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Société - Double explosion au port de Beyrouth

« Le parquet de cassation, protecteur de l’oligarchie du nitrate », selon des familles de victimes

Le prochain procureur doit revenir sur toutes les décisions « illégales » de Ghassan Oueidate, affirme une proche d’une victime, lors d’un sit-in jeudi.

Sit-in des proches de victimes devant les calicots condamnant l’entrave à l’enquête menée par le juge Tarek Bitar. Photo DR

Plusieurs dizaines de proches de victimes de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, ont tenu jeudi un sit-in devant le Palais de justice de la capitale pour protester contre l’entrave attribuée au parquet de cassation à l’enquête menée par le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar.

Le mouvement a été organisé dans le sillage d’une décision prise en janvier d’organiser chaque semaine un sit-in, après que l’avocat général près la Cour de cassation, Sabouh Sleiman, a suspendu un mandat d’arrêt émis en 2021 par le juge Bitar contre l’ancien ministre Youssef Fenianos.

« Le parquet général de cassation = le protecteur des suspects et de l’oligarchie du nitrate », pouvait-on lire sur un grand calicot brandi par des proches de victimes devant le portail du Palais de justice de la capitale. « 4-Août : l’enquête est gelée depuis 4 ans. Ôtez vos mains de la justice ! » affichait une autre banderole, en référence aux ingérences politiques.

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« Une moquerie »

Présent parmi les protestataires, William Noun, frère de Joe, tué alors qu’il accomplissait au port sa mission de pompier, exhorte les autorités judiciaires à « trouver un moyen pour que l’enquête reprenne son cours ». Interrogé par L’Orient-Le Jour, il martèle qu’une justice « illégale » est « une moquerie ». Une autre proche de victime, Mariana Fodoulian, décrit une telle justice comme « un crime ». « Le crime plus récent est la suspension du mandat d’arrêt contre M. Fenianos par le juge Sleiman », note-t-elle, rappelant qu’« un autre avocat général près la Cour de cassation, Imad Kabalan, avait auparavant suspendu le mandat d’arrêt délivré par Tarek Bitar contre Ali Hassan Khalil (député du mouvement Amal) ». « De telles décisions sont pourtant du seul ressort du juge d’instruction », indique-t-elle à L’OLJ. Et de dénoncer que « le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, avait remis en liberté les 17 détenus dans l’affaire, tout en portant plainte contre le juge Bitar et ordonnant aux services sécuritaires de ne plus exécuter ses notifications ».

« Le parquet est censé poursuivre les criminels pour qu’ils soient jugés. Or en l’espèce, il tente de vider le dossier », affirme à notre journal Cécile Roukoz, avocate et sœur de victime. « Les juges Sleiman et Kabalan ont été encouragés par les actes de Ghassan Oueidate et en ont pris exemple », déplore-t-elle. Me Roukoz s’attarde sur les motifs invoqués par M. Sleiman pour justifier sa suspension du mandat d’arrêt. « La décision se base sur une Convention internationale des droits de l’homme selon laquelle, en cas de retard exagéré dans le processus judiciaire et d’impossibilité de jugement, une personne mise en cause ne peut être emprisonnée, ni maintenue indéfiniment sous mandat d’arrêt. Or dans le dossier du port, ce retard est notamment dû à des recours abusifs contre le juge Bitar qui mène l’enquête et contre les magistrats chargés d’examiner ces recours. Le retard n’étant pas justifié, les conditions pour appliquer les dispositions de la convention ne s’appliquent pas », tranche-t-elle.

Ce n’est pas la première fois que les représentants des victimes du 4-Août tirent à boulets rouges sur le parquet. Lors d’un sit-in organisé dimanche dernier, ils s’étaient adressés directement à Ghassan Oueidate. « L’histoire ne vous épargnera pas ni n’épargnera ceux qui complotent contre le sang des innocents (…) en paralysant la justice (…). Dans quelques jours, vous quitterez le Palais de justice dont vous êtes le premier responsable de la paralysie (…) », indique un communiqué. M. Oueidate partira à la retraite le 22 février. Mariana Fodoulian réclame à cet égard que « le prochain procureur revienne sur toutes les décisions illégales de son prédécesseur ». « Nous voulons que les (ex-)détenus soient à nouveau arrêtés et que les mandats d’arrêt soient réactivés », exige-t-elle.


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Pas d’excuses

Entre-temps, c’est un proche de victime qui continue à faire l’objet de poursuites. Convoqué la semaine dernière devant la police criminelle pour « atteinte à la justice », Pierre Gemayel n’a pas comparu, le barreau dont il fait partie n’ayant pas accordé une autorisation en ce sens. Une chaussure à la main, Me Gemayel avait martelé, lors d’un sit-in le 25 janvier, que « les décisions illégales de certains magistrats sont comme des chaussures qui piétinent la loi et leur serment ». Il avait en outre accusé le juge Sleiman d’avoir suspendu le mandat d’arrêt contre Youssef Fenianos pour satisfaire la classe politique. Le magistrat a donc porté contre lui une plainte qu’il n’a toujours pas retirée. Selon une source informée, il attendrait des excuses de Me Gemayel, qui n’entend pas se plier à cette condition. « Je ne présenterai mes excuses qu’à mon frère et aux autres victimes, pour le fait que la justice n’a pas encore dévoilé la vérité sur les circonstances et les auteurs de la double explosion », assure l’avocat à L’OLJ.

À noter que le recours en dessaisissement porté le 22 janvier par le bureau de plaintes au sein de l’ordre des avocats de Beyrouth contre Sabouh Sleiman n’a toujours pas été tranché. Selon nos informations, le premier président de la Cour de cassation, Souheil Abboud, a confié la charge de son examen à l’instance présidée par le juge Afif Hakim, qui ne s’est pas encore penché sur l’affaire, en raison d’une absence pour motifs de santé.

Plusieurs dizaines de proches de victimes de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, ont tenu jeudi un sit-in devant le Palais de justice de la capitale pour protester contre l’entrave attribuée au parquet de cassation à l’enquête menée par le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar. Le mouvement a été organisé dans le sillage d’une décision prise...

commentaires (2)

La mafia a infiltre les plus hauts niveaux de la justice de ce malheureux pays. Il est interdit de poursuivre les responsable de l'assassinat de plus de 220 personnes. Par contre, brandir sa chaussure face aux corrompus devient un crime. Cette chaussure brandie doit devenir l'embleme meme de notre combat contre les mafieux assassins.

Michel Trad

20 h 52, le 09 février 2024

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Commentaires (2)

  • La mafia a infiltre les plus hauts niveaux de la justice de ce malheureux pays. Il est interdit de poursuivre les responsable de l'assassinat de plus de 220 personnes. Par contre, brandir sa chaussure face aux corrompus devient un crime. Cette chaussure brandie doit devenir l'embleme meme de notre combat contre les mafieux assassins.

    Michel Trad

    20 h 52, le 09 février 2024

  • Soyons lucides. Nous n’avons que nos yeux pour pleurer. Plus de 200 personnes assassinées, plus de 6000 personnes blessées, la partie chrétienne de la capitale détruite à 25% et la justice ne fait rien. Quand un pays est dirigé par une mafia, à quoi voulez vous attendre? On ne connaîtra jamais la vérité du degré d’implication de tel ou tel parti ou pays étranger même si on a un faisceau d’indices convergents vers qui vous savez. Mais les proches des victimes ont raison de continuer a s’en prendre aux complices de ce crime contre l’humanité

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 35, le 09 février 2024

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