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Société - Double explosion au port de Beyrouth

Avocats, activistes et victimes dénoncent l'obstruction de l'enquête

Tout en tablant sur un regain d’intérêt de la communauté internationale, avocats, activistes et parents de victimes ont dénoncé mardi les obstacles dressés par la classe politico-judiciaire.

Avocats, activistes et victimes dénoncent l'obstruction de l'enquête

Des proches de victimes du 4 août rassemblés devant le Palais de justice. Photo Mohammad Yassine

Les Libanais attendent impatiemment une brèche qui permettra au juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020), de reprendre en main le dossier lié à cette affaire, dont l’ont dessaisi des recours judiciaires abusifs présentés par les responsables qu’il a mis en cause. C’est cette idée qu’ont exprimé mardi Nizar Saghiyé, directeur de Legal Agenda, Melhem Khalaf, député et ancien bâtonnier de Beyrouth, Paul Najjar et Mariana Fodoulian, proches de victimes, ainsi qu'Ahmad Mroué, fondateur de Beirut6O7, un site consacré à la documentation de la catastrophe. Conduit par Ghida Frangié, une avocate et militante, le débat s’est articulé autour du thème « Dans l’attente d’une prochaine étape de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth ».

Rassemblés au Mina Image Center, à Saïfi, les intervenants ont d’abord dressé une sombre rétrospective des étapes subies par le juge Bitar depuis l’accès à sa fonction en février 2021, avant de faire part de leur souhait de voir la communauté internationale soutenir l’enquête, notamment par une résolution onusienne pour la création d’une commission internationale d’établissement des faits.

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Ghida Frangié a ainsi évoqué les campagnes et menaces contre le juge d’instruction, ainsi que le dénigrement de son enquête, qualifiée d’« arbitraire et (de) politisée ». « Des agissements qui ont pour objectifs uniques d’évincer le juge Bitar et d’empêcher de sanctionner les criminels », a-t-elle martelé.

L’avocate a passé en revue « l’obstruction des nominations et permutations judiciaires » sans lesquelles l’assemblée plénière de la Cour de cassation, qui a perdu son quorum, ne peut statuer sur les recours portés par les responsables impliqués dans le dossier. « Des recours arbitraires qui favorisent le système d’impunité », a commenté Nizar Saghiyé.

La volte-face de Oueidate

En janvier dernier, le juge Bitar avait bien essayé de sortir de l’impasse en s’appuyant sur une jurisprudence en vertu de laquelle les recours en dessaisissement ne s’appliquent pas à un juge d’instruction près la Cour de justice. Il avait également jugé qu’il n’a pas besoin d’autorisations pour poursuivre des responsables politiques et sécuritaires. Dans ce sillage, il avait fixé des audiences, notamment à l’ancien chef de gouvernement Hassane Diab, l’ancien directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim (encore en fonction à l’époque) et l’ancien commandant en chef de l’armée Jean Kahwaji. Il avait en outre engagé des poursuites contre le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, lequel s’est aussitôt « retourné » contre lui, selon le terme utilisé par Ghida Frangié. Le 25 janvier, le procureur a ainsi enjoint à la police judiciaire de ne pas exécuter les décisions du juge Bitar, en même temps qu’il a libéré les 17 personnes alors détenues dans le cadre de l’affaire. Plus encore, il a interdit au juge Bitar de voyager, après avoir porté un recours contre lui, notamment pour « usurpation de pouvoir ». À l’heure actuelle, on attend le verdict du premier président de la cour d’appel, Habib Rizkallah, désigné pour trancher le litige. Dans son intervention, Nizar Saghiyé a commenté ce dernier point. « Lequel des deux juges usurpe le pouvoir ? Celui qui risque sa vie pour parvenir à la vérité ou celui qui torpille la justice ? » s’est-il interrogé. Et de faire observer que « l’interdiction de voyager qui frappe Tarek Bitar a été obtenue à travers le directeur de la Sûreté générale, lui-même poursuivi dans l'affaire ». « Deux responsables mis en cause prennent des mesures contre le magistrat qui les a mis en cause », a-t-il résumé.


Ghida Frangié, Melhem Khalaf, Paul Najjar, Mariana Fodoulian, Nizar Saghiyé et Ahmad Mroué. Photo Claude Assaf

Dans le même esprit, Melhem Khalaf a critiqué « l’obstruction » opérée par Ghassan Oueidate, qu’il n’a cependant pas nommé. « La société libanaise se retrouve sans défense, alors qu’il est du devoir d’un procureur d’agir en son nom et de la défendre », a-t-il martelé, dénonçant « un trafic d’influence notoire et exceptionnel ». « Comment un chef de la police judiciaire (le procureur) peut-il ordonner à cette institution de ne pas exécuter les décisions d’un magistrat ? » s’est-il indigné. Il a aussi accusé le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui d’avoir « décrété que les hommes politiques mis en cause devaient être convoqués aux audiences par l’intermédiaire d’huissiers de justice et non par les forces de sécurité ». Ce qui rend la tâche quasi impossible au juge d’instruction. Me Khalaf a rappelé que le bureau des plaintes du barreau de Beyrouth a contesté la décision de M. Maoulaoui devant le Conseil d’État. Lequel a récemment publié un rapport, préalablement à l’arrêt qu’il devrait rendre prochainement sur cette affaire.

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Mais les bâtons dans les roues ne se limitent pas à la justice. Ahmad Mroué a fait état d’une « confrontation extrajudiciaire face à ceux qui veulent supprimer la mémoire des morts, en détruisant les silos de blé dans le port ». « Nous ne les laisserons pas faire », s’est promis pour sa part Mariana Fodoulian, soulignant que la collaboration est entière avec l’ordre des ingénieurs pour maintenir ce symbole.

Manque de coopération internationale

Outre les blocages politiques tous azimuts, Melhem Khalaf a pointé du doigt les entraves au niveau international. Il a ainsi rappelé le refus des États sollicités de fournir au Liban des images satellite. « Comme par hasard, les images n’étaient pas tournées sur le port, le 4 août 2020, alors qu’elles l’étaient la veille et le lendemain ! » s’est-il exclamé. L'avocat a en outre déclaré que lorsqu’il était bâtonnier, il avait envoyé des correspondances au secrétaire général des Nations unies pour l’exhorter à prendre certaines démarches, mais que ses sollicitations étaient restées pratiquement sans réponse. Également inscrites sur le registre d’un manque de coopération internationale, dix commissions rogatoires sur les seize demandées par le juge Bitar à la justice étrangère n’ont pas été exécutées, a affirmé l’ancien bâtonnier. Il a affirmé que peu de temps après la double explosion, des agents du FBI avaient fait un séjour d’un mois et demi à Beyrouth à l’issue duquel ils avaient livré un rapport s’appuyant sur… des données fournies par les autorités libanaises. Les experts britanniques s’étaient également rendus au Liban, mais n’ont pas établi de rapport, a assuré Me Khalaf, qui n’a pas non plus épargné la France. « Trente et un experts français dont sept qui avaient enquêté sur l’explosion de l’usine AZF à Toulouse (2001) ont établi trois rapports préliminaires sans les compléter par un rapport final », a-t-il dénoncé. Une source de l’ambassade de France avait pourtant affirmé à L’Orient-Le Jour en septembre dernier, que toutes les demandes soumises à la France par la justice libanaise avaient été satisfaites.

« Même si notre priorité est l’enquête nationale, nous continuerons de batailler pour la mise sur pied d’une commission internationale d’établissement des faits, afin de lever les entraves dressées face aux investigations locales », a pour sa part affirmé Paul Najjar. En mars dernier, 38 États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU avaient signé une déclaration commune, comportant une pétition en ce sens. M. Najjar a appelé à « renforcer le lobbying » pour satisfaire cette demande, qui nécessite l’approbation d’une majorité de 24 États membres. La prochaine session de l’instance onusienne devrait se tenir en septembre prochain.

Les développements à l’étranger
En attendant cette échéance, plusieurs développements à l’international se sont produits au cours des quatre mois écoulés :
– Une rapporteure spéciale des Nations unies, Margaret Satterthwaite, a exprimé en avril dernier sa « grave préoccupation » concernant « les ingérences » dans l’enquête sur la double explosion, condamnant le torpillage des enquêtes et les menaces contre le juge Bitar.
– En mai dernier, des juges d’instruction français ont entendu des proches de victimes dans le cadre d’une procédure judiciaire à laquelle ces dernières s’étaient portées parties civiles.
– La justice britannique a condamné en juin dernier la société Savaro Ltd, importatrice du nitrate d’ammonium à l’origine de la double déflagration, à verser des indemnités à des parents de victimes qui avaient porté plainte contre la compagnie.
– Dans une résolution adoptée en juillet dernier, le Parlement européen a condamné la culture de l’impunité, invitant les pouvoirs publics à « lever tous les obstacles aux enquêtes judiciaires en cours ».
Les Libanais attendent impatiemment une brèche qui permettra au juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020), de reprendre en main le dossier lié à cette affaire, dont l’ont dessaisi des recours judiciaires abusifs présentés par les responsables qu’il a mis en cause. C’est cette idée...

commentaires (2)

C’est simple: tant que le Hezbollah fait la pluie et le beau temps grâce à ses armes, la vérité que tout le monde connaît ne sera pas publiée et les responsables ne seront jamais jugés ni punis.

Lecteur excédé par la censure

10 h 29, le 05 août 2023

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Commentaires (2)

  • C’est simple: tant que le Hezbollah fait la pluie et le beau temps grâce à ses armes, la vérité que tout le monde connaît ne sera pas publiée et les responsables ne seront jamais jugés ni punis.

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 29, le 05 août 2023

  • La vérité est un mirage et tous les libanais ont toujours cru aux mirages. Unissons nous pour le voir au même moment et du même angle afin de le rendre plus vrai que nature.

    Sissi zayyat

    22 h 48, le 04 août 2023

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