Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Mon quartier, ses préposés, ses subordonnées et moi !

Dans mon quartier très libanais des gens chics et célèbres, la main-d’œuvre qualifiée très prisée est étrangère et immigrée. Des concierges venant du continent africain, ayant laissé derrière eux femme, enfants, parents et pays, sont au service à temps plein, heures supplémentaires en sus, des seigneurs des lieux. Ils portent tous les rôles : ouvriers à tout faire, portiers, gardiens de jour et veilleurs de nuit, jardiniers de fortune, vidangeurs, laveurs et cireurs des plus belles berlines et blindés.

Il en va de même pour les femmes de ménage dans mon quartier très libanais des gens chics et célèbres. Elles sont asiatiques pour la plupart. Frêles, le regard figé, le visage fermé, les cheveux noirs bien tirés, toutes vêtues d’un costume de couleur sombre, chaussures blanches à leurs pieds. Il faut être bien mise pour servir les majestés. Ces subordonnées manient, avec excellence, depuis l’aube jusqu’au crépuscule, de nombreuses obligations : elles sont domestiques, servantes, gouvernantes, cuisinières, chambrières, nourrices et promeneuses de chiens et pas n’importe lesquels, tous des coquins de race. Ces subalternes, pris par les fantaisies, les manies et les folies de leurs maîtres, s’empressent d’exécuter fidèlement ordres et consignes, instructions et organisations, comme si tout cela n’est que fatalité, un peu comme une destinée !

Les pénuries diverses, les services tous genres confondus étant devenus dispendieux et ruineux, les gens de mon quartier usent, à leur gré et selon leurs caprices, de ce personnel très compétent, mais à la situation personnelle et professionnelle très précaire, ce personnel rare et introuvable au niveau national, en dépit de la situation nationale misérable et pitoyable.

Mais, malgré notre triste réalité et en dépit des difficultés, les festivités continuent de battre leur plein dans mon quartier des gens chics et célèbres : anniversaires, premières communions, fête de promotion, retour au pays, somptueux dîners sur des terrasses toutes décorées, tout se fête en grande pompe, s’il vous plaît : musique à fond, ballons, buffet et boissons à gogo !

Tant que le personnel est en service et au service, il ne faut surtout pas se priver de festoyer ! Peu importe l’état du pays, dans ma bande de glorieux réputés, rien n’est trop beau, rien n’est assez !

Cependant, le jour de paie arrivé, la fin du mois est navrante, regrettable et déplorable dans mon quartier des gens chics et célèbres. Tout devient silence et abstinence. Ces serviteurs affairés en début de mois ne s’agitent plus, ne se démènent plus, ne courent plus, je ne les vois plus : ils ne sont pas payés, leur salaire n’est pas acquitté.

En dépit du contrat de travail convenu entre les parties, signé par les parties, notarié et homologué par le ministère du Travail, leur rétribution doit être négociée, marchandée, quêtée et bradée.

Comme le billet vert, devenu soudainement et brusquement coûteux, onéreux et précieux pour payer des dus confirmés et ratifiés, les maîtres de céans, usant de calculs nébuleux et malicieux, marchandent, débattent et négocient… Ils inventent des théories dignes des plus grands économistes pour honorer leurs engagements. Le salaire est ainsi étayé, nonobstant les conventions, déclarations, stipulations et autres dispositions : la moitié du salaire payable en dollars « frais » est remis tous les trois mois, un quart du salaire calculé en livres libanaises est déposé à la fin du mois, l’autre quart est donné au courant du mois sans autres précisions ou corrections, le tout en monnaie locale au taux applicable par la banque. Après tout, que ces serfs se débrouillent, ils jouissent d’un gîte, de l’eau et de l’électricité gracieusement et gratuitement. De plus, de temps en temps quelques

bakchichs leur sont donnés, sans parler des restes des gâteaux et quelques denrées. Que souhaitent-ils de plus? Et puis, qu’ils s’estiment heureux, diraient certains : ils n’ont pas été licenciés, ni renvoyés et, en dépit de la crise économique, ils n’ont pas été remplacés par un local. Ils ont gardé leur bel emploi et ne doivent pas être dans de meilleures conditions qu’en employé local !

Un employé local ? L’employé local ne quittera pas femme, enfants parents et pays pour un emploi aussi modique et ardu, pour un salaire aussi misérable que miséreux, dans des conditions aussi cruelles et odieuses, presque inhumaines. Un employé local n’a rien à faire de vos festivités, de vos restes, de votre célébrité, de votre notoriété, de votre renommée et de vos fantaisies.

Pour lui, vous serez, malgré vos apparences, vos nuances et vos contenances, des êtres exécrables, haïssables et méprisables qu’il ne faut point approcher.

Un employé local vous aurait donné des leçons bien locales que vous ne seriez point capables d’oublier et ce, malgré la situation locale que vous vous débattez à alléguer !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Dans mon quartier très libanais des gens chics et célèbres, la main-d’œuvre qualifiée très prisée est étrangère et immigrée. Des concierges venant du continent africain, ayant laissé derrière eux femme, enfants, parents et pays, sont au service à temps plein, heures supplémentaires en sus, des seigneurs des lieux. Ils portent tous les rôles : ouvriers à tout faire,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut