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Nos Lecteurs ont la Parole

Les examens, aide ou jugement ?

La démarche intérieure aboutissant à une compréhension nouvelle, qu’il s’agisse de maths, de physique ou de philosophie, est toujours hésitante, faite d’avancées, de reculs, d’impasses explorées, d’obstacles paraissant infranchissables et soudain dépassés, de découragements devant des mots ou des formules qui semblent autant d’ennemis, d’enthousiasme aussi, lorsque les évidences sont soudain exigeantes.

Le rôle de l’enseignant est de favoriser cette démarche, qui est celle de la construction de l’intelligence, réalisation d’un édifice aux multiples fonctions dont il faut emboîter les divers éléments en respectant leur cohérence. Dans la mesure du possible, il participe à ce cheminement en mettant ses pas dans ceux de l’étudiant pour lui signaler les erreurs d’interprétation avant d’être engagé dans des voies fautives. Mais il doit simultanément lui laisser la liberté de s’égarer provisoirement : c’est bien souvent après constatation d’une erreur que le raisonnement juste est réellement assimilé.

Enseigner est donc un art, car il faut tenir compte de contraintes parfois contradictoires, et un art exigeant une grande modestie, car le chemin finalement découvert par l’élève pour parvenir à comprendre est souvent bien différent de celui qu’avait parcouru l’enseignant lui-même.

Le dialogue qui permet le cheminement simultané de l’enseignant et de l’élève n’est efficace qu’au prix d’une technique de communication comprenant essentiellement des successions de questions et de réponses. Lorsque les questions viennent de l’enseignant et les réponses de l’élève, cette étape du dialogue est désignée comme un examen. Malgré les apparences, l’ambiguïté de ce mot nécessite que l’on s’y arrête, car il concerne des activités ayant des objectifs divers.

Des examens pour quoi faire ? Une finalité souvent oubliée des examens concerne l’enseignant lui-même. Son angoisse fondamentale est de ne pas avoir été compris. Pour s’assurer que son message est passé, il ne peut que poser des questions, faire résoudre des problèmes, débusquer les incompréhensions. Les examens qu’il fait passer servent d’abord à répondre à cette angoisse et à tirer les conséquences de ce qu’il constate pour modifier éventuellement ses méthodes. « Lorsque l’élève n’a pas compris, c’est que le professeur a mal enseigné. » Cet adage doit être considéré comme vrai en toutes circonstances. Il ne s’agit pas de culpabiliser l’enseignant, mais de l’amener à tenir compte de la diversité de ses interlocuteurs. Son réflexe devant un échec de l’élève devrait être de mettre en cause la façon dont il a présenté le sujet.

Nous devons constater que le rôle d’un examen réussi pourrait nous amener à affirmer cette évidence : les examens les plus utiles à l’élève sont ceux auxquels il échoue. Cette proposition semblera à beaucoup paradoxale, car nous avons pris l’habitude de ne donner d’importance qu’à d’autres fonctions de l’examen : porter un jugement sur la capacité des élèves à suivre telle ou telle voie, et même les hiérarchiser.

Par une aberration dont l’étrangeté ne nous est plus évidente tant elle fait partie de notre quotidien, les acteurs du système éducatif sont chargés d’exercer deux fonctions : d’une part aider, tout au long de leur scolarité, les élèves à construire leur intelligence, d’autre part juger, en fin de course, le résultat de ces efforts, et distribuer récompenses et blâmes. Ces deux fonctions peuvent certes, dans certaines circonstances, se renforcer l’une l’autre, mais elles sont le plus souvent antinomiques, parfois incompatibles. Il faut choisir son camp. Être dans le camp de l’élève consiste à ne rechercher, en toute occasion, que la progression de sa compréhension, la mise en place d’un regard à la fois autonome et lucide sur le monde. Il ne s’agit pas d’être laxiste, d’accepter les erreurs sans réagir, mais d’utiliser ces erreurs pour progresser. C’est au contraire être dans le camp opposé que de corriger un examen avec le seul objectif de porter un jugement, soit sous une forme abrupte : « reçu » ou « recalé », soit, ce qui est pire, sous la forme plus nuancée d’une note chiffrée enfermant le candidat dans l’univers unidimensionnel d’une hiérarchie.

Le malheur est que notre processus éducatif est régi par un double dévoiement : oubli de son véritable objectif, erreur sur le critère de réussite. Il n’est plus question, en effet, de compréhension active, il ne reste que l’inventaire d’un savoir mort.

Le cerveau n’est pas une bibliothèque que l’on remplit. C’est pour cela que tout savoir devrait être utile, et il le sera s’il participe à des confrontations intérieures qui en font l’origine d’un cheminement nouveau. Comme si l’on avait oublié l’aphorisme souvent répété de Montaigne : « Savoir par cœur n’est pas savoir », comme si l’on acceptait une véritable perversion de l’éducation en dévoyant son objectif.

L’examen : un outil détourné de sa véritable finalité. Il devrait être l’occasion d’une rencontre supplémentaire entre le maître et l’élève, il est ravalé au rang d’un épisode dans le processus de sélection.

Incitons nos étudiants à assimiler des concepts nouveaux, à participer à des débats, à vivre l’aventure de la connaissance, à explorer leurs capacités critiques, considérées comme le levain de toute compréhension. Qu’ils s’intéressent à la finesse d’une réflexion, à la pertinence d’une remise en cause. Au lieu de les juger, essayons de conjuguer devant eux, et à tous les temps, les deux verbes aider et rencontrer !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

La démarche intérieure aboutissant à une compréhension nouvelle, qu’il s’agisse de maths, de physique ou de philosophie, est toujours hésitante, faite d’avancées, de reculs, d’impasses explorées, d’obstacles paraissant infranchissables et soudain dépassés, de découragements devant des mots ou des formules qui semblent autant d’ennemis, d’enthousiasme aussi, lorsque les...

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