relevé.
La stabilité de la livre
Enfin une importante partie de l’intervention du gouverneur p.i. a été axée sur le bilan des premiers mois passés à la tête de la BDL et pendant lesquels l'institution a réaffirmé avoir « arrêté de financer l’État » et travaillé en étroite collaboration avec ses services pour stabiliser le taux de change en contrôlant notamment la quantité de livres en circulation.
Au niveau des chiffres, il a fourni les précisions suivantes :
• Sur les quatre derniers mois de 2023, l’État a collecté l’équivalent des deux tiers de ce qu’il avait assemblé sur l’ensemble de 2023, soit 2,3 milliards de dollars.
• Le compte courant de l’État a dégagé un surplus de 650 millions de dollars fin 2023, dont 200 millions ont comblé le déficit cumulé sur les huit premiers mois, ce qui laisse un excédent de 450 millions de dollars.
• La BDL a vu ses réserves augmenter de 807 millions de dollars depuis début août dernier (elles atteignent 9,38 milliards de dollars, selon le gouverneur p.i.).
Il a aussi mis en avant les leviers activés pour y parvenir.
Tout d’abord, la BDL restreint les injections de livres sur le marché qui s’est rétréci, limitant l’impact de la spéculation. « Avant 2019, la monnaie en circulation (dollars et livres) gravitait autour de 3,5 à 4 milliards de dollars. Aujourd’hui, elle n’est que de 600 millions de dollars », a précisé Wassim Manssouri. L’État a amélioré sa collecte d’impôts et taxes et absorbe des livres sur le marché et les spéculateurs sont identifiés.
Ensuite, l’État a mis de l’ordre dans ses comptes. « Le Trésor public a quatre comptes principaux : en livres libanaises fresh, en livres libanaises bancaires, en dollar fresh, et un dernier en dollar bancaires (ceux dont l’accès a été restreint par les banques). Et tous les sous-comptes sont divisés de la même manière. Du coup, quand l’État a besoin de dollars frais, c’est prélevé sur ses dollars frais. S’il n’en a pas, on prend de ses livres fresh et on les convertit au taux de 89 500 LL pour un dollar », a expliqué le gouverneur p.i.
En troisième lieu, la BDL ne fait plus d’exception. « Elle a remis aux autorités un relevé de comptes complet, ce qui n’arrivait pas auparavant », poursuit-il. « Chaque administration et chaque institution connaît l’état de ses comptes, et le montant des crédits alloués à chacune d’entre elles dans le budget de 2024 correspond à la réalité de ses besoins. Chacune de cette décision est validée par le gouvernement. La Banque du Liban ne s’en mêle pas – ce n’est pas son rôle – et ne paye pas si le compte correspondant n’est pas suffisamment provisionné. Et cela fonctionne : même Électricité du Liban, pour la première fois depuis très longtemps, paye ses factures à temps » a-t-il longuement exposé. « Pour les subventions qui restent, l’argent est injecté via des crédits alloués dans le budget. C’est le ministère qui subventionne, pas la BDL », a-t-il encore dit.
La BDL n’achète pas de dollars, elle vend des livres. Ses revenus en dollars proviennent d’autres sources (notamment le placement d’une partie de ces réserves à l’étranger où les taux d’intérêt ont été énormément relevés).
Wassim Manssouri a conclu en indiquant que, pour l’instant, le marché est confiné entre ces différents piliers. « Mais il sera plus ouvert lorsque la plateforme opérée par Bloomberg sera mise en place, ce qui a été retardé par la situation créée par la guerre à Gaza, la société ne préférant pas envoyer d’effectifs au Liban tant que le calme n’est pas revenu », assure-t-il, avant de conclure : « Lorsque que cela changera, la Banque du Liban ne sera plus le seul acteur et la livre flottera librement à un taux qui sera peut-être plus élevé, ou plus bas que l’actuel. »
Il faut vraiment être n'importe qui pour dire n'importe quoi! Comment un gouverneur de banque centrale qui se respecte peut-il proférer de telles énormités, au lieu de réclamer une loi qui protège les dépôts des déposants et prévoit leur restitution dans les plus brefs délais, au lieu de réclamer un plan de restructuration des banques et de redressement des finances de la nation, au lieu de réclamer à tous ceux qui ont transféré ces dernières années des milliards de dollars de leur compte vers l'étranger de prouver que leurs fonds ont été acquis légalement?
00 h 38, le 06 février 2024