Le documentaire, intitulé « Le Hezbollah : l’enquête interdite », diffusé dimanche soir sur France 5, a fait réagir les pro comme les anti-Hezbollah. Quelles que soient les attentes respectives des uns et des autres, pour les réalisateurs – Jérôme Fritel et Sofia Amara –, ce documentaire n’avait d’autres ambitions que de « raconter la face cachée du Hezbollah » et de mettre « l’accent sur la question de l’impunité qui s’est perpétuée aussi bien à travers le trafic de drogue et l’assassinat de Rafic Hariri que lors de l’explosion au port », comme le souligne la réalisatrice.
Sollicitée, Sofia Amara, journaliste franco-marocaine, répond aux questions de « L’OLJ » et nous mène dans les coulisses de ce travail d’investigation de deux ans.
Comment avez-vous réussi à convaincre le numéro deux du Hezbollah Naïm Kassem de vous répondre ?
Il m’a fallu un an de négociations pour décrocher ces interviews. Le Hezbollah me connaissait depuis longtemps. Il est vrai que c’est un parti hermétique quand il s’agit d’interviewer ses combattants ou sa direction politique. Mais ce qui a joué dans ce cas, c’est le fait que la confiance s’est établie depuis 1993. J’avais déjà interviewé Naïm Kassem, et le Hezbollah avait suivi de près mon travail de journaliste, notamment lors de l’agression israélienne de 1993 et celle de 1996, durant laquelle il y a eu le massacre de Cana dont mon ex-mari est originaire. J’ai donc subi les guerres menées contre le Hezbollah, dont celle de juin 2006, où il y a eu un autre massacre à Cana où j’ai été piégée avec mon fils aîné. J’ai également couvert le conflit israélo-palestinien avec abnégation et rapporté les crimes commis par Daech (l’État islamique) contre les enfants yézidis et musulmans.
Avez-vous peur de revenir au Liban ?
Non, pas du tout. Je n’ai pas fui le Liban, ni exfiltré les membres de l’équipe de production comme en ont fait état certaines rumeurs et informations médiatiques non vérifiées. ll y a malheureusement eu beaucoup de fausses informations à propos de ce film qu’on a réduit au sujet de l’enquête sur le port. Ce film est le produit d’efforts assidus, d’informations recueillies et trois fois recoupées. Un sérieux qui détonne avec la légèreté des commentaires qui circulent sur les réseaux sociaux.
Les Américains ne divulguent qu’exceptionnellement leurs renseignements. Pourquoi ont-ils accepté de les partager avec vous ? Est-ce pour remettre sur le tapis le projet « Cassandre » qui a été avorté en cours de route ?
Il faut savoir que la DEA (Drug Enforcement Administration) et la CIA n’ont pas accepté de nous parler. Mais il se trouve que les principaux acteurs de cette enquête sont partis à la retraite et sont donc plus libres de leurs paroles. Et en filigrane, ils ont un compte à régler avec le fait que leur travail d’investigation a été stoppé en pleine lancée et au moment où ils étaient sur le point de faire tomber la tête pensante de cette machine à faire du fric pour le Hezbollah.
Le fait que France 5 soit une TV publique vous a-t-il facilité l’accès aux renseignements français ?
Les renseignements français sont généralement imperméables. Cela dit, le fait que l’on soit une chaîne publique est un gage supplémentaire de sérieux. Mais cela ne veut pas dire qu’on a accès à tous les secrets d’État. Ce qu’il faut également savoir, c’est que le seul acteur des renseignements français interrogé, c’est Quentin Mugg, qui a déjà écrit un livre sur ce sujet, et il témoigne de faits qui ont eu lieu en 2008 ; donc, les informations qu’il nous confie sont déjà divulguées.
Pourquoi avoir choisi de donner longuement la parole à Marwan Hamadé et Achraf Rifi, connus pour être des faucons du 14 Mars et des adversaires acharnés du Hezbollah ?
Pour Marwan Hamadé – qui est un interlocuteur francophone exceptionnel –, c’est tout simplement parce que l’on voulait quelqu’un qui a vécu cela dans sa chair (il a été victime en 2004 d’une tentative d'attentat aux explosifs attribuée au Hezbollah). Il est en outre un témoin unique de l’histoire du Liban depuis le milieu du siècle dernier. Quant à Achraf Rifi, c’est parce qu’il était le patron des FSI et le témoin du seul crime condamné par le Tribunal spécial pour le Liban, celui de l’ex-Premier ministre du Liban Rafic Hariri.
Ce documentaire peut-il, selon vous, donner des ailes à Tarek Bitar et l’aiguillonner dans son enquête, comme le croient certains observateurs ?
Nous n’avons pas produit une pièce à conviction. Ce film n’est pas une bouée de sauvetage pour le Liban ni une main tendue. Il est simplement un témoignage dans un temps-clé, mais qui n’est pas destiné à sauver un pays à la dérive. Il est là pour raconter une face cachée du Hezbollah. L’angle de l’histoire était de raconter l’impunité et la justice impossible chaque fois qu’il s’agissait du Hezbollah, que ce soit dans l’affaire du port, celle de l’assassinat de Hariri ou de la drogue. La conclusion à tirer pour les Libanais est la suivante : n’attendez l’aide de personne.
commentaires (8)
Bravo
Tabet Ibrahim
14 h 47, le 08 février 2023