Dans l'espoir d'éviter une escalade, les réactions fusent depuis samedi soir après l'annonce que deux hommes, originaires du village de Bécharré, ont été retrouvés morts, dans des circonstances qui doivent encore être tirées au clair, sur les hauteurs du Kornet el-Saouda, le pic le plus élevé du Liban, dans le Nord.
Les deux victimes ont été tuées par balles dans une zone où des tensions opposent régulièrement les habitants de Bécharré et de la localité de Bkaasafrine dans le caza de Denniyé, notamment en raison d'un litige cadastral et pour des questions liées à l'approvisionnement en eau. Des sources dans cette zone sont, en effet, revendiquées par les habitants des deux villages et leur exploitation provoque régulièrement des accès de fièvre. C'est pour cette raison, et par crainte d'une escalade communautaire entre les habitants, presque exclusivement chrétiens, de Bécharré, et ceux, à prédominance sunnite, de Bkaasafrine, que les appels au calme se sont multipliés ces dernières heures.
Tous les intervenants ont notamment appelé la justice à suivre son cours sur cette affaire, qui a été confiée à la première juge d'instruction du Liban-Nord, Samaranda Nassar, qui s'est rendue à l'hôpital gouvernemental de Bécharré puis à l'hôpital Notre-Dame de Zghorta, où se trouvent les dépouilles des victimes. La procureure générale près la cour d'appel du Liban-Nord, Mathilda Touma, avait, elle, appelé les autorités judiciaires à prendre toutes les mesures nécessaires afin d'assurer le suivi de ce dossier.
''Ne pas se laisser emporter''
Prompte à réagir, la municipalité de Bkaasafrine a condamné le meurtre et présenté ses condoléances à la famille Tok, appelant les médias à ne pas "évoquer la région de Denniyé et le village de Bkaasafrine dans cet incident, ce qui pourrait avoir des répercussions dangereuses".
Le Premier ministre libanais sortant, Nagib Mikati, a affirmé qu'il suivait les événements. "Nous condamnons cet incident et les responsables seront arrêtés, afin que justice soit faite", a-t-il dit, selon un communiqué publié par son bureau de presse.
De son côté, le président de la Chambre, Nabih Berry, a contacté les députés Fayçal Karamé (Tripoli/Minié/Denniyé) et Sethrida Geagea (Bécharré). Au téléphone avec M. Karamé, il l'a appelé à "traiter avec sagesse" ce drame. Il a également exhorté les habitants de Bkaasafrine et Denniyé à ne pas "se laisser entraîner par les rumeurs, en attendant la vérité". Lors de sa conversation avec Mme Geagea (née Tok), M. Berry a insisté sur l'importance pour les habitants de Bécharré de ne pas "se laisser emporter" après le meurtre.
Plus tôt, Mme Geagea avait condamné "le meurtre de Haïtham Tok par des inconnus armés se trouvant dans la région de Chihaïn, à Kornet el-Saouda". Elle a indiqué, dans un communiqué, avoir contacté le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, pour lui demander d'envoyer des unités militaires sur les lieux.
Fayçal Karamé avait, quant à lui, dénoncé "l'incident tragique ayant coûté la vie" à Haïtham Tok. "Nous condamnons tout usage de la violence pour résoudre des disputes entre les Libanais", avait-il ajouté, appelant la justice et les forces de sécurité à "agir rapidement pour faire la vérité" sur cette affaire. Il a aussi invité les médias à ne pas "présenter ce qui s'est passé comme un différend entre les habitants de Denniyé et Bkaasafrine d'un côté et de Bécharré de l'autre, dans l'attente de la justice".
Samedi soir, le député sunnite de Tripoli Achraf Rifi a déclaré qu'il avait appelé Samir Geagea, le chef des FL, pour "souligner qu'il relève de la responsabilité des services de sécurité d'arrêter et poursuivre le meurtrier, et de traiter avec sagesse les répercussions du crime". "J'ai confirmé à M. Geagea que la priorité était de rendre la justice, et nous sommes tous convaincus que l'objectif de ce crime est de créer des dissensions entre les régions de Bécharré et de Denniyé, que nous surmonterons", a ajouté M. Rifi. "Ce crime est suspect... Nous craignons une sédition orchestrée''.
Dimanche matin, le chef du courant des Marada et candidat à la présidentielle, Sleiman Frangié, a réagi sur son compte Twitter. "Toute ma compassion aux proches des victimes ; puisse leur sang être sanctifié sur l'autel de l'unité nationale", a-t-il écrit. "Nous appelons à la sagesse, à barrer la route à toute division, et exhortons les autorités sécuritaires et judiciaires à œuvrer rapidement pour trouver la vérité et rendre la justice", a-t-il poursuivi.
Les réactions des religieux
Le mufti de la République, Abdellatif Deriane, plus haute autorité sunnite du Liban, a également appelé dimanche matin M. Karamé. Il lui a demandé de "contribuer à calmer les choses et à adopter une attitude raisonnable et sage", estimant qu'une "cinquième colonne cherche à susciter la division et à profiter d'une situation trouble". De son côté, M. Karamé a remercié le mufti "pour sa sagesse" et insisté sur la nécessité de rendre justice sur ce crime.
Dans son homélie dominicale, le chef de l'Église maronite, Béchara Raï, a aussi exprimé sa "douleur" face aux événements de Kornet el-Saouda et présenté ses condoléances aux familles des victimes. "Nous comptons sur l'armée pour rétablir l'ordre dans l'intérêt de tous, et sur les habitants de Bécharré pour faire preuve de retenue", a-t-il déclaré, estimant que les différends, fréquents dans cette région, doivent être placés ''sous l'ombrelle de la justice''.
"Nous condamnons fermement ce qui s'est passé à Kornet el-Saouda et rejetons l'antagonisme, l'animosité, le meurtre et le désordre sécuritaire", a pour sa part déclaré, dans un communiqué, le mufti jaafarite cheikh Ahmad Kabalan, réputé proche du Hezbollah. "Nous mettons en garde contre la récupération confessionnelle et politique, et affirmons que ce qui s'est passé est un crime odieux, abominable et inacceptable", a-t-il poursuivi, appelant à rendre justice et "empêcher la division, plutôt que de l'attiser".
Le mufti de Tripoli et du Liban-Nord, le cheikh Mohammad Imam, et l'archevêque du diocèse maronite de Tripoli, le métropolite Youssef Soueif, ont, eux, affirmé dans un communiqué commun que "la perte de vies précieuses et chères à la ville de Bécharré est un événement triste et douloureux". "Dar al-Fatwa et l'archevêché maronite appellent les personnes qui vivent côte-à-côte depuis des centaines d'années dans les régions de Bécharré et de Denniyé à faire en sorte que cet incident ne fasse qu'accroître leur détermination en faveur de la cohésion nationale, la prise de conscience et la capacité à contenir cette douleur commune", ont-ils ajouté.
commentaires (7)
Tant que le justice ne s'est pas prononcee, il nous faudra attendre la fin de l'enquete pour savoir ce qui s'est passe.
Pierre Christo Hadjigeorgiou
10 h 35, le 03 juillet 2023