
Le Premier ministre sortant s’exprimant à la presse à sa sortie de la séance gouvernementale d’hier. Photo Dalati et Nohra
Nagib Mikati est sorti vainqueur de la journée d’hier. Le chef du gouvernement sortant n’a eu besoin que de 18 ministres et quelques heures pour réaliser les objectifs qu’il s’était fixés il y a plusieurs semaines, tout en marquant de nouveaux points dans le bras de fer qui l’oppose au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Il a pu outrepasser le veto chrétien pour tenir un Conseil des ministres rendu possible grâce à un feu vert du Hezbollah, dont les deux ministres (des Travaux publics et de l’Agriculture) ont fait acte de présence au Sérail. Une position qui a évidemment menacé davantage l’entente de Mar Mikhaël qui, de l’aveu même de M. Bassil, est aujourd’hui au bord du gouffre. Même si le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah se montre soucieux de sa survie pour ne pas perdre un appui chrétien précieux à l’heure où la bataille présidentielle bat son plein. Autre secousse subie par le parti orange hier : la participation à la séance de deux ministres gravitant dans son orbite, portant ainsi un sérieux coup à l’unité d’un camp déjà fragilisé depuis la fin du mandat Aoun (en octobre dernier) et presque isolé au vu de ses mésententes avec tous les protagonistes, y compris son (seul) allié chiite.
Dans le pur style Nagib Mikati, le Premier ministre n’a pas eu besoin de recourir à la provocation. Pour éviter un retrait des ministres du Hezbollah qui risquait de torpiller la réunion, il a levé la séance juste après le débat autour du dossier urgent de l’électricité. Il n’a donc pas joué à fond la carte de l’appui conditionnel du parti de Hassan Nasrallah, préférant en profiter une fois de plus pour tenir un nouveau Conseil des ministres prévu dans deux semaines, comme il l’a annoncé à l’issue de la séance.
Comme prévu, le Conseil des ministres réuni au Sérail a approuvé une avance du Trésor (62 millions de dollars) destinée à financer l’achat de fuel pour le compte d’Électricité du Liban, et une autre (54 millions de dollars) pour l’entretien des centrales de Zahrani (Liban-Sud) et Deir Ammar (Liban-Nord). Deux autres avances ont été approuvées sous réserve d’une validation a posteriori par une commission ministérielle ad hoc, comme l’a annoncé M. Mikati à l’issue de la séance. Ces décisions ont été prises en l’absence du ministre de l’Énergie Walid Fayad (CPL), pourtant premier concerné par la question de l’électricité, mais qui a préféré se conformer à la décision du courant orange de boycotter les réunions du cabinet en l’absence d’un chef de l’État. La démarche de M. Fayad était attendue. Mais la surprise était ailleurs. Elle a résidé dans la participation du ministre de l’Économie Amine Salam, et celle de son collègue au Tourisme Walid Nassar, comptés parmi les ministres gravitant dans la galaxie aouniste. « Nous n’avons pas été nommés ministres pour rester à la maison », a déclaré Amine Salam juste avant la réunion qui devait débattre du financement de l’achat de blé pour la production du pain. Sauf que le Premier ministre a levé la séance « juste après le débat concernant l’électricité qui a duré plus de trois heures », confie à L’Orient-Le Jour le ministre sortant de la Culture Mohammad Mortada (proche du mouvement Amal).
Quant à Walid Nassar, il a notifié le chef du CPL Gebran Bassil de sa volonté de prendre part à la séance, en dépit du mot d’ordre aouniste, a-t-on appris de source ministérielle. Une décision qui « n’a pas plu » à Gebran Bassil, a-t-elle ajouté. « Ma présence aujourd’hui ne vise pas à faire plaisir à quelqu’un ni à défier qui que ce soit, mais à exprimer ma position officielle concernant la session et les décrets qui seront publiés », a déclaré M. Nassar à la presse après la réunion du cabinet, dans une allusion à son intervention en Conseil des ministres. M. Nassar y a en effet exprimé (son) « opposition à ce que les décrets (émis en l’absence d’un chef de l’État) soient signés par les ministres concernés uniquement (comme le veut le chef du gouvernement), alors que l’article 62 de la Constitution transfère les prérogatives du président au Conseil des ministres dans son ensemble ». Il réitérait ainsi la position du camp aouniste qui voit dans les réunions gouvernementales un empiètement sur les compétences du chef de l’État.
La colère de Bkerké
Sur ce point, les aounistes convergent avec Bkerké. Dans un communiqué publié hier, les évêques maronites s’en sont pris à M. Mikati et à sa méthode de gérer le pays sans président. « Selon la loi, le chef du gouvernement n’a pas le droit de convoquer un Conseil des ministres sans l’approbation des membres de son cabinet. Il n’a pas non plus le droit d’émettre des décrets sans la signature de tous les ministres », ont-ils lancé, se faisant l’écho du patriarche Béchara Raï qui avait tenu des propos allant dans le même sens il y a quelques semaines.
Ces appréhensions, Nagib Mikati a tenté de les calmer, aussi bien au début de la réunion que dans ses déclarations à la presse. « Le cabinet sortant ne veut aucunement remplacer le président de la République », a affirmé le milliardaire tripolitain à l’ouverture de la session. « Je ne veux pas me noyer dans des polémiques inutiles (...), ni répondre à des propos sectaires qui mettent des appréhensions qui n’existent que chez certains », a-t-il dit. « Le Conseil des ministres (de mercredi) n’a pas pour but d’approfondir les divisions de la politique libanaise », a déclaré Nagib Mikati à sa sortie de la réunion, annonçant un prochain Conseil des ministres qui sera consacré au reste des questions urgentes, dont le secteur de l’éducation et l’achat de blé, à titre d’exemple.
Le CPL temporise
L’annonce de M. Mikati lance déjà le nouveau round du bras de fer l’opposant au camp aouniste et enfonce davantage le clou entre le CPL et le Hezbollah, dont les rapports – au plus bas depuis février 2006 – ont connu une nouvelle secousse, Gebran Bassil ayant menacé à demi-mot de mettre fin à l’accord de Mar Mikhaël. « Le Conseil des ministres (d’hier) pourrait nous mener à ce qui va au-delà de l’atteinte aux équilibres et aux ententes », avait-il lancé dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Quelques heures plus tard, le parti chiite a répondu par la bouche de Hassan Nasrallah. Dans son discours, ce dernier s’est défendu de toute atteinte aux postes chrétiens et a justifié la participation de son parti à la séance ministérielle en mettant l’accent sur le caractère « urgent » de la question de l’électricité.
Dans ce contexte de tension, que fera le CPL ? « Nous n’en sommes pas encore à la mort de l’accord de Mar Mikhaël », affirme un ancien parlementaire du parti, excluant de voir les députés orange voter pour un candidat bien déterminé lors de la séance parlementaire prévue ce matin pour élire un président, au lieu de se conformer au vote blanc comme le veut le parti chiite. « Nous attendons l’entente. Mais nous ne voulons pas brûler des candidats », conclut-il.
commentaires (16)
testiva21@gmail.com
Testiva 21
11 h 26, le 20 janvier 2023