
Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, au forum de Davos, en Suisse, en janvier 2020. Photo d'archives AFP
Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) Gebran Bassil a déclaré dimanche qu'il n'était pas prêt à mettre un terme à l'entente de Mar Mikhaël conclue en 2006 entre son parti et le Hezbollah, mais que celle-ci devrait être "améliorée" pour répondre aux nouveaux défis économiques et financiers. Dans une allocution prononcée à l'occasion de la nouvelle année, et devant précéder une prise de parole du chef du parti chiite Hassan Nasrallah lundi soir, M. Bassil a également estimé que l'alliance entre le Hezbollah et le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry impactait l'accord de Mar Mikhaël.
Le CPL et le Hezbollah avaient signé en février 2006 l'entente de Mar Mikhaël, scellant leur partenariat. Si depuis les relations entre les deux partis ont connu des tensions au fil des ans, concernant notamment l'implication du parti pro-iranien dans le conflit en Syrie, elle est aujourd'hui réellement remise en question par le courant aouniste, en raison de divergences sur de nombreux dossiers. Le président libanais et fondateur du CPL, Michel Aoun, avait ainsi appelé lundi dernier à un dialogue "national urgent", notamment autour de la stratégie de défense du Liban. Par "stratégie de défense", le chef de l'Etat semble désigner les armes du Hezbollah et la manière de les intégrer à l'Etat. Par ailleurs, le CPL critique le boycott du Conseil des ministres par le parti chiite, qui réclame que soit abordé par le gouvernement le sort du juge Tarek Bitar, chargé de l'instruction sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Les amendements apportés à la loi électorale en vue du scrutin de 2022 font aussi partie des sujets de discorde entre les aounistes et le parti pro-iranien.
Pour certains observateurs, une partie de la base du CPL reproche l'alliance avec le Hezbollah, une position qui met les aounistes dans l'embarras, notamment depuis les affrontements de la mi-octobre dans le quartier de Tayouné. Ces violences sont survenues en marge d'une manifestation du tandem chiite contre le juge Bitar, entre des protestataires des deux partis et des tireurs situés dans le quartier de Aïn el-Remmaneh, dont les habitants sont traditionnellement proches des Forces libanaises du chef chrétien rival Samir Geagea.
Mar Mikhaël plutôt que Tayouné
Lors de son long discours, le chef du CPL a fait valoir que l'entente de Mar Mikhaël avait été conclue "en réaction à la tentative de la communauté internationale et ses partenaires libanais d'isoler" le parti chiite. Il a estimé que dans ce contexte "les tentatives de semer la discorde se poursuivent, comme cela a été le cas lors des affrontements de Tayouné". "Nous avons choisi Mar Mikhaël plutôt que Tayouné parce que nous savons que Samir Geagea a toujours été lié à des intérêts étrangers, qu'il s'agisse tantôt d'Israël, tantôt des Etats-Unis".
Toutefois, il a estimé que l'application des l'accord de Mar Mikhaël restait incomplète et que certaines choses "ne passent plus" notamment en ce qui concerne la "construction de l'Etat et la protection des corrompus. Où est la démocratie consensuelle lorsque le Conseil des ministres est paralysé et que l'on veut porter atteinte au mandat et aux prérogatives du président ? Lorsque l'on porte atteinte au Conseil constitutionnel ? Lorsque la stratégie de défense ne reste qu'un slogan vide, sans contenu ?" Revenant sur des déclarations du chef du Hezbollah, qui avait estimé que ces questions devaient être résolues "en coulisses" entre les deux partis et non via des déclarations médiatiques, Gebran Bassil a estimé qu'"il a raison, mais nous avons essayé de lancer un dialogue en profondeur et de développer le texte de notre accord, nous avons même mis sur pied un comité conjoint, mais celui-ci ne s'est réuni qu'une seule fois, comme si ces questions n'étaient pas urgentes", a-t-il regretté.
La résistance doit rester sous la coupe de l'Etat
"Nous ne voulons ni annuler ni déchirer l'entente de Mar Mikhaël, mais nous voulons l'améliorer, parce que qu'elle ne répond plus aux défis auxquels nous devons faire face, surtout d'un point de vue économique et financier", a-t-il lancé. "Nos priorités sont l'Etat et les réformes, les leurs sont la résistance et sa défense. Nous pouvons travailler sur ces deux plans, mais la résistance doit rester sous la coupe de l'Etat et non au-dessus de lui. On ne peut pas se permettre de perdre l'Etat pour la résistance", a-t-il déclaré.
Le chef du CPL a en outre critiqué l'alliance entre le parti chiite et le mouvement Amal, estimant que c'est à cause de cette alliance entre les deux partis que le Hezbollah prend des décisions "dont ils ne sont pas eux-mêmes convaincus", et qui impacte l'entente de Mar Mikhaël. "Lorsque l'on découvre que la partie qui décide face à nous dans le cadre de l'entente c'est Amal, nous avons avons le droit de demander une révision de cet accord", a-t-il lancé. Il a aussi justifié son refus de rompre cet accord en soulignant que cela "ne permettra pas de gagner des voix lors des élections, mais au contraire de faire perdre au parti sa crédibilité". "Nous avons fait nos calculs et évidemment nous sommes plus forts si nous nous allions au Hezbollah lors du scrutin", a-t-il ajouté.
Grand changement politique
Gebran Bassil a par ailleurs appelé à un "grand changement" politique dans le pays, soulignant que cela "nécessite plus que des élections". "Le régime politique libanais doit changer", a-t-il dit, déplorant qu'il puisse être bloqué par certains parce qu'il se base sur le principe du consensus. "Ce régime est devenu un régime de veto communautaires, même pour de simples décisions", a-t-il regretté. Et de critiquer que le régime actuel, avec un Etat "centralisé" retire ses prérogatives au président de la République en les accordant au Parlement et au Conseil constitutionnel. "Cet Etat centralisé ne fonctionne plus" à cause de la classe politique actuelle, "mais nous ne voulons pas vivre dans un Etat failli", a-t-il lancé, réitérant l'appel lancé lundi dernier par Michel Aoun à une "décentralisation administrative et financière élargie". Ces propos avaient été critiqués par les détracteurs du président, qui l'accusaient de pousser le pays vers une division communautaire.
"Nous ne pouvons pas continuer à obliger les habitants de certaines régions à payer seuls 75 % des taxes alors qu'ils ne profitent que de 25 % des dépenses de l'Etat", a ainsi justifié Gebran Bassil à ce sujet, insistant sur le fait que la décentralisation ne signifiait pas un recours au fédéralisme ou au confédéralisme. Et de souligner que ces changements politiques doivent avoir lieu "au moyen d'un dialogue, tel que l'a proposé le président de la République".
En outre, s'en prenant à nouveau au président du Parlement Nabih Berry, il a notamment dénoncé le fait que les votes à la Chambre se font "selon son bon vouloir parce qu'il interdit le vote électronique", citant en exemple la loi sur la prolongation de la levée du secret bancaire écartée par le chef du législatif malgré l'approbation d'une majorité de députés. M. Bassil a également reproché au mouvement Amal de bloquer les réformes dans le secteur de l'électricité. Il a ainsi critiqué les ministres des Finances, membres ou proches depuis des années d'Amal, d'avoir bloqué la construction de la centrale de Deir Ammar "parce qu'ils ne pouvaient pas en profiter et parce qu'elle ne se situe pas dans une région qui les intéresse".
Gebran Bassil a enfin accusé le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, "qui est protégé par la classe politique", d'avoir effectué "le plus grand braquage organisé des fonds des gens". "Il est poursuivi dans sept pays européens, mais au Liban il est interdit de le poursuivre", a-t-il critiqué, l'accusant de "se rebeller contre les décisions du Conseil des ministres, d'empêcher l'audit juricomptable de la banque centrale et de saboter le plan de redressement financier et les négociations avec le Fonds monétaire international".
Bassil prêt à se rendre en Syrie
Commentant, en outre, les relations avec la Syrie de Bachar el-Assad, le chef du CPL a affirmé sans ambages qu'il était prêt à se rendre à Damas. "Nous n'avons plus d'excuses pour ne pas nous rendre en Syrie et à y aller de façon officielle, car le complot visant à maintenir les réfugiés syriens au Liban se poursuit", a estimé M. Bassil. "Si ma visite (en Syrie) peut aider, je suis prêt à le faire, avant même les élections", a souligné le député de Batroun. "Il est temps de travailler et de traduire nos choix levantins en actes, sans pour autant porter atteinte à nos spécificités, notre souveraineté et notre indépendance", a-t-il ajouté.
Les propos de Gebran Bassil interviennent après des rumeurs dans la presse faisant état d'une demande secrète du chef du CPL pour se rendre à Damas.
Les relations officielles avec la Syrie sont une question sensible qui divise tant la classe politique que la population au Liban, depuis le début de la guerre civile dans ce pays en 2011. Les forces dites souverainistes au Liban s'opposent à une normalisation des relations avec le régime Assad, alors que celles qui lui sont proches plaident constamment pour un réchauffement de ces relations. Plusieurs ministres libanais pro-Assad se sont déjà rendus à Damas ces dernières années, à titre personnel, mais c'est le gouvernement de Hassane Diab qui avait officialisé ces visites. Une politique que le gouvernement actuel de Nagib Mikati poursuit, même si le Premier ministre affirme attendre un "feu vert de la communauté internationale" avant de se rendre à Damas.
Le CPL, fondé par Michel Aoun, était un farouche opposant au régime syrien durant les années 1990 et la première moitié des années 2000, avant que le parti ne fasse volte-face et ne se rapproche de Damas. M. Aoun s'était même rendu en Syrie en 2008.
Le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste) Gebran Bassil a déclaré dimanche qu'il n'était pas prêt à mettre un terme à l'entente de Mar Mikhaël conclue en 2006 entre son parti et le Hezbollah, mais que celle-ci devrait être "améliorée" pour répondre aux nouveaux défis économiques et financiers. Dans une allocution prononcée à l'occasion de la nouvelle année, et devant...
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DE NOUVEAU CENSURE !
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 09, le 03 janvier 2022