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Monde - Eclairage

Benoît XVI, un pape « exigeant envers les musulmans »

L’affaire dite de Ratisbonne a fini par ouvrir la voie à un dialogue entre l’Eglise catholique et l’islam.

Benoît XVI, un pape « exigeant envers les musulmans »

Le pape Benoit XVI visitant la mosquée bleue à Istanbul, le 30 novembre 2006. Patrick Hertzog/REUTERS

Il passe à l’histoire comme l’homme de Ratisbonne. Le pape émérite Benoît XVI décédé le 31 décembre 2022 se retrouve plongé dans une polémique et une crise avec le monde musulman en septembre 2006, un an après son accession à la chaire de Saint Pierre.

Le 12 septembre 2006 dans l’enceinte universitaire de la ville de Bavière, Joseph Ratzinger donne une conférence sur le sujet « Foi, raison et université ». L’exercice devait être agréable pour l’ancien professeur de théologie, qui retrouve un établissement qu’il a déjà côtoyé et où il a enseigné. Le pape allemand retrouve ses accents d’enseignant. Devant un parterre de scientifiques, d’intellectuels et d’étudiants il entame un discours fleuve, Il est avant tout question du christianisme. L’islam n’est abordé que de manière marginale, dans trois paragraphes dans lesquels le pape évoque une de ses lectures récentes : le compte rendu d’un dialogue noué autour de 1391 entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un érudit perse à propos du jihad : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait ».

Une autre citation suscite en outre la controverse : « Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable ». Le pape cite un auteur espagnol, Ibn Hazm, dont bon nombre de musulmans et de spécialistes de l’islam jugent que son opinion est marginale par rapport à la doctrine musulmane.

Une crise est née

L’intervention papale devient rapidement une crise diplomatique sur fond de conflit avec l’islam. Les médias d’abord ne s’arrêtent que sur ses propos polémiques, certains journaux comme La Republica faisant de lui un islamophobe et un provocateur. Benoît XVI est comparé au journal danois Jyllands-Posten qui avait publié des caricatures de Mahomet quelques mois auparavant, alors que le pape avait désapprouvé ces caricatures.

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Des religieux musulmans et des institutions de plusieurs pays arabes comme al-Azhar en Egypte et les Frères musulmans exigent des excuses. Au Koweït, le parti islamiste Oumma demande aux pays musulmans de rappeler leurs ambassadeurs au Vatican. Des portraits du pape sont brûlés durant des manifestations dans des pays arabes et en Extrême-Orient. Des violences contre les chrétiens ont lieu : en Cisjordanie, des cocktails Molotov sont lancés contre des églises à Naplouse et une église orthodoxe à Gaza est victime d’attaques armées et d’un jet de grenade. En Somalie, une religieuse italienne a été assassinée à Mogadiscio. Et plusieurs groupes islamistes radicaux lancent une fatwa contre lui. Plus modérée, l’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont le siège est à Djeddah (Arabie saoudite), espère que « cette campagne surprenante ne témoigne pas d’une nouvelle orientation du Vatican, surtout après des décennies de dialogue entre experts catholiques et religieux du monde musulman depuis le pontificat de Paul VI ».

Couac au Vatican

Au Vatican, les réactions se font attendre. Les services de communication ne publient un communiqué que 48 heures après le discours et 24 heures après le début du tollé international.

Le 17 septembre 2006, Benoît XVI prend la parole au cours de l’Angélus : « Je suis vivement attristé par les réactions suscitées par un bref passage de mon discours à l’Université de Ratisbonne, considéré comme offensant pour la sensibilité des croyants musulmans, alors qu’il s’agissait d’une citation d’un texte médiéval, qui n’exprime en aucune manière ma pensée personnelle. Hier, monsieur le cardinal secrétaire d’État a rendu publique à ce sujet une déclaration dans laquelle il a expliqué le sens authentique de mes paroles. J’espère que cela contribuera à apaiser les esprits et à clarifier le sens véritable de mon discours qui, dans son ensemble, était et reste une invitation au dialogue franc et sincère, avec un grand respect réciproque. Tel était le sens de mon discours ».

Mais entre-temps le mal est fait. « C’était une erreur. Il a oublié qu’il était pape. Et puis la crise qui s’en est suivie est le fruit d’une mauvaise communication de la part du Vatican », explique le père Dany Younès, provincial du Proche-Orient et du Maghreb de la Compagnie de Jésus. Selon lui, le pape a évoqué ces citations à partir de ses lectures récentes des travaux du théologien libanais Adel Théodore Khoury, connu pour ses efforts dans le dialogue islamo-chrétien et qui a été dirigé le département de théologie à l’Université de Münster.

Incompréhension

« Au début on n’a pas bien compris le message venant de ce grand théologien qui connaît aussi bien l’islam, affirme le cheikh Mohammad Nokkari, ancien juge chérié à Beyrouth. On ne sait pas pourquoi il a prononcé ces mots polémiques. On se demande aussi pourquoi il a mentionné l’exemple d’un auteur qui ne représente pas la théologie musulmane fondée elle aussi sur la raison. En islam, on essaie toujours d’avancer les sources liées à la raison, avant les sources religieuses ». Pour le cheikh Nokkari la question se pose toujours actuellement, de savoir s’il s’est trompé, s’il n’a pas omis sciemment de faire la différence entre les différentes doctrines au sein de l’islam. « Les éclaircissements qui ont suivi restent insuffisant », ajoute-t-il.

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Il estime par ailleurs, qu’il est le pape le moins proche du monde musulman, comparé à son prédécesseur Jean-Paul II qui avait pris des positions très favorables au dialogue avec les musulmans, comme « l’idée du Liban message ». De même pour le pape François, qui a déjà visité un grand nombre de pays musulmans comme l’Egypte, les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc. Ce dernier a en outre signé avec le grand imam d’al-Azhar un document sur la Fraternité humaine à Abou Dhabi en 2019.

Dans ce contexte, les relations entre Benoît XVI et l’université d’al-Azhar au Caire ont toujours été tendues. Celle-ci a été parmi les dernières à reprendre le dialogue avec le Vatican en 2009, pour le rompre en 2011, suite aux propos de Benoît XVI appelant à protéger les Coptes en Egypte. Al-Azhar y a vu une accusation visant l’islam qui serait à l’origine de l’oppression des Coptes dans le pays.

Un nouveau dialogue

Toutefois, cette crise a été une occasion pour Benoît XVI d’entamer un dialogue avec le monde musulman. « Il a d’abord nommé le père jésuite égyptien Samir Khalil comme conseiller pour les relations avec le monde islamique », explique le père Younès.

Selon Vincent Aucante, auteur de « Benoît XVI et l’islam » (Parole et silence, 2008), « il y a un tournant, une nouvelle façon de regarder l’islam ». L’auteur estime par ailleurs que Ratzinger ira plus loin que les initiatives précédentes du pape Jean-Paul II ou du Concile Vatican II, en instaurant un dialogue inscrit dans la raison. « Il a véritablement ouvert la voie à une réconciliation entre musulmans et chrétiens », affirme Vincent Aucante, dans une interview au magazine « Le Point » en 2013.

Ainsi, en octobre 2006, une quarantaine de membres de l’Académie jordanienne Ahl al-Bayt, présidée par le prince Ghazi ben Mohammad ben Talal, cousin du roi Abdallah II, et engagée dans le dialogue islamo-chrétien lui adressent une lettre ouverte dans le but de parvenir à une compréhension mutuelle.

D’autres musulmans engagés dans le dialogue islamo-chrétien se mobilisent appuyant cette lettre. Un autre groupe, formé de 144 personnalités musulmanes représentants plusieurs courants de l’islam (sunnites, chiites, ismaéliens, jaafarites et ibadites) issues de 44 pays, adresse un an plus tard une lettre ouverte, dans laquelle ils invitent le pape et des responsables des Églises chrétiennes à s’engager dans un dialogue avec l’islam : « Conformément au Coran nous, en tant que musulmans, invitons les chrétiens à s’accorder avec nous sur ce qui nous est commun, et qui constitue également l’essentiel de notre foi et de notre pratique : les deux commandements de l’amour », précise la lettre.

C’est ainsi que le dialogue va reprendre. Des rencontres islamo-chrétiennes au Vatican suivent l’initiative sous l’égide du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux présidé par le cardinal français Jean-Louis Tauran. Un Forum islamo-catholique se réunit à Rome le 4 novembre 2007.

Le Vatican intègre par ailleurs à titre d’observateur le Conseil des fondateurs du Centre International pour le Dialogue Interreligieux et Interculturel (KAICIID), créé à l’initiative de l’Arabie Saoudite en 2012.

Sur un autre plan, un livre a été publié en 2008, intitulé « Dieu sauve la raison » qui revient sur l’intervention de Benoit XVI à Ratisbonne, qui élargit le débat en donnant la parole à de grands intellectuels chrétiens et musulmans qui réagissent à ses propos, à l’instar de l’artiste égyptien Waël Farouk, le philosophe français André Glucksmann et le philosophe palestinien Sari Nusseibeh.

A la rencontre du monde musulman

Le premier test sur le terrain pour Benoît XVI est son voyage pontifical en Turquie en novembre 2006 qui permet au souverain pontife de préciser le dialogue avec l’islam, reprenant à son compte les mots de son prédécesseur dans ce même pays en 1979 : « Je me demande s’il n’est pas urgent, précisément aujourd’hui où chrétiens et musulmans sont entrés dans une nouvelle période de l’Histoire, de reconnaître et de développer les liens spirituels qui nous unissent, afin de protéger et de promouvoir ensemble, pour tous les hommes la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».

« L’image du pape priant à côté du grand mufti d’Istanbul, Mustapha Cagrici devant le Mihrab à la mosquée Bleue, a été un symbole fort pour les Turcs et de nombreux musulmans de la fraternité et de l’amitié entre les deux religions que Benoît XVI voulait confirmer », se rappelle le père Dany Younès. Sa visite s’achève dans un climat apaisé, alors que quelques manifestations hostiles sont restées marginales.

Par la suite, le pape allemand se rend en Jordanie en mai 2009 pour son premier voyage dans un pays arabe. Il est reçu par le prince Talal dans la mosquée al-Hussein ben Talal à Amman. Ce dernier estime que la visite du pape est un « geste de bonne volonté et signe de respect mutuel entre musulmans et chrétiens ».

Quelques jours plus tard, Benoît XVI invite les hommes et les femmes de bonne volonté à dépasser les malentendus et les conflits du passé pour construire un monde de justice et de paix, en se rendant sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem en compagnie du grand mufti de Jérusalem. Benoît XVI sera le premier pape à entrer au dôme du Rocher.

L’exemple libanais

Quelques mois avant sa démission le 11 février 2013, le Saint-Père visite le Liban en septembre 2012 où il rencontre de jeunes Libanais, chrétiens et musulmans, les appelant à être un exemple pour la région : « Il faut que l’ensemble du Moyen-Orient, en vous regardant, comprenne que les musulmans et les chrétiens, l’islam et la chrétienté peuvent vivre ensemble sans haine dans le respect des croyances de chacun pour bâtir ensemble une société libre et humaine. Il est temps que musulmans et chrétiens s’unissent pour mettre fin à la violence et aux guerres ».

En fin de compte, Joseph Ratzinger est l’un des piliers de Vatican II et de son ouverture envers les autres religions. Ce qu’il faut retenir de la conception de la relation entre Benoît XVI et l’islam, est le fait « qu’il est exigeant envers les musulmans », précise le père Younès, en plaçant le monde musulman qu’il respecte face à ses responsabilités. Dans son discours à la Curie en décembre 2006, le pape déclare ainsi que « le monde musulman, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées » et « d’accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice (…) ».

Il passe à l’histoire comme l’homme de Ratisbonne. Le pape émérite Benoît XVI décédé le 31 décembre 2022 se retrouve plongé dans une polémique et une crise avec le monde musulman en septembre 2006, un an après son accession à la chaire de Saint Pierre.Le 12 septembre 2006 dans l’enceinte universitaire de la ville de Bavière, Joseph Ratzinger donne une conférence sur le sujet...

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Exigeant envers tout le monde sauf son clergé. Un désastre

M.E

10 h 39, le 03 janvier 2023

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Commentaires (3)

  • Exigeant envers tout le monde sauf son clergé. Un désastre

    M.E

    10 h 39, le 03 janvier 2023

  • Si l;on lit ce que Benoît a vraiment dit, on constate qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat. Comme il la dit lui0même, il ne s'agissait que d'une citation qui ne reflétait, en aucun cas, sa pensée personnelle. Benoît XVI a été incntestablement un grand pape, mais il n'était pas - et c'est un euphémisme - un expert en communication. La presse anti-catholique a été obligée d'adopter le profil bas durant le long règne de Jean-Paul II, trop populaire pour pouvoir être attaqué ouvertement. Avec Benoît, elle s'est rattrapée. Le malheureux pape est tombé dans tous les pièges tendus par les journalistes qui se faisaient une joie de déformer ses propos en les tirant de leur contexte, un jeu où certains sont experts. :'affaire de Ratisbonne est, à ce sujet, exemplaire.

    Yves Prevost

    07 h 28, le 02 janvier 2023

  • Matthieu chapitre 7, versets 3 à 5: "Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?" Ces Papes n'ont-ils pas suffisamment de problemes avec leurs propres ouailles? Qu'ils commencent donc a christianiser ce qu'ils ont sous la main, avant d'aller chercher des puces aux autres...

    Mago1

    03 h 46, le 02 janvier 2023

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