Voilà plusieurs jours qu’une partie du débat public libanais se focalise autour de la décision du conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth de restreindre dans certains cas l’accès aux médias des membres du barreau. Au point de concurrencer sérieusement les autres forfaitures habituelles d’un État failli, comme le nouveau report des élections municipales (on se demande parfois si nos gouvernants sont bons à autre chose qu’à ajourner des échéances), l’incapacité chronique à élire un président, les tergiversations délibérées sur les réformes structurelles et bien d’autres réjouissances encore, sans oublier les fanfaronnades renouvelées – mais néanmoins nonchalantes et mesurées – de notre gendarme géopolitique autoproclamé, le Hezbollah…
Comment se fait-il que toutes ces grandes réussites, qui suffiraient à expédier n’importe quelle entité étatique de la planète en enfer, n’aient pas encore, après toutes les tragédies que ce pays a endurées, éteint à tout jamais la capacité ne serait-ce que d’une partie infime de l’opinion libanaise à réagir à une mesure dont on pourrait penser a priori qu’elle ne concerne que les membres d’un ordre professionnel ? La réponse est facile : cette mesure touche à quelque chose qui, en dépit de tout, reste absolument sacré sous nos étroites latitudes, et elle est prise par un organisme dont la mission historique et civilisationnelle a toujours été de défendre ce quelque chose de sacré.
L’Orient-Le Jour n’entend certes pas entrer dans le débat de fond interne sur les motivations de la décision du conseil de l’ordre. De plus, il prend acte de ce qu’affirment de nombreux membres du barreau selon lesquels l’actuel bâtonnier est loin d’être un homme à entreprendre des démarches liberticides et que toute sa pratique jusqu’ici à la tête de l’ordre démontre le contraire. Fort bien, mais il faut constater tout de même que parmi ces mêmes membres du barreau, nombreux sont ceux qui considèrent que tout en ayant des motivations légitimes, la décision du conseil de l’ordre de soumettre certaines interventions médiatiques des avocats à une autorisation préalable du bâtonnier constitue une grosse maladresse. Aux yeux de ces avocats et juristes, celle-ci réside essentiellement dans le fait que le conseil de l’ordre a placé cette décision dans un cadre général, au lieu de se contenter de traiter le problème à l’origine de cette décision par des mesures de police interne.
Il n’est donc pas question de nier l’existence de ce problème, à savoir que des membres du barreau commettent parfois des abus dans leurs interventions médiatiques, mais simplement de projeter la lumière sur une approche malheureuse de la solution. Un ancien bâtonnier, en l’occurrence le député Melhem Khalaf, va même plus loin en qualifiant cette approche d’illégale et d’inconstitutionnelle.
Et puis, il semble bien qu’à une première faute, on en ait ajouté une autre. Là aussi, il ne s’agit pas d’entrer dans un débat de fond au sujet du litige opposant le conseil de l’ordre à Nizar Saghiyé, un litige dont il est dit qu’il dépasse l’affaire des restrictions imposées. Mais on ne peut que constater qu’en convoquant, en ce timing précis, cet ardent défenseur des libertés qu’est le directeur de l’Agenda légal, on s’attaque à un symbole. À tort ou à raison, cela ne peut que renforcer le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, on en veut aux libertés.
Au-delà, notre journal, qui alignera l’année prochaine cent années de passion pour la liberté, se doit d’alerter sur un aspect que d’aucuns, au sein du conseil de l’ordre des avocats, semblent ne pas avoir bien examiné. Nonobstant les bonnes intentions derrière la décision prise par les uns aujourd’hui, qui peut dire que demain, d’autres, animés eux de mauvaises intentions, ne s’en serviront pas comme d’un précédent ? Pourquoi donc leur faire ce cadeau ?
Il se trouve que les vendus choisissent des méthodes radicales pour intimider et terroriser. Ces responsables de « l’injustice » de notre pays auraient pu choisir de condamner au cas par cas les avocats qui outrepassent leur fonction. Au lieu de quoi il préfèrent instaurer de nouvelles lois illégitimement, prises par un seul homme qui on sait pour qui il penche. Il n’y a qu’à voir toutes ses récentes décisions pour comprendre qu’il ne fait qu’exécuter les ordres des fossoyeurs de son pays. Il est très efficace à ce jeu et traîne les pieds lorsque’il s’agit de faire son vrai boulot. Quant à la liberté d’expression, Monsieur Fayard, vous n’êtes pas sans savoir, puisque vous lisez notre journal qui est le « votre » que la censure exagérée pratiquée par certains modérateurs est très loin de l’esprit et des valeurs que vous défendez dans cet article. Malgré la protestation des lecteurs, on se rend compte que certains journalistes vendus ont plus de liberté pour propager des propagandes fallacieuses pour lesquelles les lecteurs n’ont aucun droit de réponse pour cause de censure. Lorsque les usurpateurs le font on s’insurge, mais pourquoi les singer alors que vous êtes censés donner l’exemple. La conclusion est que notre pays est déjà sous une dictature qui nous muselle tous et que nous faisons semblant de ne pas voir pour ne pas la froisser. Alors on tourne autour du pot avec nos slogans et nos références qui, malheureusement n’ont jamais réussi à libérer un pays.
14 h 57, le 22 avril 2023