
Le Premier ministre sortant Nagib Mikati s’adressant à la presse à l’issue de la réunion du Conseil des ministres, hier, au Grand Sérail. Photo Dalati et Nohra
C’est finalement grâce au ministre sortant de l’Industrie Georges Bouchikian et, dans une moindre mesure, à son collègue sortant des Affaires sociales Hector Hajjar que le Conseil des ministres a pu se tenir. Alors que tout indiquait dimanche soir que le quorum ne serait pas atteint, neuf des ministres considérés proches du Courant patriotique libre ayant annoncé qu’ils allaient observer l’appel au boycott convenu la veille, la surprise a été créée hier matin lorsque George Bouchikian, un des premiers à se présenter au Sérail, a assuré le quorum des seize ministres requis pour tenir la séance. Bien que se voulant symbolique au départ – le ministre sortant des Affaires sociales était venu pour marquer son objection –, la présence de M. Hajjar a, elle, apporté de l’eau au moulin du Premier ministre sortant Nagib Mikati, qui était décidé de toute manière à réunir l’exécutif avec les présents quel que soit leur nombre. Alors qu’ils ne devaient être que quinze, le Conseil s’est finalement tenu avec 17 ministres sur un total de 24, soit un ministre de plus que le quorum requis. La réunion, qui s’est prolongée sur environ trois heures, a permis d’approuver, entre autres, des aides sociales et médicales placées sous la rubrique de l’urgence dans un Liban en pleine crise, et ce malgré le boycott de plusieurs ministres du camp aouniste ou qui lui sont proches. Il s’agit des ministres Abdallah Bou Habib, Henri Khoury, Maurice Slim, Amine Salam, Hector Hajjar, Walid Fayad, Walid Nassar, Issam Charafeddine (proche du leader druze Talal Arslane), soit les huit signataires, aux côtés de M. Bouchikian, d’un communiqué conjoint publié dimanche dans lequel ils annonçaient leur volonté de boycotter la réunion du Conseil des ministres, estimant qu’elle constitue une « violation de la Constitution ».
Le Tachnag se désolidarise de Bouchikian
Quelle mouche a donc piqué le ministre sortant de l’Industrie Georges Bouchikian ? Issu du Tachnag, un parti qui relève du bloc aouniste, mais qui revendique une marge d’indépendance concernant certains sujets, le ministre sortant de l’Industrie faisait partie de ceux qui étaient en faveur de la tenue de la réunion, ainsi que Hector Hajjar d’ailleurs.
Interrogé sur le comportement du ministre sortant de l’Industrie, l’ancien député aouniste Eddy Maalouf assure à L’Orient-Le Jour que le Courant patriotique libre n’a pas compris ce qui s’est passé et pourquoi M. Bouchikian a changé d’avis entre-temps. « Nous avions contacté tout le monde dimanche dans l’après-midi avant la publication de la lettre. Les signataires nous avaient assuré qu’ils respecteraient la directive du boycott », a indiqué l’ancien député aouniste. Certaines informations de presse ont toutefois évoqué le cas de trois des neufs ministres signataires qui n’avaient pas été mis au courant de la teneur du communiqué collectif. Contacté, M. Bouchikian était injoignable hier. De source proche du Premier ministre sortant, on apprenait toutefois que le nom du ministre sortant de l’Industrie avait été glissé sans qu’il n’ait été consulté préalablement. C’est ce qui expliquerait sa présence matinale au Sérail.
Sa décision d’aller à l’encontre du camp aouniste n’a vraisemblablement pas reçu l’aval du secrétaire général du Tachnag, le député Hagop Pakradounian, qui s’est empressé hier de déclarer que la position de M. Bouchikian « ne représente que lui ».
Quant au ministre sortant des Affaires sociales, qui avait volontairement apposé sa signature au communiqué aouniste, il a fini lui aussi par se rendre à la réunion, en est sorti avant sa fin pour dire quelques mots aux médias afin de marquer son désaccord, avant d’y retourner pour y rester jusqu’à la fin. Lors de la séance, M. Hajjar se serait énervé et aurait fait part de son souhait qu’il y ait une négociation en amont sur la pertinence de cette séance, pour ensuite passer à l’examen des dossiers. « M. Mikati a finalement tenu à passer tout de suite à l’ordre du jour. M. Hajjar est sorti pour s’adresser aux journalistes avant d’y retourner pour poursuivre les discussions », confie la source proche de M. Mikati.
« J’aurais préféré que cette rencontre ne se poursuive pas », a effectivement dit M. Hajjar devant les médias. « Un mois après la fin du mandat de Michel Aoun, la question est de savoir comment diriger le pays jusqu’à la prochaine présidentielle en respectant la Constitution », a-t-il ajouté.
Le ministre sortant de l’Agriculture Abbas Hajj Hassan a indiqué à L’Orient-Le Jour que 22 points, parmi les 25 placés à l’ordre du jour, ont été approuvés, « y compris un point intéressant directement le ministre des Affaires sociales Hector Hajjar ». Il s’agit du point relatif au transfert d’un crédit à partir des réserves du budget vers le compte du ministère des Affaires sociales. Les décisions avalisées lors du Conseil des ministres feront l’objet dans les prochains jours d’un décret qui sera ensuite signé par le Premier ministre sortant, le ministre sortant des Finances et le ministre compétent.
Élection d’un président
« La séance d’aujourd’hui est extraordinaire. Je n’aurais pas convoqué les ministres si ce n’était pour les questions relatives à la santé », a justifié au début de la séance M. Mikati. « Si certains prennent la Constitution et le vivre-ensemble comme prétexte, nous estimons que ces deux questions ne peuvent se concrétiser au détriment de la vie des gens. Cela n’aura pas lieu sous mon mandat », a-t-il ajouté. Le Premier ministre sortant a présenté son argument de fond pour expliquer que l’État ne pouvait plus dépenser pour venir en aide aux malades cancéreux et ceux nécessitant une dialyse. « Veulent-ils qu’on commette un crime collectif ? Si c’est ce qu’ils demandent, que chacun assume ses responsabilités. » « Nous continuerons à assumer nos propres responsabilités en faisant face aux difficultés », a insisté M. Mikati, qui a « appelé à élire rapidement un président de la République afin d’en finir avec ce problème », dans une référence aux réunions extraordinaires de son cabinet qui enclenchent un débat avec le camp aouniste sur les prérogatives du Premier ministre sortant. M. Mikati a en outre expliqué que certains points à l’ordre du jour n’ont pas fait l’unanimité des présents et n’ont donc pas été approuvés. « Personne n’essaie de s’approprier les prérogatives du président de la République. S’ils (le camp aouniste) veulent régler cette question, qu’ils élisent un président », a lancé M. Mikati. Il faisait notamment référence au vote blanc émanant surtout du CPL, qui continue de ponctuer les séances parlementaires destinées à l’élection d’un nouveau président.
Dans les cercles du CPL, le mécontentement est à son paroxysme. « Cela ne passera pas. Ni avec les alliés ni avec les autres », a lancé un responsable du CPL. Il faisait allusion non seulement à Georges Bouchikian, mais surtout au Hezbollah, son allié chiite, qui, aux yeux des aounistes, a commis une infidélité en assurant le quorum à la réunion du Conseil des ministres. « S’il croit que c’est une manière détournée de nous sanctionner pour ne pas avoir soutenu leur candidat Sleiman Frangié (à l’élection présidentielle), il se trompe lourdement. Nous n’allons pas nous taire », a ajouté le responsable, avant de prévenir que la réponse est à attendre dimanche prochain lors d’un entretien prévu à la LBCI avec le chef du CPL Gebran Bassil qui « va mettre les points sur les i ».
Pour le CPL, c’est une manche qu’il vient de perdre face à Nagib Mikati, accusé d’avoir prétexté des questions sensibles et urgentes à l’ordre du jour, telles que l’achat de médicaments pour les malades chroniques et les cancéreux, pour imposer la tenue d’un Conseil des ministres. En l’absence d’un président, l’exécutif chercherait ainsi, selon le CPL, à usurper de manière inconstitutionnelle les prérogatives du chef de l’État. Le Premier ministre sortant aurait tout fait pour ne pas former le gouvernement dans l’objectif de concentrer entre ses mains les pleins pouvoirs, assurent en chœur plusieurs responsables du CPL. « Il y a plusieurs moyens pour garantir les fonds aux dossiers dits urgents. Notamment la méthode des décrets itinérants ou celle du transfert de crédits par le biais notamment de le Haut Conseil de secours », indique Eddy Maalouf.
Les décisions approuvées par le gouvernement sortant
À l’issue de la réunion du Conseil des ministres hier, Ziad Makari, ministre sortant de l’Information, a annoncé que le cabinet a approuvé plusieurs demandes :
- Un projet de décret visant à répartir les fonds alloués aux soins dans les établissements publics et privés à la charge du ministère de la Santé publique.
- Une demande d’approbation présentée par la Banque du Liban pour payer 35 millions de dollars par mois, pendant les trois prochains mois, destinés à acheter des médicaments anticancéreux et pour le traitement des maladies chroniques, du lait et des matières premières pour l’industrie pharmaceutique. Ces importations seront financées grâce aux 1,135 milliard de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international dont a bénéficié le Liban en septembre 2021.
- Un projet de décret permettant au Liban de bénéficier d’un don financier octroyé par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD).
- Un projet de décret pour revoir à la hausse le montant de l’indemnité mensuelle de transport des militaires, des Forces de sécurité intérieure, de la Sûreté générale, de la Sûreté de l’État, des douanes et de la police du Parlement.
- Une demande de sécurisation des approvisionnements et des besoins de l’armée pour l’année 2023 grâce à des accords consensuels.
- Une demande d’avoir recours à des travailleurs saisonniers pour notamment assurer les travaux de déneigement sur les routes dans diverses régions libanaises pour la saison 2022-2023.
- Une demande d’autorisation de l’Office des chemins de fer et des transports en commun à engager le secteur privé pour assurer l’aspect opérationnel des bus publics. L’attribution de ces contrats devra se faire en respectant les dispositions de la loi sur les marchés publics.
- Une demande d’autorisation pour permettre aux contractuels (payés à l’heure) de reprendre l’enseignement dans les écoles publiques pour l’année académique 2022-2023, en attendant que leurs contrats soient reconduits par les autorités compétentes.
En outre, Ziad Makari a indiqué que les ministres réunis ont abordé le sujet de la majoration pour les militaires et les retraités de l’armée, prévue dans l’article 111 du budget 2022 et en fonction de laquelle ils bénéficieront d’une aide sociale équivalant « au double de leur salaire ».
Le seul mot d'ordre que Mikati et son gouvernement doivent avoir c'est : avancer ! Coûte que coûte faire le travail pour lequel ils reçoivent salaire. Il n'y a pas de blocage qui tienne et rien ne peut justifier que l'on arrête de travailler. Si seulement le CPL avait adopté cette posture lors de son mandat ! Ils ont raté une opportunité historique de changer et de réformer, ce qui était leur promesse.
21 h 27, le 06 décembre 2022