![Sélim Abou, un « Che Guevara en soutane » Sélim Abou, un « Che Guevara en soutane »](https://s.lorientlejour.com/storage/attachments/1295/248863_798868.jpg/r/1200/248863_798868.jpg)
Les participants à la table ronde de la Semaine jésuite, et quelques personnalités ayant apporté leur témoignage d’hommage au recteur Sélim Abou. Photo USJ
« Un Che Guevara en soutane. » C’est ainsi que le député Marwan Hamadé a décrit l’ancien recteur Sélim Abou – qui tenait à la phonique turque de son prénom – auquel l’aumônerie de l’Université Saint-Joseph, présidée par le P. Jad Chebli, a rendu hommage jeudi dans le cadre de la Semaine jésuite. La séance, organisée à l’amphithéâtre Aboukhater, sur le campus des lettres et sciences humaines, comprenait la projection d’un film de Cynthia Bou Zeid – une suite de témoignages sur l’homme, le prêtre et le penseur, où figuraient notamment Issa Goraïeb, Farès Souhaid et Fadia Alam Gemayel, directrice de la branche Liban-Nord de l’USJ –, suivie d’une table ronde modérée par Marc Morcos à laquelle ont participé le recteur Salim Daccache, le député et ancien ministre Marwan Hamadé, Christian Taoutel, directeur du département d’histoire de l’USJ, et Julien Courson, un économiste et ex-étudiant du Père Abou, aujourd’hui directeur de la branche libanaise de l’ONG Transparency International. Quelques panneaux offraient à l’extérieur de l’auditorium des portraits de certains des pionniers jésuites ayant illustré, chacun à sa manière, l’esprit de foi missionnaire, d’innovation et de résistance de l’université, et notamment des portraits des PP. Lucien Cattin, dit « le bâtisseur », et Louis Cheikho, historien et arabisant hors pair.
Père spirituel de deux intifadas
Recteur de l’Université Saint-Joseph entre 1995 et 2003, le Père Sélim Abou (1928-2018) a galvanisé, à son époque, toute une génération d’étudiants et de militants par ses discours de la Saint-Joseph. Pour Marwan Hamadé, il est « le père spirituel » de l’intifada de 2005 et, de façon plus indirecte, de 2019, ainsi que celui des rencontres de Kornet Chehwan d’abord, puis du Bristol, qui ont rassemblé tout un éventail de forces hostiles à la tutelle syrienne.
Homme de frontières comme tout véritable anthropologue, et homme sans peur, « homme dur » selon un témoignage, c’est-à-dire intransigeant sur les principes, le Père Abou, qui savait aussi être doux avec les petits, a élevé une voix singulière pour dénoncer les tentatives de mise au pas de la vie politique et même de l’opinion au Liban, par un régime qui voulait homogénéiser toute la population libanaise. Un régime qui prétendait (et prétend toujours hélas !) que les peuples libanais et syrien sont « un seul peuple dans deux États ».
« Ses discours donnaient le tempo à nos actions. C’était des cadeaux d’un père à ses fils ! » a souligné à ce sujet Julien Courson, dont la mémoire garde souvenir des intimidations et arrestations opérées dans les rangs des étudiants à l’époque. « Il a gardé vivante la flamme de la résistance, à une époque où on ne savait pas ce qui arriverait ! » devait-il ajouter.
De l’aveu général, les discours annuels du P. Abou, à l’occasion de la fête patronale de l’université, étaient attendus et suivis par toute la classe politique. Ils traitaient des questions nationales, bien sûr, comme de questions qui concernent la mission de l’université en tant que garante des libertés et éducatrice à l’appartenance citoyenne.
Différence d’époque
Pour sa part, soulignant la différence d’époque que traverse le Liban, quelque vingt ans plus tard, le recteur de l’USJ a souligné que si « la souveraineté et la liberté sont inséparables » et interdépendantes, c’est aujourd’hui « la souveraineté du Liban qui est la plus bafouée, avec la disparition du sentiment de fraternité entre les Libanais », remplacé par « la logique du plus fort, en l’absence totale de scrupules ». « Pour le dire autrement, l’État de droit a disparu et la corruption nous ronge », a ajouté le Père Daccache.
« La guerre civile du Liban a malheureusement coûté aussi la vie à de nombreux jésuites résistants qui servaient le Liban, a indiqué pour finir Christian Taoutel. Entre 1975 et 1990, sept d’entre eux tombèrent alors qu’ils faisaient leur travail quotidien. N’est-ce pas une forme noble de résistance que de poursuivre une vie normale en temps de guerre ? » Sans tomber sous les balles, le Père Abou s’inscrit « dans une dynastie de recteurs en porte-à-faux à l’égard des fossoyeurs du Liban », selon les mots de M. Hamadé. « Même après son mandat rectoral, devait dire l’ancien ministre, le Père Abou poursuivra l’enseignement et l’inspiration tous azimuts, au-delà même de ses classes à la faculté des lettres et sciences humaines. Du rêve à la désillusion, il ne cessera jamais le combat. »
J'ai bien connu le Père Abou , d'abord à la Fac des Lettres où jètais étudiant en Sociologie , et puis en Argentine où je fus Consul du Liban et où l'écrivain venait passer de longues période afin de fignoler les dernières retouches de son fameux livre "Liban Déraciné ou Immigrés dans l'autre Amérique". Je lui présentais mes amis intellectuels qu'il fascinait par son charme et ses théories , ses connaissances et son humour délicat . La vie en 'Argentine le détendait au point qu'il me confia un jour tout bas : " Je t'envie de rester dans ce pays de Cocagne"
13 h 48, le 25 mars 2022