Portant sur les femmes pionnières diplômées de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), le dernier marathon d’édition s’est déroulé le 22 février, trois mois après le tout premier qui avait mis les écrivaines dans la littérature arabe à l’honneur. Intitulé « Combler le fossé entre les genres », le premier marathon d’édition (ou « Edit-a-thon ») a été organisé en novembre 2021, année du centenaire de l’éducation mixte à l’AUB, par 2Rāth (se prononce « touras »). Ce groupe de professeurs, de bibliothécaires et d’étudiants de l’AUB s’est rassemblé autour d’une mission : développer la présence en ligne d’auteures arabes – en collaboration avec les bibliothèques universitaires de l’AUB, la faculté des arts et des sciences, l’initiative pour les études sur les femmes et le genre, la presse de l’AUB, la branche étudiante à l’AUB de l’Institut d’ingénieurs en électricité et électronique (IEEE), ainsi que la Conférence sur la composition et la communication universitaire (CCCC) de Wikipédia, Wikipédia Éducation, la Fondation Wikimédia et l’Initiative de partenariat États-Unis-Moyen-Orient (MEPI). Afin d’améliorer le contenu de Wikipédia sur les femmes en littérature dans le monde arabe, la mission de ce marathon d’édition est de réviser et d’ajouter du contenu aux articles nécessitant d’être davantage développés, ainsi que d’écrire des articles biographiques sur des écrivaines qui ont marqué leur époque, mais oubliées aujourd’hui. Racontées sous la plume d’étudiants convaincus de la nécessité de remédier au déséquilibre dans la représentation de ces figures féminines sur la fameuse encyclopédie en ligne, le parcours et les contributions de ces auteures sont ainsi mis en lumière.
L’initiatrice de ce marathon d’édition à l’AUB, Abir Ward, qui est l’une des fondatrices de 2Rāth et membre de la CCCC, organisation dédiée à la recherche, la théorie et l’enseignement de l’écriture dans le monde, explique : « Nous voulons numériser notre patrimoine littéraire. Celui-ci n’est pas vraiment présent sur internet, et particulièrement sur Wikipédia qui est le site le plus visité lors de la recherche d’infos. C’est comme si notre patrimoine n’existait pas. » L’enseignante au département d’anglais à l’AUB raconte qu’en 2019, elle a commencé à intégrer les techniques d’écriture pour Wikipédia dans l’un de ses cours, permettant à ses étudiants de publier leurs articles sur cette encyclopédie open source (libre d’accès et modifiable). Son objectif : affirmer la présence sur internet d’auteurs libanais et arabes. C’est à cette période qu’elle a remarqué l’absence des femmes écrivaines sur Wikipédia et le souhait de ses apprenants de travailler sur les hommes connus de la littérature arabe classique. En lançant la première édition de l’Edit-a-thon, elle a voulu ainsi encourager les étudiants « à contribuer à la préservation de leur héritage littéraire » d’une façon générale et, plus particulièrement, à découvrir, compléter et écrire des biographies de femmes auteures du patrimoine arabe.
80 étudiants de différents horizons ont participé à ce projet
Après avoir reçu une formation d’une semaine sur les critères éditoriaux et techniques, organisée en association avec Wiki Éducation et prodiguée en ligne, plus de 80 étudiants, toutes disciplines confondues, ainsi que des bibliothécaires de l’AUB ont participé à cet événement. « Certains considèrent que Wikipédia n’est pas une source crédible, le contenu étant écrit par quiconque. Or ceux qui participent à l’Edit-a-thon savent qu’il est très difficile d’intégrer des infos à un article sans respecter divers critères, sinon l’article risque d’être effacé », indique Abir Ward. Faysal Shlash, 21 ans, 2e année en sciences informatiques et membre de 2Rāth, qui l’a secondée dans l’organisation de l’événement, dans la relecture des textes et le support technique, ajoute que « de nos jours, en termes d’exposition, tout ce qui n’a pas été mis en ligne semble mourir ».
Pour cette raison, affirmer la présence des écrivaines arabes sur la Toile est primordial. Selon le tableau de bord de Wikipédia Éducation mis à jour début février, et tel que fourni par Abir Ward, les participants aux projets de 2Rāth – dont ce premier marathon d’édition – ont ajouté sur l’encyclopédie en ligne près de 80 500 mots, 710 références ; ils ont édité 167 articles et en ont écrit 29 nouveaux. Le contenu créé a généré un total d’environ 17,7 millions de vues.
« Créer un article ou en développer un existant élargit les connaissances des lecteurs sur un certain sujet et peut faire revivre des informations mortes et oubliées », note d’ailleurs Fatima Mokalled, qui a participé au marathon en éditant avec son équipe un article qui existait déjà sur Zaynab Fawwaz, romancière, féministe et militante libanaise. « Les sections que nous avons ajoutées comprenaient les aspects les plus importants de sa vie pour garder sa mémoire vivante, afin que les gens reconnaissent son travail et son impact », relève cette étudiante en 3e année de biologie, assurant que ce projet « garantit que l’information ne reste pas enfouie dans de vieux livres ».
Ayant travaillé avec son groupe, lors de l’Edit-a-thon, sur la biographie de la journaliste libanaise Edvick Jureidini Shayboub, Céline Mehdi, 18 ans, en première année de biologie, note ainsi que l’événement a permis à cette féministe de la première heure « d’avoir une présence sur internet, permettant à plus de gens de la connaître, surtout que la nouvelle génération baigne dans le monde virtuel, rares étant ceux qui lisent des livres ». Dans la même équipe que Céline Mehdi, George Saad, 21 ans, 4e année de psychologie et candidat à la faculté de médecine, espère que « raconter l’histoire de cette journaliste arabe encouragera d’autres femmes à devenir des leaders dans leur domaine ».
Auteur de sa propre histoire
Céline Daou, 18 ans, première année de biologie, n’avait jamais pensé qu’un jour elle aurait l’opportunité de contribuer à la communauté Wikipédia. « Pouvoir écrire sur mon peuple, en apprendre davantage sur ces parcours et être fière de son travail m’ont incitée à participer à cet événement », avoue-t-elle. Ayant édité un article avec son équipe sur Malaka Saad, l’une des premières fondatrices de magazines féminins au Liban, Céline Daou confie s’être enthousiasmée en découvrant « une personnalité aussi exceptionnelle qui a contribué à notre culture en laissant un impact formidable ».
En outre, à travers cet Edit-a-thon, ainsi que les autres projets d’édition pour Wikipédia qu’elle a menés lors de son cours dans le cadre de 2Rāth, Abir Ward a voulu marquer un autre point. « Ce n’est pas nous (Libanais et Arabes) qui sommes en train de produire le peu d’articles existants sur des figures du monde arabe, et j’ai souhaité attirer l’attention des étudiants sur ce point », remarque-t-elle. Ainsi, George Saad se réjouit d’avoir « participé activement à l’écriture de notre histoire, au lieu de laisser les Occidentaux le faire à notre place et nous soumettre à leur point de vue. Et c’est ce qui m’a motivé le plus à prendre part au projet. C’est une façon d’honorer les écrivaines et les poétesses du monde arabe ».
À la suite de ce projet, les étudiants ont par ailleurs acquis des compétences-clés de notre époque, allant de l’écriture pour un média numérique jusqu’à la pensée critique, en passant par la documentation. « Ils ont appris à effectuer des recherches dans les bibliothèques, à vérifier la notoriété d’une écrivaine, la crédibilité d’une source, comment paraphraser sans plagier, comment rédiger et mettre en forme un article en ligne, en plus des connaissances techniques comme le langage HTML », énumère Abir Ward. Céline Daou souligne également l’importance de la communication, qu’elle soit virtuelle ou en personne, compétence qu’elle a acquise lors du marathon d’édition : « Je crois qu’il est crucial d’accepter les points de vue de chacun lorsque l’on travaille sur un article, car Wikipédia est un travail d’équipe. »
« Un type d’éducation révolutionnaire », en tout cas, comme le décrit Fatima Mokalled. « Le partage des connaissances avec tout le monde sur le web crée un sentiment de responsabilité et nous oblige à travailler plus dur pour obtenir les meilleurs résultats », lance-t-elle. « On a l’opportunité de jouer un rôle actif dans l’accroissement des connaissances et dans le fait de les rendre plus exactes. Nous avons aussi la responsabilité de continuer cette action, afin de diffuser auprès des lecteurs des informations fiables », ajoute George Saad. Quant à Céline Mehdi, elle relève l’intérêt du processus d’écriture récursif de Wikipédia, permettant à différents contributeurs d’éditer un article. « En lisant l’article dans 20 ans, et en voyant comment il a été mis à jour au fil du temps, nous allons nous rappeler que c’est nous qui l’avons publié en premier, qui avons raconté l’histoire de celles qui nous ont permis d’être là aujourd’hui, et contribué à préserver notre héritage littéraire », se félicite-t-elle.
Abir Ward confie enfin que les prochains marathons d’édition tourneront autour de femmes arabes dans divers domaines, comme les médias ou l’éducation. « À travers l’organisation des Edit-a-thon, nous souhaitons ouvrir des canaux avec Wikipédia, pour qu’ils remarquent notre présence lorsqu’ils auront besoin d’écrire sur le monde arabe et leur dire que nous sommes désormais la référence », conclut avec détermination Abir Ward.
Pour en savoir plus sur cette initiative de 2Râth : https ://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia :Meetup/2rath ;
https ://artandfeminism.org/edit_a_thon/aubs-first-edit-a-thon-bridging-the-gender-gap/