Deux circulaires publiées le 26 avril dernier par le ministre de la Justice Henri Khoury imposent aux juges d’obtenir des autorisations avant toute apparition dans les médias, mais aussi avant de voyager pour participer à des séminaires ou des conférences. Ces deux décisions s’inscrivent dans la lignée d’une décision controversée et largement critiquée prise antérieurement par l’ordre des avocats, qui impose, elle, aux membres du barreau d’obtenir des autorisations préalables auprès du bâtonnier avant leur apparition dans les médias. Il semble cependant que les circulaires du ministre de la Justice n’aient été révélées au grand jour que jeudi, à travers des condamnations qui commencent à se multiplier.
Dans les détails, la première circulaire se réfère à une précédente datée de 2021, et « attire l’attention des juges sur le fait qu’il leur est interdit d’apparaître dans les médias et d’y donner leur avis sans avoir obtenu une autorisation préalable » du ministre. Le texte précise aux juges qu’ils doivent « se plier aux décisions légales » et ne pas apparaître dans des médias, quels qu’ils soient, sans autorisation préalable.
Dans la seconde circulaire également datée du 26 avril, le motif principal invoqué est que « des juges nouent des relations directes avec des organisations nationales et internationales, ainsi qu’avec des ambassades, dans le but de participer à des voyages et des colloques à l’étranger ». « Il est exigé des juges d’obtenir une autorisation préalable du ministre de la Justice dix jours au minimum avant tout déplacement à l’étranger, sous peine d’encourir des poursuites, précise le texte. Il est également demandé aux juges de ne pas entretenir des relations directes avec des ambassades ou des organisations dans l’objectif de participer à des voyages ou des colloques au Liban ou à l’étranger, avant d’avoir présenté une demande à cette fin au ministre de la Justice et d’avoir obtenu une autorisation. »
À ce propos, l’avocat et activiste Nizar Saghieh, directeur de l’Agenda légal, a fustigé les deux circulaires dans deux tweets, estimant que la première « vise à faire taire les juges » et la seconde « à les isoler en leur interdisant de s’entretenir directement avec des organisations ou des ambassades ». « Comme je l’avais prévu, le ministère de la Justice n’a pas tardé à s’aligner sur la position de l’ordre des avocats en imposant des autorisations préalables aux juges, a poursuivi l’activiste. Naturellement, le silence des avocats se double d’un silence des magistrats. Le mur de l’impunité craint le bruit… et les lumières. »
Pour sa part, et malgré la vaste campagne de soutien dont il a bénéficié au sein de la société civile, Nizar Saghieh a déjà payé le prix fort de ces prises de position à l’encontre de la décision du bâtonnier Nader Gaspard. Il a été convoqué le 20 avril par le conseil de l’ordre des avocats pour y être interrogé et risquait la radiation. La décision de l’ordre n’a toujours pas été prise à son encontre.
Jeudi, la cour d’appel chargée de statuer sur la décision de l’ordre des avocats, suite à une plainte déposée par Nizar Saghieh et d’autres avocats activistes, était censée prononcer son verdict, en vue d’annuler ou de valider cette décision. Cette échéance a été reportée à une date prochaine.
Le ministre a parfaitement raison. Le bon sens exige le silence des juges.
23 h 39, le 05 mai 2023