
Des manifestants se sont introduits mardi au Palais de justice de Beyrouth. Photo Mohammad Yassine
Le ministre sortant de la Justice Henri Khoury a affirmé mercredi que la visite de juges européens prévue cette semaine pour enquêter sur des malversations financières présumées impliquant le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé sera rejetée « si (elle) viole la souveraineté du Liban ».
Dans une conférence de presse, M. Khoury a rappelé que les juges européens devaient « respecter la loi libanaise ». « Toute coopération internationale qui se déroulera selon la loi libanaise ne violera pas la souveraineté du Liban. Toute dérogation à ces règles (...) sera certainement rejetée par les autorités judiciaires spécialisées et par ce ministère », a-t-il dit.
Des délégations composées de procureurs, de juges d’instruction et de procureurs financiers de France, d’Allemagne et du Luxembourg doivent atterrir incessamment à Beyrouth pour enquêter sur des allégations de détournement de fonds, d’enrichissement illicite et de blanchiment d’argent. Ceux venus d'Allemagne sont déjà arrivés en début de semaine.
Cette visite suscite la controverse dans les milieux judiciaires locaux. Si certains experts considèrent que l’enquête est légale, dans le sens où elle s’inscrit dans le cadre de la Convention des Nations unies contre la corruption à laquelle le Liban a adhéré en 2009, d’autres y voient un empiètement sur la souveraineté libanaise.
Au cours de sa conférence de presse, M. Khoury a expliqué que le Liban a signé la Convention des Nations unies contre la corruption et que, par conséquent, les juges européens « n’ont pas besoin d’une garantie pour mettre en œuvre une mesure judiciaire étrangère émanant de juges étrangers sur le territoire libanais ».
Le ministre sortant a également révélé qu’une délégation judiciaire française devrait atterrir au Liban le 23 janvier, dans le cadre de l’enquête sur la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020. Cette enquête est actuellement suspendue en raison des nombreux recours en invalidation présentés par des responsables politiques à l’encontre du juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, en charge du dossier du port.
William Noun convoqué par la PJ
C’est dans ce cadre que tombe la convocation par la police judiciaire de Beyrouth (caserne de Verdun) de William Noun, frère d’une victime de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, Joe Noun. Il avait participé mardi à un sit-in devant le Palais de justice de Beyrouth, au cours duquel les manifestants avaient tenté de pénétrer à l’intérieur du bâtiment. De même ont été convoqués d’autres manifestants, parmi lesquels Cécile Roukoz, sœur d’une victime. Or cette manifestante est avocate et, selon les normes en vigueur, elle ne devrait pas être entendue par la PJ mais uniquement par un magistrat. En guise de protestation, les familles des victimes ont appelé à une manifestation ce jeudi à 9h30 devant le Palais de justice de Beyrouth.
Des dizaines de proches de victimes de la double explosion s’étaient rassemblés mardi en fin de matinée devant le Palais de justice de la capitale libanaise pour réclamer l’avancée de l’enquête sur ce dossier qui piétine en raison d’ingérences politiques. Des échauffourées avaient ensuite eu lieu avec les forces de l’ordre. William Noun et Cécile Roukoz doivent répondre d’accusations d’émeute, de vandalisme et de cambriolage des bureaux du Palais de justice. « Ce à quoi nous assistons est un second crime », avait alors déclaré la députée contestataire Halimé Kaakour, condamnant « l’arrêt de l’enquête, avec des motivations politiques claires ». Elle montrait ainsi du doigt les pratiques du ministre sortant des Finances Youssef Khalil qui s’est abstenu de signer les nominations judiciaires bloquées depuis plusieurs mois, nécessaires à l’avancée de l’enquête. Le député issu de la contestation populaire Michel Douayhi avait pour sa part affirmé qu’« un pays sans justice ne peut pas être construit », assurant qu’il continuerait à se mobiliser jusqu’à ce que l’enquête arrive à terme.
Quatre membres du CSM défient Souheil Abboud
Toujours dans le cadre du même dossier, quatre membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ont appelé hier à la tenue d’une réunion ce jeudi à 11h30 pour discuter d’un « point unique se rapportant à l’enquête sur la double explosion au port ». En convoquant le CSM, Habib Mezher, Dany Chebli, Mireille Haddad et Élias Richa se sont basés sur l’article 6 de la loi sur l’organisation judiciaire qui permet à quatre magistrats de prendre cette initiative.
La démarche des quatre magistrats s’inscrirait dans un bras de fer qui les opposerait au président du CSM Souheil Abboud sur la question de la désignation d’un juge suppléant au juge Tarek Bitar, en charge de l’enquête du port, en vue de statuer notamment sur les demandes de remise en liberté des détenus dans l’affaire. M. Abboud avait accepté le principe de désignation proposé par le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, mais depuis que le choix de ce dernier s’est porté sur Samaranda Nassar, réputée proche du courant aouniste, dont relève également l’un des détenus, l’ancien directeur des douanes Badri Daher, le président du CSM n’a plus convoqué ses pairs.
Les quatre membres du CSM ont motivé leur appel à une réunion par la nécessité de « préserver la bonne marche de la justice et garantir tous les droits ». Or un haut magistrat interrogé par L’Orient-Le Jour estime que cette prérogative accordée par la loi « n’est admise qu’en l’absence du président du CSM et dans des circonstances exceptionnelles ». « Dans cette logique, il est difficile d’imaginer M. Abboud participer à une réunion à laquelle il n’est pas convié », estime ce magistrat.
Pour que la séance ait lieu, encore faut-il que soit assuré le quorum de présence, qui est de six membres. Composé légalement de dix membres, le CSM n’en compte actuellement que sept, en raison de départs à la retraite qui, dans un contexte de blocage des nominations, n’ont pas encore été remplacés. Outre MM. Abboud, Mezher, Chebli, Richa et Mme Haddad, le CSM comprend Afif Hakim et le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate. Ce dernier s’étant désisté de l’affaire du port en raison de sa parenté avec Ghazi Zeaïter, député berryste mis en cause par le juge Bitar, la question est de savoir s’il prendra part à la séance. Si MM. Oueidate et Hakim répondent présent, la séance sera tenue en l’absence de M. Abboud.
Quant au quorum de vote, il sera à la majorité des membres présents, c’est-à-dire quatre en l’espèce. Pour un point précis, ce sera la voix du président de la réunion qui l’emportera en cas d’égalité du nombre de voix dans un sens ou dans l’autre. En l’espèce, puisque M. Abboud ne présidera vraisemblablement pas la réunion, la voix qui tranchera sera celle du magistrat le plus haut gradé.
Le ministre sortant de la Justice Henri Khoury a affirmé mercredi que la visite de juges européens prévue cette semaine pour enquêter sur des malversations financières présumées impliquant le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé sera rejetée « si (elle) viole la souveraineté du Liban ».Dans une conférence de presse, M. Khoury a rappelé que les juges européens...
commentaires (14)
Comme si la souveraineté dans leur bouche avait le même sens. Ils salissent tout ce qu’ils défendent et tout ce qu’ils touchent. Quant à ce cinéma à deux balles que nous offres les magistrats venus en découdre, on ose espérer qu’ils ont dans leurs hottes , des relevés bancaires, des comptes de tous ces corrompus qu’ils agiteraient devant leur nez si, par malheur ou par excès de confiance en leur toute puissance, ils refuseraient de coopérer. C’est loin d’être une réalité puisque dans leurs pays respectifs déjà ils n’ont pas bouger une oreille pour faire avancer les choses en menaçant de dénoncer ces malfrats devenus par la force des choses des partenaires gênants mais oh combien lucratifs. Nous sommes fichus, notre seul salut serait notre courage et notre unité pour sauver ce qui reste de ce pays jadis beau
Sissi zayyat
10 h 53, le 13 janvier 2023