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Société - Communautés

Quand Benoît XVI venait au Liban pour « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés »

En 2012, le pape Benoît XVI s’était déplacé au Liban (14-16 septembre) pour remettre aux six Églises catholiques orientales l’exhortation apostolique issue du synode pour le Moyen-Orient qui s’était tenu deux ans auparavant. Il s’agira de son dernier voyage apostolique. 

Quand Benoît XVI venait au Liban pour « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés »

Benoît XVI dans la « papamobile » au milieu de la foule à Bkerké. Émile Eid/Photo d’archives

Il ne fallait pas moins que la capacité de synthèse de ce géant intellectuel que fut le pape Benoît XVI pour appréhender et intégrer l’immense diversité du monde catholique, dont fait partie le peuple de Dieu établi en Terre sainte et dans tout le Moyen-Orient. C’est dans cette étonnante capacité d’unir sans confondre et de distinguer sans séparer chère à saint Thomas d’Aquin que se souvient de lui l’évêque maronite émérite de Sarba Guy Noujeim, qui a travaillé sous sa direction quelques entrées du Catéchisme de l’Église catholique.

Alors qu’il foule la terre du Liban le 14 septembre 2012, Benoît XVI vient en fait pour l’ensemble du Moyen-Orient. Il est chargé de remettre aux six Églises catholiques orientales l’exhortation apostolique issue du synode pour le Moyen-Orient tenu deux ans auparavant : « L’Église catholique au Moyen-Orient : communion et témoignage » (10-24 octobre 2010). Le pape arrive avec un handicap, le souvenir de l’accueil délirant réservé à son prédécesseur Jean-Paul II, en 1997. Allait-on pouvoir revivre ces jours ? La clarté de sa pensée et sa douceur d’expression, si distinctes, allaient faire merveille, à leur manière propre.

Le pape à son arrivée à l'AIB le 14 septembre 2012, reçu par l'ancien président Michel Sleimane. Photo d\'archives Michel Sayegh

Les corps constitués civils et religieux, qu’il reçoit à son arrivée, au palais présidentiel, lui réservent un accueil chaleureux. Dans un mémoire qu’il lui adresse, le mufti Mohammad Rachid Kabbani l’assure : « Nos relations privilégiées sont notre message au monde. »

En fait, Benoît XVI vient continuer ce que Jean-Paul II avait commencé avec le synode sur le Liban (1995) et que François va poursuivre méthodiquement : cartographier spirituellement le « berceau » du christianisme et « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jean 11:45).

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C’est « l’unique Église du Christ (qui) s’exprime dans la variété des Traditions liturgiques, spirituelles, culturelles et disciplinaires des six vénérables Églises orientales catholiques sui iuris, ainsi que dans la Tradition latine », dira-t-il à la messe d’ouverture du synode, à Rome, en 2010. « C’est cette optique intérieure qui m’a guidé dans les voyages apostoliques en Turquie, en Terre sainte – Jordanie, Israël, Palestine – et à Chypre, où j’ai pu connaître de près les joies et les préoccupations des communautés chrétiennes », ajoutera-t-il.Il ne s’agit pas de son premier voyage au Moyen-Orient. Benoît XVI aborde la région à travers le Liban, exception démocratique et pluraliste dans un monde autocratique. Et d’abord, aime-t-on croire, il vient aider les Libanais de toutes confessions, les chrétiens d’abord, à apprécier à sa juste valeur la synthèse de civilisation islamo-chrétienne que l’on appelle « vivre-ensemble » qu’ils semblent avoir réussie, et que son prédécesseur avait offerte en modèle aux mondes oriental et occidental.

Le pape s’adressant au président Sleimane dans le palais de Baabda. Photo d’archives AFP/bureau de presse du Vatican

À cette fin, il vient insuffler une nouvelle vie aux « racines religieuses » de la communauté maronite, majoritaire au Liban parmi les chrétiens, dont Jean-Paul II avait rappelé qu’elles étaient « à la source de leur identité nationale ». Un aggiornamento devenu indispensable pour maîtriser une histoire qui se complexifiait depuis la création du « Grand Liban » (1920) et le mouvement de décolonisation qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale.

La belle symbiose du Liban
S’adressant aux milliers de jeunes venus l’écouter, sur la grande place aménagée à l’entrée du siège patriarcal maronite de Bkerké, Benoît XVI leur redira « l’honneur » qui leur revient de vivre sur une terre foulée par les pieds du Christ. Il ajoutera : « Je voudrais saluer maintenant les jeunes musulmans qui sont avec nous ce soir. Je vous remercie pour votre présence qui est si importante. Vous êtes avec les jeunes chrétiens l’avenir de ce merveilleux pays et de l’ensemble du Moyen-Orient. Cherchez à le construire ensemble ! Et lorsque vous serez adultes, continuez de vivre la concorde dans l’unité avec les chrétiens. Car la beauté du Liban se trouve dans cette belle symbiose. Il faut que l’ensemble du Moyen-Orient, en vous regardant, comprenne que les musulmans et les chrétiens, l’islam et la chrétienté, peuvent vivre ensemble sans haine dans le respect des croyances de chacun pour bâtir ensemble une société libre et humaine. »

Au palais de Baabda, le pape, et à côté de lui le patriarche maronite Béchara Raï, salue des dignitaires musulmans venus l’accueillir. Photo d’archives AFP/bureau de presse du Vatican

Le pape n’oublie pas les jeunes Arabes qui ont réussi à venir à sa rencontre. « J’ai appris également qu’il y a parmi nous des jeunes venus de Syrie, soulignera-t-il. Je veux vous dire combien j’admire votre courage. Dites chez vous, à vos familles et à vos amis, que le pape ne vous oublie pas. » Il s’adresse à eux un an avant que leur pays, identifié encore à l’heure où il parle, non sans souffrances, comme l’un des épisodes du printemps arabe, ne bascule en 2013 dans la violence.

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Le pape était ravi par l’exubérant accueil que lui avaient réservé les jeunes, se souvient Mgr Paul Sayah, alors vicaire patriarcal maronite. C’est à la suite de cet accueil que deux Libanais se voient confier la rédaction des méditations du chemin de la croix du vendredi 15 avril 2023.

Le relativisme éthique, envahisseur silencieux
Hélas, ce voyage au Liban sera le dernier de Benoît XVI et ne portera pas tous les fruits escomptés, et c’est dans le besoin d’être confirmées une fois de plus dans leur vocation historique que les communautés libanaises attendent aujourd’hui une nouvelle visite papale.

La messe du dimanche célébrée par le pape au BIEL, à Beyrouth, avait attiré des foules immenses. Nasser Traboulsi/Photo d’archives

Mais en une dizaine d’années, le paysage extérieur a énormément changé, et ce que Benoît XVI et beaucoup redoutaient s’est produit : les appels au dialogue sont venus trop tard. L’invasion de l’Irak par les États-Unis (mars 2003) a disloqué ce pays, les ténèbres de Daech se sont étendues sur la plaine de Ninive avec l’État islamique (2014-2019). La Syrie et l’Irak se vident de leurs chrétiens, un mouvement difficilement réversible, tandis que le drame de la Palestine s’est radicalisé avec l’arrivée d’un racisme sans fards.

Pour le Liban, déserté par ses générations instruites, c’est sur les plans économique et anthropologique que se concentre le combat. Économiquement, le pays ne parvient pas à se dégager des griffes de ceux qui ont pillé ses ressources et ses économies. Anthropologiquement, le relativisme éthique, en envahisseur silencieux – par ailleurs très bruyant –, s’est infiltré partout, lançant à l’Église et aux fidèles de formidables défis, aussi bien de l’extérieur que depuis l’intérieur même de l’institution. 

Il ne fallait pas moins que la capacité de synthèse de ce géant intellectuel que fut le pape Benoît XVI pour appréhender et intégrer l’immense diversité du monde catholique, dont fait partie le peuple de Dieu établi en Terre sainte et dans tout le Moyen-Orient. C’est dans cette étonnante capacité d’unir sans confondre et de distinguer sans séparer chère à saint Thomas d’Aquin...

commentaires (1)

Bonjour et bonne année 2023 pour toute l'équipe de L'OLJ! Je viens de lire l'article de Fadi Noun sur la visite de Benoît XVI au Liban en 2012, sur ses enjeux politiques, culturels et spirituels ainsi que sur ses réussites et ses échecs. Je le juge excellent, fond et forme. Car il est bien pensé, bien organisé et bien écrit. J'en partage toute l'analyse. Et je trouve qu'il ajoute à L'OLJ de ce matin sa saveur singulière faite d'une fine et pertinente combinaison des approches religieuse , historique et politique de l 'actualité à court, moyen et long terme. Bonne année ! Elie Maakaroun. '

Maakaroun Elie

12 h 24, le 04 janvier 2023

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Commentaires (1)

  • Bonjour et bonne année 2023 pour toute l'équipe de L'OLJ! Je viens de lire l'article de Fadi Noun sur la visite de Benoît XVI au Liban en 2012, sur ses enjeux politiques, culturels et spirituels ainsi que sur ses réussites et ses échecs. Je le juge excellent, fond et forme. Car il est bien pensé, bien organisé et bien écrit. J'en partage toute l'analyse. Et je trouve qu'il ajoute à L'OLJ de ce matin sa saveur singulière faite d'une fine et pertinente combinaison des approches religieuse , historique et politique de l 'actualité à court, moyen et long terme. Bonne année ! Elie Maakaroun. '

    Maakaroun Elie

    12 h 24, le 04 janvier 2023

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