Sauf grande surprise, le Premier ministre sortant Nagib Mikati devrait être nommé jeudi suite aux consultations parlementaires contraignantes au palais de Baabda, dans l'objectif de former le quatrième gouvernement de sa carrière politique. Contrairement à son rival Nawaf Salam, privé de l’appui précieux des Forces libanaises (19 députés), l’homme d’affaire tripolitain bénéficie du soutien du tandem chiite Amal-Hezbollah, forts respectivement de 15 et de 13 députés chacun. Ces deux formations voient en M. Mikati une figure capable d’arrondir les angles entre les différents acteurs politiques. Ce d’autant plus qu’il bénéficie d’une légitimité au sein de la rue sunnite, fait de plus en plus rare depuis le retrait de Saad Hariri de la vie politique en février dernier, et l’éclatement du leadership de cette communauté qui en a découlé.
Le Premier ministre sortant pourra également compter sur les votes des anciens haririens (9 députés), des sunnites proches du camp du 8 Mars (6 députés) ainsi que sur le groupe des Marada (3 députés). Des élus indépendants, comme Michel Murr, Imad Hout ou Jean Talouzian, pourraient aussi reconduire M. Mikati. Contacté par L’Orient-Le Jour, le Tachnag (3 députés) affirme que la question sera tranchée jeudi. Quant au bloc du Courant patriotique libre (18 députés), il continue de clamer haut et fort qu’il ne votera pas pour M. Mikati, avec lequel la relation est en dent de scie, surtout depuis l’éclatement au grand jour des divergences internes au sein du cabinet entre le Premier ministre et le ministre de l’Énergie, Walid Fayad, proche du CPL. Des sources concordantes affirment que le parti de Gebran Bassil ne soutiendra le milliardaire tripolitain que si ce dernier se soumet à une série de conditions, parmi lesquelles le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé avant l'expiration du mandat Aoun, la formation d'un gouvernement politique (et non pas de technocrates) et l’attribution des portefeuilles clés de l’Énergie et des Affaires étrangères à une figure aouniste.
Avec ou sans le courant orange, Nagib Mikati semble tout de même assuré d’obtenir le soutien d'au moins une cinquantaine de députés, loin devant Nawaf Salam. Sans le soutien des 19 députés FL, ce dernier ne devrait pas afficher plus de 36 voix à son compteur, et cela même si le Parti socialiste progressiste (8), les Kataëb (4), les indépendants se réclamant de l’opposition (11) ainsi que les députés de la contestation (13) convergeaient tous derrière lui, ce qui paraît peu probable.
Possible désistement
Mais si l’arithmétique sourit à Nagib Mikati, la politique lui est moins favorable. Ne pouvant compter ni sur l’appui du CPL ni sur celui des FL, les deux formations ayant choisi de voter blanc, M. Mikati sera privé de « légitimité chrétienne ». Mardi, dans une interview accordée au quotidien al-Akhbar, le président Aoun avait exprimé sa « crainte » de voir un Premier ministre nommé sans la couverture de toutes les communautés. Or au Liban, surtout depuis les accords de Doha en 2008 ayant mis fin à l’invasion par le Hezbollah et ses alliés de Beyrouth et de la Montagne, le consensus entre les leaders confessionnels est une condition sine qua non au déblocage politique. Résultat, Nagib Mikati se retrouverait en situation précaire.
L’ancien député de Tripoli, Ali Darwiche, un fidèle du Premier ministre sortant, indique ainsi à L’Orient-Le Jour « ne pas pouvoir exclure » un désistement du Premier ministre désigné. « Si M. Mikati est désigné d'une façon qu’il juge inadéquate, il pourrait refuser le poste. Il faut quand même rappeler qu’il bénéficie d’un appui conséquent parmi les sunnites (le poste de Premier ministre est réservé à cette communauté, NDLR), et que la situation dans le pays ne peut pas supporter plus de surenchère politicienne », ajoute M. Darwiche. Plus inquiétant encore pour le chef de l'exécutif, il pourrait se heurter à l'intransigeance des aounistes dans la formation du gouvernement, alors que le pays pourrait se diriger vers un vide présidentiel après l'expiration en octobre du mandat de Michel Aoun. Si c'est le cas, le Conseil des ministres se chargerait de l'intérim de la présidence de la République, ce qui rend d'autant plus important pour le CPL d'obtenir la part du lion dans la prochaine mouture, surtout s'il s'agit du seul grand parti chrétien à y participer. Quitte à ce que Mikati IV ne voit jamais le jour.
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TOUS LES TROIS DES DARTA-GNANS.
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 37, le 23 juin 2022