Ange et père Noël
Le père Noël venait tout juste de garer son traîneau devant la fabrique du pôle Nord et de dételer ses rennes fourbus après la longue tournée planétaire de distribution des cadeaux lorsqu’un ange lui apparut.
L’ange : Frère Noël ! À vous le bonjour en ce grand jour de la Nativité !
Père Noël : Frère Noël ?
L’ange : Oui, vous avez bien entendu ma salutation.
Père Noël : Ai-je mal fait mon travail pour être ainsi rétrogradé en frère ?
L’ange : Au contraire ! Vous l’avez si bien fait en ces conditions sanitaires difficiles que vous avez mérité une promotion !
Père Noël : Une promotion de père en frère ? Merci ! Je préfère conserver mon grade actuel !
L’ange : Le titre de « frère » vous sera désormais attribué pour la Saint-Sylvestre. Chaque année, après avoir été le père Noël pour les enfants à Noël, vous serez le frère Noël pour les adultes au Nouvel An. Vous n’allez pas être un père pour les gens de votre âge, voyons !
Père Noël : Ah non ! Ne me dites pas que je vais jouer au frère Noël après le père Noël...
L’ange : Vous « jouiez » au père Noël ?
Père Noël : Ce n’est pas ce que je voulais dire... Façon de parler... Je prends mon rôle très au sérieux, même si les humains adultes l’ont travesti et mimé à des fins folkloriques et commerciales. Mais ma spécialité est d’être un père à Noël pour les enfants et non un frère après Noël pour les adultes. Ce n’est ni dans ma nature ni dans la tradition ! Et puis les adultes n’ont pas besoin d’un frère Noël, mais de plus de fraternité entre eux. Certains, incorrigibles, auraient besoin du père Fouettard !
L’ange : Le Très-Haut a décidé d’initier une nouvelle pratique qui deviendra une tradition. Vous n’allez quand même pas le contrarier, Lui qui nous écoute en ce moment, n’est-ce pas ?
Père Noël : À Dieu ne plaise que je contrarie le Très-Haut ! C’est juste que je ne suis pas bon pour les adultes. Il leur faudrait quelqu’un de leur nature... Mais que comptez-vous faire pour les adultes au Nouvel An ?
L’ange : Il est vrai que l’humanité est responsable de ce fléau qu’elle s’est elle-même infligé à cause de son mode de vie vicieux et pernicieux, mais le Très-Haut, dans Sa miséricorde, a pris en pitié son peuple et voudrait apporter un réconfort aux hospitalisés ainsi qu’à ceux et celles qui ont vu leurs festivités de fin d’année gâchées à cause de leur contamination et qui ont dû se mettre en isolement. Sans oublier les isolés permanents.
Père Noël : Eh oui ! Malgré la double vaccination à grande échelle, les adultes sont toujours aux prises avec cet ennemi invisible qui mute et les met face à leur impuissance et leur vanité ! Ils n’ont pas encore compris qu’ils doivent changer de mode de vie et s’en remettre à Dieu ! Ils se prennent toujours pour des dieux et se croient tout-puissants !
L’ange : Ne les jugeons pas, frère Noël ! Laissons au Très-Haut le soin de le faire.
Père Noël : Mais que puis-je faire pour eux à l’expiration de cette année ?
L’ange : Leur donner une inspiration. Leur offrir des étreintes.
Père Noël : Vous voulez dire des étrennes !
L’ange : Non, je dis bien des étreintes. Un ange ne se trompe pas.
Père Noël : Pardonnez-moi... Mais des étreintes alors qu’il faut respecter la distanciation improprement dite sociale ? À part le fait qu’une étreinte, dans leur monde complexe et complexé, pourrait être mal interprétée. Je serais accusé d’inconduite, jugé et jeté en prison ! C’est ce que vous et le Très-Haut voulez ?
L’ange : Ne vous emportez pas, frère Noël ! N’oubliez pas vos origines ! Soyez saint !
Père Noël : Et dire que je l’étais ! C’est le monde des adultes, que vous voulez que j’étreigne, qui m’a désanctifié et caricaturé !
L’ange : Parlant justement d’étreinte, et pour vous rassurer, il ne s’agira pas d’une étreinte « corps à corps », mais « cœur à cœur » ! Le Très-Haut vous donnera le pouvoir d’apparaître en songe aux adultes en quarantaine, coupés du monde, ainsi qu’aux souffrants, aux alités, aux solitaires et aux sans-logis pour leur délivrer un message de réconfort et d’amour. Vous leur direz en rêve qu’ils ne sont pas seuls, que l’humble Très-Haut est avec eux, que Son esprit les accompagne dans leurs épreuves, que la charité, le pardon, la compassion, la solidarité et l’espérance constituent le meilleur remède, le meilleur vaccin contre tous les maux ; qu’il leur faudra se renouveler, corps et âme, avec la nouvelle année, acquérir des habitudes de vie saines, révérer la terre et l’environnement, prendre leurs responsabilités ainsi que le bon pli de la rectitude et de l’élévation, se fondre dans la vie et s’en émerveiller, atteindre la plénitude de conscience et s’unir à la conscience divine...
Père Noël : Mais n’est-ce pas vous qui devriez, en tant qu’ange, leur apparaître en songe pour leur tenir un tel langage ?
L’ange : Mon apparition aurait une portée religieuse. Le Très-Haut ne veut pas forcer la main de ses enfants et par conséquent violer le principe du libre arbitre. Pour cela, il vous a choisi en tant que personnage laïc pour accomplir cette mission !
Père Noël : Mission bien accomplie par le monde mercantile des adultes qui m’a bien laïcisé !
L’ange : Ne soyez pas cynique, frère Noël ! Vous êtes un laïc investi d’une mission sacrée !
Et c’est ainsi que dans la nuit du Nouvel An, frère Noël apparut en songe à tous les isolés à cause du Covid, aux malades, aux alités, aux solitaires et aux exclus, pour leur offrir ses étrennes sous forme d’étreinte.
« Je suis le frère Noël et je viens vous délivrer un message fraternel d’amour », commença-t-il à dire, pour ensuite égrener tout ce que l’ange lui a appris. À leur réveil au Nouvel An, ils étaient émerveillés et profondément marqués par l’apparition de ce « frère Noël » en tout point pareil au père Noël folklorique et traditionnel, sauf que celui de leur songe était enveloppé d’un halo de sainteté, qu’il était profondément fraternel et pénétrant par ses propos pleins de sagesse. Ils firent part de leur expérience onirique à leur entourage et appliquèrent à la lettre son message d’amour. Leur transformation était visible et les effets bénéfiques de contagion dépassèrent de loin ceux maléfiques du Covid qui reculait face à cette nouvelle forme de vie.
Voyant les retombées miraculeuses de son « apparition », le frère Noël pleura de joie et rendit infiniment grâce au Très-Haut pour avoir refait de lui un saint !
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