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Nos Lecteurs ont la Parole - La République fédérale d’Allemagne

L’État libanais en comparaison internationale (II)

L’État libanais en comparaison internationale (II)

La République fédérale d’Allemagne s’est dotée d’un nouveau gouvernement, présidé par le social-démocrate Olaf Scholz au terme de deux mois de négociations. Photo Kay Nietfeld/Pool/AFP

Les partis politiques libanais traditionnels ont, au cours des années écoulées, œuvré à distordre le régime politique libanais, en en sapant les bases et en adoptant des pratiques politiques aux antipodes des principes qui devraient régir les institutions. La dénonciation de leurs pratiques politiques peut ainsi prendre la forme d’une comparaison avec celles qui ont cours dans des États qui, comme le Liban, connaissent un régime parlementaire.

Instabilité gouvernementale

En juillet 2021, le Premier ministre désigné Saad Hariri a jeté l’éponge et renoncé à former un gouvernement onze mois après la démission du gouvernement de Hassane Diab, et neuf mois après sa nomination. Cette période de longue vacance du pouvoir n’est pas la première qui touche le Liban : entre juin et novembre 2009 (cinq mois), janvier et juin 2011 (cinq mois), mars 2013 et février 2014 (onze mois), puis mai 2018 et janvier 2019 (huit mois), le Liban a connu de longues périodes sans gouvernement.

Il n’est toutefois pas le seul pays à connaître de longs intermèdes au sein du pouvoir exécutif. Hormis l’Italie – à l’instabilité parlementaire proverbiale – l’Espagne ou la Belgique, l’Allemagne a également été en proie au vide politique. Ainsi, la République fédérale d’Allemagne s’est finalement dotée d’un nouveau gouvernement fédéral, présidé par le social-démocrate Olaf Scholz au terme de deux mois de négociations au moment où les partis vainqueurs des élections de septembre 2021 sont arrivés à un accord de coalition. Ce n’est de plus pas la première fois que se produit un tel scénario : en 2017, les négociations avaient duré six mois avant qu’un gouvernement ne voie le jour.

Une simple comparaison avec l’étranger pourrait donc porter à croire que les tensions que connaît le Liban lors de chaque transition gouvernementale font partie du cours normal de la vie politique interne. Ce n’est que lorsque l’on se penche sur les raisons de la vacuité au sein du pouvoir et sur les subtilités des négociations entre les partis que l’on appréhende l’ampleur de la différence qui sépare le Liban des autres États.

Critères pour la formation des gouvernements

Les débats et confrontations auxquels se livrent les partis-communautés lors de chaque vacance gouvernementale, ainsi que les blocages auxquels fait désormais inévitablement face chaque chef de gouvernement illustrent les dérives du système politique libanais. La formation du gouvernement a été affranchie de la surveillance du Parlement et soumise à des règles qui découlent exclusivement des conflits entre les « zouaamâ » (chefs politico-communautaires), et qui constituent autant d’hérésies constitutionnelles. Ce n’est ainsi aucunement le résultat des élections parlementaires qui détermine l’identité du parti appelé à gouverner, mais les rapports personnels qu’entretiennent les « zouaamâ ».

La récente lenteur de la transition gouvernementale en République fédérale d’Allemagne, quant à elle, est principalement due à l’ébranlement de l’ordre parlementaire – qui s’observe dans divers pays d’Europe occidentale. Les deux Volksparteien (partis de rassemblement qui touchent l’ensemble des couches sociales) que sont le Parti chrétien-démocrate (CDU-CSU) et le Parti socio-démocrate (SPD) réalisent en effet leurs pires résultats électoraux depuis la Seconde Gerre mondiale et concurrencés par de plus petites formations politiques.

Cette mutation du paysage politique impose à ces partis de coopérer afin d’éviter un blocage institutionnel ; il arrive alors que l’entente soit longue à émerger, comme ce fut le cas en 2017.

Les élections fédérales de septembre 2021 ont vu le SPD devenir le premier parti du pays (206 sièges), devançant la CDU-CSU (197 sièges), les écologistes (118 sièges) et les libéraux-démocrates (FDP, 92 sièges). En conséquent, le social-démocrate Olaf Scholz s’est attelé à prendre contact avec les autres partis en vue de former une coalition gouvernementale sous sa direction. Après une semaine de prénégociations, le SPD a annoncé l’ouverture du dialogue avec les écologistes et le FDP en vue de former une coalition.

Négociation du programme gouvernemental

Les partis libanais négocient, des mois durant, l’attribution de chaque portefeuille ministériel : l’influence que confère le gouvernement est en effet vitale pour les partis politiques. Le délicat équilibre qui découle des rapports de force au sein du gouvernement se répercute sur le cours de la vie politique libanaise, le gouvernement ayant supplanté le Parlement dans son rôle. Au cours de ces négociations, d’innombrables accords sont proposés, qui visent à des échanges de bons procédés, à des trafics d’influences ou des répartitions de parts de marchés, et qui, au final, permettent de définir les sphères d’influence respectives. Les « zouaamâ » formulent leurs exigences quant à l’attribution des « parts » (« hossas ») ministérielles, en se basant sur un chimérique droit à la représentation au sein du Conseil des ministres –

alors que ce dernier n’est nullement prévu pour être une instance représentative, contrairement au Parlement.

Les trois partis allemands (SPD, écologistes et FDP) ont, de leur côté, gardé le secret sur le contenu des négociations qui ont débuté en octobre ; jusqu’à fin novembre, il n’a nulle part été question des avancées réalisées et des points de désaccord. Il s’agit en effet d’éviter qu’un parti ne cherche à faire usage de la publicité des débats pour faire sciemment obstruction à toute avancée dans un but de surenchère partisane.

Les Allemands peuvent cependant supputer quels ont été les sujets qu’ont abordé les représentants du SPD, des écologistes et du FDP. Le SPD entendait donner la priorité aux questions sociales, revendiquant une augmentation du salaire minimum à 12 euros par heure. Les écologistes souhaitaient accélérer la transition énergétique allemande ; leurs deux mesures phares étaient l’arrêt de la production de charbon dès 2030 (au lieu de 2038) et l’augmentation de la part d’énergie renouvelable à 80 % d’ici à 2030 (au lieu de 65 %). Le FDP, quant à lui, souhaitait adopter un programme de modernisation de l’économie allemande, notamment à travers la digitalisation, tout en refusant toute augmentation des impôts ou tout budget déficitaire.

Contrat de coalition et répartition des ministères

Au Liban, le gouvernement qui émerge à la suite des longues tractations ne se dote, pour seul programme, que d’une déclaration ministérielle où sont accolées des généralités et de plates déclarations d’intention. Le nombre pléthorique de ministres, issus de formations politiques très différentes, empêche l’unité de l’action gouvernementale. Les partis utilisent le Conseil des ministres comme outil de leurs bras de fer ou comme instrument de négociation, entravant son fonctionnement ou bloquant la tenue des séances.

Les négociations entre le SPD, les écologistes et le FDP ont, elles, porté sur le contenu du « contrat de coalition », dont la signature a été annoncée le 24 novembre 2021. Ce contrat gouvernemental, bien loin de l’insipide déclaration gouvernementale que produit chaque gouvernement libanais lors de son entrée en exercice, porte sur l’ensemble des thèmes dont devra s’occuper le futur gouvernement.

À titre d’exemple, le contrat conclu début 2018 entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates comportait un préambule et deux chapitres généraux, ainsi que douze chapitres qui définissaient les détails de la politique du gouvernement Merkel IV : famille ; formation, recherche et digitalisation ; travail et participation sociale ; économique (finances et impôts, énergie, transports, agriculture et alimentation) ; santé et sécurité sociale ;

immigration et intégration; logement et qualité de vie ; État de droit et justice ; protection du climat et gestion des ressources ; politique étrangère ; démocratie et cohésion sociale ; fonctionnement du gouvernement et des groupes parlementaires.

L’accord de coalition, bien que portant au pouvoir des partis aux orientations radicalement différentes, permet à l’équipe gouvernementale de définir dans le menu détail les orientations politiques à venir. Il ne s’agit pas, contrairement aux pratiques qui ont cours entre les partis politiques libanais, de juxtaposer des ministres aux vues fondamentalement opposées, dans une équipe naviguant à vue, où les ententes personnelles prennent le pas sur tout programme.

Les négociations entre les partis allemands ne tournent pas autour d’une répartition des prébendes et des postes d’influence : la composition du gouvernement n’est en effet discutée qu’une fois les questions relatives à son programme, réglées. Elle n’est alors l’objet que de brèves négociations, au cours desquelles il n’est aucune question de parts que s’arrogent les partis – un accord ayant été trouvé en amont sur les questions de fond, les trois partis au pouvoir ne s’inquiètent pas de l’orientation future du travail gouvernemental ou de leur influence au sein du gouvernement.

Ces négociations sont facilitées par le fait que la coalition n’est pas une addition hétéroclite de partis : elle n’est formée que d’un nombre de partis limité à ce qui est nécessaire à l’obtention d’une majorité parlementaire ;

les entretiens exploratoires (« Sondierungsgespräche ») que mène le candidat à la chancellerie permettent de plus de choisir les partis qui prendront part au futur gouvernement de manière à ce que les divergences de vue n’entravent pas ce dernier.

Les rares personnalités qui annoncent publiquement convoiter un poste particulier justifient leurs prétentions par leur volonté de mettre en œuvre une politique sectorielle définie, qui est incluse dans leur programme électoral. À titre d’exemple, Christian Lindner, président du FDP, avait annoncé dès avant les élections qu’il convoitait le poste de ministre des Finances, en déclarant vouloir veiller en personne à l’équilibre budgétaire si cher à son parti.

Conclusion

Le gouvernement libanais est, au fil des ans, devenu le lieu par excellence de la répartition des parts et des quotas, le passage obligé de toute décision et le nœud de la paralysie de la politique libanaise. Son président ne détient qu’une autorité de façade sur des ministres agissant en désordre, chacun tirant à hue et à dia au gré des intérêts de son parti politique. Le Conseil des ministres est donc totalement incapable d’adopter et de faire appliquer des politiques publiques ; il n’est pas responsable devant le parlement, dont le rôle a été de facto abrogé, mais peut être renversé à la moindre péripétie politique ou géopolitique.

La formation du gouvernement fédéral allemand se produit sur des bases consensuelles, sans restreindre pour autant la démocratie parlementaire. À la suite des élections, une majorité viable émerge suite à des négociations menées par le président du parti arrivé en tête. Ces tractations permettent la rédaction d’un contrat gouvernemental, qui sert de feuille de route pour la législature en cours ; les partis s’accordent ainsi sur chaque potentiel sujet conflictuel, ce qui permet à l’action gouvernementale de se dérouler de manière cohérente et efficace.

Cette brève comparaison entre les pratiques partisanes et les méthodes de formation des gouvernements au Liban et en Allemagne démontre l’urgence à laquelle est confrontée le Liban de revenir à un fonctionnement institutionnel sain et conforme aux principes du parlementarisme qui sont prévus par les textes constitutionnels. Seule une application stricte de ces derniers, de manière conforme à leur esprit démocratique, peut permettre au Liban de retrouver un rythme politique interne stable mais compétitif, qui organiserait le pluralisme politique et la prise de décision de manière efficace et participative.

Gabriel ABOU ADAL

Étudiant en droit à l’université de Zurich

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Les partis politiques libanais traditionnels ont, au cours des années écoulées, œuvré à distordre le régime politique libanais, en en sapant les bases et en adoptant des pratiques politiques aux antipodes des principes qui devraient régir les institutions. La dénonciation de leurs pratiques politiques peut ainsi prendre la forme d’une comparaison avec celles qui ont cours dans des...

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