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Nos Lecteurs ont la Parole - Courrier des lecteurs

Le temps des retrouvailles à l'aéroport de Beyrouth

Le temps des retrouvailles à l'aéroport de Beyrouth

Photo Gilles Khoury

Quand l’avion a atterri à Beyrouth, la vie eut, au tout début, et tout d’un coup, une étrangeté presque subtile, une singularité sans pareille, suite à ces neuf mois d’éloignement. L’attente sempiternelle du bus suite à mon arrivée à l’aéroport Charles-de- Gaulle, où je traînais mes valises tout comme mes rêves puérils d’enfance, prit soudainement une forme tout à fait dissemblable en ce beau jour de retrouvailles. Il y avait aujourd’hui toute ma famille réunie, émue, ébranlée – ils étaient tassés l’un contre l’autre en sautillant de joie, en faisant des brusques mouvements un peu bizarres – qui m’attendait hâtivement à l’aéroport de Beyrouth, ce lieu de retrouvailles et d’adieux, mais cela importait peu, car les retrouvailles suffisaient à annihiler l’idée que je devrais, bientôt, repartir.

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Le cœur à mille à l’heure, on aurait dit que cela fut certainement le premier jour de leur existence, ces parents attendaient leurs enfants avec une impatience aiguë. Les halls remplis de l’aéroport s’emplissaient de rires mélodieux, de cris entremêlés de sanglots, de câlins chaleureux, de pleurs silencieux. L’attente était vraiment interminable ; mais lors de la rencontre, le temps devient éternité, et c’est comme s’il s’était arrêté, figé dans le câlin qui unit ces âmes jadis séparées. Les bouches chantaient, les pieds dansaient, les cœurs s’enlaçaient. Les corps, eux, fusionnaient. Même les yeux qui ne versèrent jamais de larmes ont versé des larmes. Le déploiement des cœurs s’est fait. Au son de la voix tendre de ma mère et à la vue de cette silhouette perceptible qui, en l’espace d’une seconde, a comblé mon cœur, j’ai senti mon cœur rater un battement, mon estomac se nouer, j’ai laissé mes valises pour compte. J’ai couru dans ses bras et je l’ai serrée contre moi comme si demain n’était pas promis, et ma sœur et mon frère nous rejoignirent. Ce moment a suffi à dissoudre au fond de mon esprit toute la nostalgie que je ressentais auparavant pour mon pays. Le sourire de ma mère me comblait : sans doute y avait-il dans ce sourire gai une tentation à laquelle je ne pouvais rien, sinon pleurer. Nous marchions, ensuite, dans une nuit à la fois triste et chaleureuse, dans l’air qui sent à la fois l’âcre et le frais ; parce que, par un paradoxe assez raisonnable, on était ensemble, certes, mais cela n’allait pas durer très longtemps. Mais cela, encore une fois, importait peu, car c’est le temps des retrouvailles annuelles, c’est le temps de faire des choses au lieu de les imaginer.

Le retour aux bonnes habitudes

Aucun sentiment n’est plus sublime, ou plus vaste, que ce sentiment qu’on éprouve à l’arrivée chez soi après avoir vécu des jours et des mois sans bout dans un pays où l’absence de l’étendue de l’horizon et des vallées essouffle souvent l’âme. Un pays où tu ne peux pas entremêler trois langues dans une même phrase, ou dire « enno » dans chacune. Un pays où tu cherches difficilement tes pareils, peu importe leur religion ou leur confession, pour sentir que tu es chez toi, pour sentir que tu es protégé, bien entouré, pour ne pas perdre ta patrie qui s’efface doucement par l’horizon, qui agonise comme les lueurs du crépuscule. Un pays où tu ne peux pas dire « 3ammo » à un étranger dont tu ne connais même pas le nom, un pays où tu ne peux pas rentrer dans une « dekkené » et écouter minutieusement les monologues de « tante » sur la vie indomptable de ses dix enfants et qui, sans doute, exagérait. Un pays où tu ne peux plus te perdre dans le câlin tendre des bras robustes de ton père, ou bien discuter avec lui de science politique et des enjeux contemporains, tard le soir, en dégustant des fruits frais.

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Le repas que tu préparais scrupuleusement dans ton appartement étroit à Paris en appel vidéo avec ta mère qui est à l’autre bout du globe se transforme, soudainement, en un plat de koussa et wara2 3enab systématiquement servi à table pendant que tu es alangui au salon, à profiter de l’art de ne rien faire, le salon où se rassemblait autrefois toute la famille pour s’affoler aux chansons de Feyrouz comme si la vie n’avait pas de limites, comme si ce moment fût éternel, ignorant qu’à un moment ou un autre le destin allait décidément vous séparer pour de bon.

Aujourd’hui, tu te réveilles à la voix douce de ta mère « mabadak tfi2 tekol ? » qui te prépare des crêpes sucrées et citronnées pour le petit déjeuner. Tu entres dans la maison de tes grands-parents pour retrouver une table inondée par le nombre de plats libanais qui ont été préparés particulièrement pour toi. Les attentes interminables du métro et la frustration face aux transports publics deviennent des « yalla nrouh kazdoura » au beau milieu de la nuit tombée et sombre. La boulangerie où tu achetais des croissants ou des viennoiseries chaque matin est maintenant le fern juste en dessous de ta maison d’où tu achètes une mankouché zaatar et dont le patron connaît ton nom par cœur et te lance des « ahla w sahla bi hal saba7 el-helo » à chaque fois que tu y mets les pieds. Tu passes avec ta famille ou avec tes amis des longues journées qui te paraissent courtes à chaque fois, tant tu es pris par ce bonheur ivre. Le soir, un peu fatigué, après un de ces jours d’été que tu passes à te baigner et à lire ton bouquin sous le soleil somptueux du mois de juillet, tu t’assois avec tes proches et vous riez comme ces anciens jours où tout allait bien, tu leur racontes tout ce qui s’est passé avec toi en détail dans ce pays inconnu que tu essayes de décrire le plus sincèrement possible, et tu ressens une joie que rien ne peut dépasser. Tu observes à Aïn el-Mreyssé – une vue qui attire les yeux sans jamais les lasser – le jeu candide des enfants à grimper sur les rochers escarpés puis à se lancer dans l’eau fraîche. Tes joues en feu, tes cheveux ondulés par l’écume des vagues, tes draps frais, le dîner sous le ciel constellé. La lune penchée au-dessus de la famille attablée, les étoiles aussi, tes petits cousins qui pointent du doigt ces petites œuvres d’art baignant dans l’obscurité. De quoi peut-on se plaindre quand on a la mer, le soleil, la lune et le Liban devant soi ? Et une bonne bouffe délicieuse ? Et qu’est-ce que le bonheur sinon le simple accord entre la mer et le soleil ?

Tu es de retour dans ce pays où les amours naissent, les étoiles dansent, les gens s’aiment. Tu es de retour de la plage et ton corps, parfumé par les essences de la mer de Batroun et verni d’eau salé, est abruti par le soleil. C’est le temps de ne plus avoir le temps d’être toi-même, car tu es tellement pris par le moment et trop occupé à vivre la belle vie. Tu es de retour et tu as enfin ce sentiment infini et indicible par lequel tu sens qu’aujourd’hui est éternel. C’est enfin le retour à ces nuits de rires sans mesure et de ces « tu te rappelles quand »… C’est le temps de passer de la vue de ces toits caducs rouges et gris à la vue de l’azur et de ces vagues voluptueuses, à la vue de la mer houleuse.

Tu sens la profonde chaleur de ta famille, le vent impétueux du soir effleurer ta peau bronzée, tu es de retour à ce lieu où s’écoule ta jeunesse, où se bercent les souvenirs et où se fond la joie, et c’est comme si tu ne l’avais jamais quitté. Tu es chez toi, tu es de retour dans ta chambre d’enfance où s’installe doucement le soleil, ce lit qui t’essuyait les larmes à chaque fois que l’eau ruisselait de tes yeux, cette chambre dont les murs ont été témoins du travail et de la rigueur que tu mettais dans tes devoirs de philo, de tes secrets les plus ténébreux, de tes espérances comme de tes désespérances, tu es de nouveau en compagnie de tes livres qui sont désormais poussiéreux, fatigués de se tenir debout sans être usés, tu retrouves ton chat, ton chien, qui s’agrippent à toi comme si tu n’avais jamais été absent.

Ça va bientôt finir…

Bientôt, tu devras ranger à nouveau ta valise, tes vêtements du plus clair au plus sombre, tu devras serrer encore une fois tes parents comme si demain n’existait pas, tu devras dormir pour une dernière fois dans ton lit réconfortant, tu seras réveillé pour une dernière fois par la voix de ta maman, « le déjeuner est servi ! » et tu devras étreindre tes proches pour de bon. Mais qu’importe tout cela, si maintenant tu es à la maison, et tu es au Liban, tu es à Beyrouth, tu respires l’air de ce pays que tu rêves de revoir tout au long de l’année, ce pays qui occupait toujours une parcelle de tes pensées même lorsque ton activité cérébrale était vouée à ton TD de droit de la famille, qu’importe cette vérité morose et si dure à avaler si tu es là, qu’importe la réalité placée hors du présent si pour l’instant tu es à Beyrouth et que tu savoures ses petits délices ?

Et même si l’horizon jette des appels qui disent « mais ça va bientôt finir », auxquels tu ne réponds pas, tu sais au fond de toi que tout cela n’est que temporaire, mais cette pensée t’attriste peu, car le Liban a l’ubiquité, et de ce fait, le monde tout entier l’a en soi, et tu l’as, toi, en toi-même, même à des milliers de kilomètres, que ce soit à Paris ou ailleurs.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Quand l’avion a atterri à Beyrouth, la vie eut, au tout début, et tout d’un coup, une étrangeté presque subtile, une singularité sans pareille, suite à ces neuf mois d’éloignement. L’attente sempiternelle du bus suite à mon arrivée à l’aéroport Charles-de- Gaulle, où je traînais mes valises tout comme mes rêves puérils d’enfance, prit soudainement une forme...

commentaires (2)

L’auteure de cet article a fait le choix de continuer ses études à l’étranger pour des raisons qu’elle est la seule à connaître. N’empêche que ses parents lui manquent et que son pays lui manque, et elle assume son choix en tout cas. Il y aura toujours des avantages et des inconvénients dans chaque pays où l’on fera le choix d’y vivre. Mais comme on est libre d’avoir une opinion, d’ailleurs qu’elle soit tronquée ou pas, elle est libre de décrire le paradoxe morose de ce que c’est de vivre à l’étranger, la nostalgie ressentie et le côté obscur de cette expérience, expérience qui a, inversement, un côté positif, qui n’a pas été décrit dans cet article qui ne résume surtout pas la vie d’une personne.

10 h 50, le 21 juin 2023

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Commentaires (2)

  • L’auteure de cet article a fait le choix de continuer ses études à l’étranger pour des raisons qu’elle est la seule à connaître. N’empêche que ses parents lui manquent et que son pays lui manque, et elle assume son choix en tout cas. Il y aura toujours des avantages et des inconvénients dans chaque pays où l’on fera le choix d’y vivre. Mais comme on est libre d’avoir une opinion, d’ailleurs qu’elle soit tronquée ou pas, elle est libre de décrire le paradoxe morose de ce que c’est de vivre à l’étranger, la nostalgie ressentie et le côté obscur de cette expérience, expérience qui a, inversement, un côté positif, qui n’a pas été décrit dans cet article qui ne résume surtout pas la vie d’une personne.

    10 h 50, le 21 juin 2023

  • Article à l’eau de rose décrivant une réalité tronquée. Si l’auteure est tellement heureuse de vivre au Liban, qu’elle y reste toute l’année et qu’elle affronte les contraintes et humiliations quotidiennes des libanais résidents. Personne ne l’oblige à rester à Paris si elle n’y est pas heureuse.

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 13, le 21 juin 2023

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