Comment la quasi-totalité de l’enveloppe de 1,139 milliard de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS ou SDR pour l’acronyme anglais) alloués au Liban en septembre 2021 par le Fonds monétaire international (FMI) a-t-elle été dépensée ? C’est la question houleuse qui a réuni lundi au Parlement les députés de la commission des Finances et du Budget, présidée par Ibrahim Kanaan, à l’occasion d’une séance à laquelle ont également participé le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, et le deuxième vice-gouverneur de la Banque du Liban, Bachir Yakzan.
Selon Ibrahim Kanaan, les interlocuteurs de la commission n’ont pas été capables de répondre ou n’ont pas souhaité répondre à toutes les questions « pourtant précises » des députés sur la façon dont les DTS avait été décaissés et en vertu de quels mécanismes prévus par la loi ces dépenses avaient été approuvées. « Le ministre des Finances a transmis le détail des dépenses de ces deux dernières années sur un petit tableau Excel qui tient sur un bout de page », a critiqué le député.
Le document, dont L’Orient-Le Jour a pu consulter un fragment, montre un tableau correspondant à la description faite, avec des montants en dollars et des pourcentages classés par ordre de grandeur avec, pour chaque ligne, un ou quelques mots indiquant à quel poste de dépense chaque portion des DTS avait été affectée. Le nom du ministre sortant, qui s’est refusé à tout commentaire sur la teneur des débats pendant la réunion, était également typographié, avec la date du 28 septembre inscrite. Nous n’avons pas été en mesure de savoir s’il s’agissait du seul document présenté par Youssef Khalil pendant la réunion ni si Bachir Yakzan a lui-même présenté d’autres éléments de ce type pendant la réunion.
Des millions... et dix dollars
Près de deux ans après le décaissement de ces DTS dans le cadre d’un mécanisme qui n’a aucun lien avec un quelconque programme d’assistance financière et qui a été approuvé au moment où le gouvernement de Nagib Mikati, dont Youssef Khalil est membre, entrait en fonction, il ne reste plus que 76 millions de dollars selon le dernier décompte effectué par la BDL au 31 août 2023. Et ce total n’aurait pas changé depuis, à en croire les informations qui ont été transmises à la commission par le ministre et la BDL lors de la réunion, et que Ibrahim Kanaan a relayé à L’Orient-Le Jour.
Selon ce document, dont le contenu a été confirmé par une source anonyme au ministère des Finances non autorisée à parler à la presse :
• 45 % du total ont été dépensés en subventions sur des « médicaments » (478,3 millions de dollars), dont seule une portion subsiste aujourd’hui ;
• 15,4 % ont servi à rembourser des « prêts », notamment à la Banque mondiale (163,5 millions) ;
• 15,3 % ont financé des transferts à EDL en carburant et des opérations de maintenance (162,2 millions) ;
• 12,6 % ont payé des subventions sur le blé (134,2 millions), encore maintenues ;
• 6,5 % ont été dépensés pour des subventions sur l’essence et le diesel, sachant que ces subventions ont été définitivement arrêtées en septembre 2022 (69,4 millions) ;
• 3,3 % ont remboursé des « frais liés aux DTS » (34,9 millions) ;
• 1,3 % ont financé des « passeports », ce qui a probablement mis fin au déblocage de leur processus de délivrance au début de l’année (13,2 millions) ;
• Les 0,6 % restants ont essentiellement servi à financer des dépenses contractées sous le label « Travaux publics/Organisation de l'Aviation civile internationale – Résolution 10, approuvée par le ministère des Finances pour 7 millions. Un total auxquels s’ajoutent 683 496,5 dollars de « frais juridiques » pour le ministère de la Justice et 10 dollars (sauf erreur sur le document) versés à l’ACSAD probablement le Centre arabe pour l'étude des zones arides et des terres sèches.
Le total de ces dépenses s'élève à un peu plus de 1,063 milliards de dollars, pour un solde de 76 millions restants sur les 1,139 milliards versés à la base, selon les montants inscrits sur le document. Il ne figure en revanche aucune mention sur la façon dont les 49 millions de dollars ont été dépensés entre le 15 et le 31 août. Cette différence avait été dévoilée lors de la dernière mise à jour du compte des réserves de devises de la BDL, publiées le 18 septembre dernier et faisant le compte à la fin du mois d’août de cette même année.
Autres griefs
Outre le manque de précision de l’exécutif et de la BDL, la commission pointe du doigt deux « violations » qu’elle compte dénoncer à la Cour des comptes, selon les explications données par Ibrahim Kanaan lors de sa conférence de presse après la réunion.
• Il y a d’abord le fait d’avoir dépensé ces fonds sans autorisation du Parlement, en infraction avec ce que prévoit la Constitution. « Nous avons posé des questions sur la méthode de décaissement, et le ministre (sortant) des Finances a indiqué que cela se faisait sur décision du Conseil des ministres, ou via des lettres rédigées par le Premier ministre. C’est une violation, car toute dépense doit passer par une loi », a notamment déclaré le député.
• Il y a ensuite le fait d’avoir déposé les fonds des DTS sur un compte spécialement ouvert par la BDL au lieu de les verser sur celui du Trésor public, ce qui contrevient au code de la comptabilité publique, et plus précisément à l’article 242, a encore relevé le député.
Ibrahim Kanaan a enfin déclaré que la commission avait demandé au ministre sortant des Finances de fournir les « documents et correspondances » qui avaient été évoqués pendant la réunion. Une nouvelle réunion de la commission dédiée à ce dossier sera programmée une fois qu’elle aura reçu les documents demandés.
Nos très chers responsables financiers de tous bords sont tellement emberlificotés dans leurs combines réciproques...qu'ils en perdent leur latin et le Nord ! Nous, le peuple, qui subissons les conséquences de leur incapacité totale en tout...on se demande: "mais POURQUOI les garde-t-on...au juste ??? " - Irène Saïd
16 h 32, le 03 octobre 2023