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Culture - Installations

« Opposer la poésie au chaos qui nous entoure » avec Joreige et Hadjithomas

Trois installations des artistes plasticiens Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sont exposées dans le cadre de la Biennale de Lyon au macLyon et aux usines Fagor. Les artistes proposent quelques pistes de réflexion stimulantes pour mieux les recevoir.

« Opposer la poésie au chaos qui nous entoure » avec Joreige et Hadjithomas

Khalil Joreige et Joana Hadjithomas, « Where Is My Mind », 2020. © Courtoisie galerie In Situ Fabienne Leclerc

Comment s’est décidée votre participation à la Biennale de Lyon ?

Il y a plus de trois ans, Sam (Bardaouil) et Till (Fellrath) nous ont contactés pour que nous participions à l’exposition « Beyrouth and the Golden Sixties ». Ils avaient apprécié notre travail autour de la Lebanese Rocket Society et l’idée de réactiver un passé qui permettait de créer. Tout en racontant l’histoire d’un projet spatial de fusée, nous avions élaboré une sculpture qui reproduisait une des fusées à l’échelle, que nous avons offerte à l’Université Haigazian, où avait démarré le projet dans les années 60. Même quand on utilise des archives du passé, on n’est pas dans un rapport nostalgique ou traumatique.

On a donc commencé nos recherches pour la biennale et puis il y a eu l’effondrement économique du pays et l’explosion. On ne savait plus comment intervenir. On est revenus aux œuvres exposées dans « Beyrouth and the Golden Sixties » et on s’est aperçus qu’un certain nombre d’entre elles provenaient du musée Sursock qui a été détruit (dans l’explosion du 4 août au port de Beyrouth).

Khalil Joreige et Joana Hadjithomas proposent une réflexion autour de la fragilité des œuvres. Courtoisie des artistes

Cet élément est donc le point de départ de la première installation du macLyon, « Comme la nuit se fait quand le jour s’en va » (2022) ?

En prenant conscience que ces œuvres étaient présentes au moment de la destruction du musée, nous nous sommes interrogés sur leurs chemins et sur tout ce qu’elles ont traversé avant d’arriver à Lyon. Pour Comme la nuit se fait quand le jour s’en va, on a récupéré des vidéos de surveillance du musée Sursock quelques secondes avant l’explosion : c’est impressionnant de voir comme ensuite elles sont traversées par un souffle qui ne s’arrête pas ; pour certaines, la couleur s’en va, elles passent au noir et blanc puis la couleur revient. Aujourd’hui, alors que l’enquête n’avance pas, il nous a paru nécessaire d’en parler.

On a installé les 14 vidéos de surveillance en cercle et rajouté deux écrans montrant le souffle, qui dure plusieurs minutes, avec une dimension fantasmagorique.

Cette installation travaille la fragilité des œuvres que nous avons ressentie au moment de l’explosion, car beaucoup de notre travail a été détruit, de même que notre appartement et notre studio. Comme d’autres, on s’est demandé si produire avait encore du sens, s’il ne vaudrait pas mieux se mobiliser autrement. Comment continuer de créer après une telle catastrophe. Nous avons aussi interrogé la fragilité des institutions, à qui les artistes confient leur travail pour qu’il soit gardé, qu’il fasse partie d’un patrimoine, d’une collection.

Dans quelle mesure vos installations sont-elles en dialogue les unes par rapport aux autres ?

Après Comme la nuit se fait quand le jour s’en va, qui fait ressentir des émotions très fortes, mais nécessaires, le visiteur découvre But my head is still singing (Mais ma tête continue de chanter). Pour l’élaborer, on a rassemblé, autour de la figure d’Orphée, des poèmes de Virgile, Ovide, Hugo, Goethe, Adnan qui évoquent la seconde partie de sa vie. Après la mort d’Eurydice, le héros malheureux provoque la fureur des ménades qui le démembrent et le dispersent à travers le monde. Sa tête arrive sur le rivage de Lesbos et, seule, continue de chanter. Sur trois plaques de verre dont on a brisé celle du milieu, on projette des textes et des graphes de couleurs représentant chaque voix, qu’on entend dire un fragment de poème, des voix exténuées, fatiguées mais qui continuent d’opposer la poésie au chaos qui nous entoure.

L’installation « Where is my mind ? » (2020), proposée aux usines Fagor, ne relève-t-elle pas d’une même interrogation du geste artistique ?

En effet, dans cette œuvre, on montre des statues antiques qui n’ont plus de tête et des têtes qui n’ont plus de corps ; elles proviennent d’un musée d’Izmir. Elles errent et avancent vers le visiteur, alors qu’est récité un poème de Georges Séféris. Ce travail s’inscrit dans le projet « J’ai regardé si fixement la beauté », entamé en 2013, qui interroge les modalités de contrer le chaos par l’invocation poétique. Il y a aussi en amont la question de l’intégrité de l’individu, malmenée aujourd’hui, avec tout le fichage numérique de chacun entre autres, et qui met en danger notre liberté de penser politiquement et poétiquement.

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Comment s’est décidée votre participation à la Biennale de Lyon ? Il y a plus de trois ans, Sam (Bardaouil) et Till (Fellrath) nous ont contactés pour que nous participions à l’exposition « Beyrouth and the Golden Sixties ». Ils avaient apprécié notre travail autour de la Lebanese Rocket Society et l’idée de réactiver un passé qui permettait de créer. Tout en...

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