
L'ancien ambassadeur du Liban à l’ONU et juge à la Cour internationale de justice (CIJ), Nawaf Salam. Photo d'archives AFP
Pour Nawaf Salam, c’est encore une fois partie remise. Le juge au sein de la Cour internationale de justice et ex-ambassadeur du Liban aux Nations unies ne fera pas son entrée au Sérail prochainement, comme le voulaient certains protagonistes de l’opposition et des parlementaires relevant de la contestation du 17 octobre.
C’est le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a donné le coup de grâce à cette option, alors que le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, est donné favori à sa propre succession, fort notamment de l’appui du tandem chiite Amal-Hezbollah et de ses satellites, tels que les Marada et les députés sunnites pro-8 Mars. « Nous ne nommerons pas Nawaf Salam pour former un nouveau gouvernement », a lancé le chef des FL lors d’un point de presse tenu mercredi à Meerab à l’issue d’une réunion du groupe parlementaire du parti. Expliquant les motifs de sa décision, le leader maronite a déclaré : « Nous n’avons pas perçu assez de sérieux chez Nawaf Salam pour assumer cette responsabilité, étant donné qu’il ne se rend que rarement au Liban. » « Comment pouvons-nous donc le nommer ? » s’est-il encore interrogé. Samir Geagea a, dans ce contexte, précisé que les FL ne vont pas appuyer Nagib Mikati et ne nommeront donc personne pour mettre en place une nouvelle équipe lors des consultations parlementaires contraignantes prévues demain à Baabda.
Les FL étaient pourtant parmi les premiers partis à appuyer la candidature de Nawaf Salam à la présidence du Conseil en décembre 2019, à la suite de la démission du gouvernement de Saad Hariri dans la foulée du mouvement de contestation d’octobre, face au candidat du Hezbollah, Hassane Diab, qui a finalement gagné la bataille. Comment expliquer ce revirement ? « Nous avons nommé Nawaf Salam il y a trois ans parce qu’il est une figure diplomatique et juridique de grande renommée à laquelle la rue, alors en ébullition, était favorable », répond un responsable FL, soulignant qu’aujourd’hui, « la priorité est à la présidentielle, et la véritable bataille sera articulée autour de la formation du premier gouvernement du mandat du prochain chef de l’État ».
Cette explication ne semble pas convaincre nombre d’observateurs. D’autant qu’au lendemain des législatives, Samir Geagea a rapidement défini sa priorité : la formation d’un gouvernement de majorité qui traduirait les résultats des élections, le bloc parlementaire FL étant plus important que celui de son principal rival chrétien, le Courant patriotique libre de Gebran Bassil.
C’est d’ailleurs sous le prisme de cette rivalité que le choix fait par Samir Geagea pourrait être analysé, notamment pour ce qui est de l’opposition à une reconduction de Nagib Mikati. Le veto FL contre le Premier ministre sortant retire à Gebran Bassil la carte de « faiseur de chef du gouvernement ». Car pour remporter le duel face à Nawaf Salam, le milliardaire tripolitain avait sans doute besoin de l’appui du CPL. Mais cela aurait supposé que Nagib Mikati réponde favorablement aux conditions imposées très tôt par M. Bassil à tout futur chef du gouvernement. Il s’agit notamment de mettre sur pied une équipe politique et de s’engager à limoger le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, bête noire du camp de la présidence. Deux points sur lesquels le chef du gouvernement sortant ne s’est toujours pas clairement prononcé. En ôtant à Nawaf Salam un appui chrétien de poids, Samir Geagea a fait barrage à toute possibilité de nommer le juge international à la présidence du Conseil. Par la même occasion, il a empêché son rival aouniste de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
La contestation enfin unie ?
Au-delà des calculs politiciens, la décision des FL aura sans doute des conséquences sur l’unité de l’opposition face à un camp soudé derrière le Hezbollah. Car le refus de Meerab de nommer Nawaf Salam est intervenu au moment où plusieurs efforts sont déployés dans les coulisses pour tenter d’unifier les rangs des opposants, dont ceux des députés de la contestation. Une façon pour ces derniers d’éviter une défaite semblable à celle subie lors de l’élection du vice-président de la Chambre par manque de coordination entre les groupes et personnalités hostiles au pouvoir en place. À la faveur de ces contacts, l’ex-diplomate pouvait compter sur l’appui des 8 députés joumblattistes ainsi que leurs 4 collègues Kataëb. Les 13 députés de la contestation étaient pour leur part divisés sur la nomination de Nawaf Salam. Najat Saliba et Marc Daou, relevant du parti Taqqaddom, ainsi que Waddah Sadek y étaient favorables. En face, certains députés de la thaoura rejetaient cette option, reprochant à M. Salam de « soutenir le camp de l’ex-Premier ministre Fouad Siniora, qui fait partie intégrante de la classe politique traditionnelle » et d’« œuvrer à créer des divisions dans les rangs de la contestation », pour reprendre les termes de Paula Yacoubian, députée de Beyrouth contactée en début de semaine. Une accusation jugée « ridicule » par un proche de l’ancien diplomate.
« Ils ne parviennent pas à s’entendre eux-mêmes »
Une source parlementaire informée des contacts entre opposants confie à L’Orient-Le Jour que « les FL étaient au centre de cette dynamique ». « Mais tout a changé au moment où certains parlementaires de la contestation se sont prononcés contre l’option Salam, au profit de Khaled Ziadé (ex-ambassadeur du Liban à la Ligue arabe) ». C’est ce qui aurait fait dire à Samir Geagea que « les FL n’ont pas vu une entente au sein de l’opposition autour de M. Salam ». Le leader maronite tentait ainsi de se laver les mains des accusations lui reprochant d’avoir douché les espoirs de voir les adversaires du Hezbollah soudés. Il a donc renvoyé la balle dans le camp des 13 députés de la thaoura. « Il n’est pas vrai que nous ne pouvons pas nous entendre avec ces députés. Mais il faut reconnaître qu’ils ne parviennent pas à s’entendre eux-mêmes », commente le responsable FL cité plus haut.
De leur côté, les intéressés œuvrent pour déconstruire cet argument. L’un d’eux fait savoir à L’OLJ qu’ils se rendront ensemble à Baabda (alors que la présidence leur avait programmé des entretiens individuels avec le chef de l’État) pour nommer un « même candidat, dont le nom sera divulgué en temps voulu », pour reprendre les termes de Ramy Finge, député de Tripoli. Mercredi soir, la contestation devait conclure une entente définitive sur son candidat à la présidence du Conseil.
Il n’en demeure pas moins que c’est une opposition divisée qui se rendra au palais présidentiel. D’autant qu’au sein même d’un groupe de députés ayant décidé de coordonner leurs positions, les divergences sont toujours palpables. Michel Moawad (Zghorta) et son collègue du Koura Adib Abdel Massih se dirigent en effet vers la nomination de Nawaf Salam, contrairement à leurs collègues Achraf Rifi (Tripoli) et Fouad Makhzoumi (Beyrouth), apprenait-on mercredi soir de source informée, quelques heures après une conférence de presse conjointe entre les quatre députés.
Pour Nawaf Salam, c’est encore une fois partie remise. Le juge au sein de la Cour internationale de justice et ex-ambassadeur du Liban aux Nations unies ne fera pas son entrée au Sérail prochainement, comme le voulaient certains protagonistes de l’opposition et des parlementaires relevant de la contestation du 17 octobre.C’est le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a donné...
commentaires (21)
Je suis très déçue de Samir Geagea et des forces libanaises qui ont refusé de voter pour Nawaf Salam pour la deuxième fois déjà. Ce sont des laches!
Amal E Sayegh
08 h 03, le 24 juin 2022