« Ce prix Albert Londres est le fruit d’une rencontre entre un événement tragique et singulier, l’explosion au port de Beyrouth, et un grand talent, celui de Caroline Hayek. » Ces mots d’Élie Fayad, rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, résument ce que représente le prix Albert Londres, attribué, lundi soir à Paris, en présence de la ministre française de la Culture, Roselyne Bachelot, à notre journaliste Caroline Hayek, pour ses reportages écrits à la suite de la double explosion tragique au port de Beyrouth, le 4 août 2020.
Créé en 1932, en hommage au journaliste français Albert Londres, père du grand reportage moderne, et remis pour la première fois en 1933, ce prix est le plus prestigieux, en France, dédié au grand reportage francophone. Il se décline en trois catégories : Prix de la presse écrite, Prix audiovisuel, Prix du livre.
Pour cette édition 2021, quatre-vingt-dix candidatures avaient été envoyées dans la catégorie presse écrite. Un record. Au sein des neuf retenues figuraient des journalistes du Figaro, du Monde, de Libération. Parmi eux, Wilson Fache, dont les reportages sont aussi régulièrement publiés depuis des années maintenant dans nos colonnes. L’an dernier, c’est Marwan Chahine qui était nominé pour ses reportages dans L’Orient-Le Jour.
« Bravo L’Orient-Le Jour, félicitations Caroline. Ce prix t’est remis pour une remarquable série de reportages sur le Beyrouth d’après l’explosion du 4 août, qui parle d’une violence qui n’est pas celle de la guerre, mais une violence plus insidieuse, celle de la corruption, de l’incurie de certains pouvoirs publics et de ses conséquences pour les plus faibles, pour les plus vulnérables, les invisibles que tu es allée voir, parmi eux les réfugiés syriens », a déclaré Allan Kaval, grand reporter du quotidien Le Monde primé l’an dernier, en remettant le prix à notre consœur. « C’est aussi l’histoire des espoirs déçus de la révolution que tu racontes. Un tableau sombre dans lequel il y a vraiment une lueur, le journalisme, ce que vous faites à L’Orient-Le Jour, un journal qui a énormément travaillé, évolué. Une lueur qui est aussi ton écriture, qui transforme l’injustice en colère, et cette colère, en politique, c’est parfois le début de l’espoir », a-t-il encore dit.
« Je suis très, très émue d’être là ce soir », a d’abord réagi Caroline Hayek. « Quand le port de Beyrouth a explosé le 4 août 2020, j’étais en France. Je suis rentrée au Liban au plus vite. Ça a été un choc de voir Beyrouth, la ville dans laquelle j’ai grandi, complètement défigurée », a-t-elle poursuivi, prise par l’émotion. À l’époque, Caroline travaillait au service international, mais toute la rédaction a été mobilisée, étant donné l’ampleur du drame. « Ce qui faisait le plus sens pour moi, c’était de raconter l’explosion à travers les réfugiés syriens qui ont également été touchés. Ce sont des gens qui ont fui la guerre, fui l’horreur, qui vivent dans des taudis, sont considérés comme des citoyens de seconde zone au Liban et qui ont perdu une femme, un frère, ou se retrouvent blessés » par l’explosion, a-t-elle expliqué, avant de raconter sa rencontre avec Aref el-Ali, un Syrien dont le frère, Mohammad, concierge dans un immeuble de luxe situé en face du port, a été tué le 4 août 2020.
« J’ai reçu ce prix pour des articles concernant le Liban, mais je pense beaucoup aux Syriens ce soir. J’ai couvert le conflit syrien depuis Beyrouth pendant six ans, essentiellement en donnant la parole à tous ceux dont on n’entendait pas assez la voix. Raconter leur vie, leur survie, mais aussi leurs petites anecdotes du quotidien a été ma plus grande école, moi qui suis tombée dans le journalisme par hasard. C’était il y a sept ans, en décidant de changer de vie et de faire mes premiers pas à L’Orient-Le Jour », a-t-elle poursuivi, avant d’ajouter : « Ce prix est pour les Libanais, pour les Syriens, pour L’Orient-Le Jour. »
Un prix à la « saveur unique »
« Ce prix attribué à notre collègue a une saveur unique pour nous à L’Orient-Le Jour », relève Michel Helou, directeur exécutif du groupe, « que ce soit à l’aune de notre statut d’outsider, des épreuves que nous avons traversées ces deux dernières années, ou du fait que, il y a quelques années de cela, nous n’aurions simplement pas imaginé postuler ». Un prix qui résonne pour trois raisons, poursuit-il. « Tout d’abord pour Beyrouth, ville endeuillée, et sujet principal des reportages de Caroline Hayek. Avec talent, Caroline s’est attelée à raconter ce que Beyrouth “mille fois morte, mille fois revécue” comme l'écrivait Nadia Tuéni, a subi, et comment ses habitants ont continué à se battre. » Ce prix « porte aussi une signification particulière pour la presse libanaise qui, longtemps considérée comme la plus riche et la plus libre du Moyen-Orient, est aujourd’hui faite de désolation », estime Michel Helou. Et avec ce prix, « nous montrons qu’il est encore possible de faire du journalisme de qualité au Liban et dans la région. Du journalisme fondé sur les faits et porté par un engagement », ajoute-t-il.
Ce prix, renchérit Émilie Sueur, rédactrice en chef, « récompense un journal qui se bat pour la défense de valeurs ; un journal indépendant, fait suffisamment rare dans le pays et la région pour être souligné ; une rédaction qui porte et défend la noblesse du métier ». Depuis des décennies, ajoute Élie Fayad, L’Orient-Le Jour « se bat au service d’une certaine idée du Liban et du monde, une idée enracinée dans les valeurs de liberté, de tolérance, d’ouverture ; une idée qui s’écrit d’abord en français... ». Ce prix est également un « message très fort pour toute une jeune génération qui a rejoint L’Orient-Le Jour ces dernières années et qui a très envie de continuer de grandir avec ce journal », relève Anthony Samrani, rédacteur en chef adjoint. Car si ce prix couronne avant tout le travail de Caroline Hayek, il récompense aussi toute une équipe, un journal étant avant tout une aventure collective.
« À quelques encablures de nos cent ans, ce prix nous conforte dans nos convictions : L’Orient-Le Jour porte un héritage unique et le journal est là pour durer », conclut Michel Helou.
Un message d’encouragement fort
Le prestigieux prix Albert Londres décerné à notre jeune journaliste Caroline Hayek* transmet un message d’encouragement fort à toute l’équipe de L’Orient-Le Jour. Chaque membre de notre grande famille portera longtemps ce prix dans son cœur et le brandira avec fierté. Aujourd’hui, à la veille du centenaire de notre journal, c’est notre presse libre, indépendante, qualitative, combative, qui est récompensée, grâce au talent engagé de notre journaliste primée, soutenue par toute une équipe solidaire. C’est aussi ce drame que vivent les Libanais et les Syriens qui a dû profondément toucher les membres du jury, décrits dans des reportages post explosion du 4 août avec réalisme et sensibilité, pointant du doigt la misère, l’angoisse, l’injustice, l’irresponsabilité et l’impunité. Ce prix devrait donc être également dédié à toutes les victimes de cette terrible explosion. Cette distinction donnera un nouvel élan à la circulation de notre travail journalistique, pour atteindre un nombre toujours croissant de lecteurs, à travers le monde. Et à leur tour, nos lecteurs deviendront nos ambassadeurs. Ensemble, nous voulons témoigner, dénoncer, initier le changement , et faire en sorte que les Libanais retrouvent leur dignité. Merci Caroline Hayek.
Nayla De Freige, PDG de L’Orient-Le Jour
*Notre journaliste a appris qu’elle avait obtenu le prix Albert Londres alors qu’elle était en France pour couvrir le procès du prêtre Mansour Labaky qui a écopé de 15 ans de réclusion pour abus sexuels. L’Orient-Le Jour était le seul média libanais présent à ce procès et le seul à le couvrir en détails. Le sujet dérange encore de nombreux Libanais qui persistent à dire qu’il s’agit d’un complot, malgré le verdict.
Les autres lauréats
Le 37e prix de l'audiovisuel, qui récompense le meilleur reportage audiovisuel, est revenu aux journalistes indépendants Alex Gohari et Léo Mattei pour leur film "On the line, les expulsés de l'Amérique", produit par Brotherfilms et diffusé sur France 2 et Public Sénat. Le documentaire expose les expulsions dont font l'objet des Mexicains qui ont vécu l'essentiel de leur vie aux Etats-Unis.
La photojournaliste indépendante Emilienne Malfatto, qui a débuté sa carrière au quotidien colombien El Espectador puis à l'Agence France-Presse, a reçu le 5e prix du livre pour "Les serpents viendront pour toi", publié aux éditions Les Arènes Reporters. Dans cet ouvrage, la journaliste, lauréate 2021 du prix Goncourt du premier roman pour "Que sur toi se lamente le Tigre", enquête sur le meurtre d'une mère colombienne de six enfants commis dans l'indifférence générale. Elle y relate le fléau des assassinats de syndicalistes, responsables associatifs ou simples citoyens qui ne cherchaient qu'à faire valoir leurs droits. Un hommage appuyé a également été rendu aux journalistes afghans.
merci caroline et félicitations pour ce prix . Remarquable ! Que dire ? force , courage , résistance, ..... dans tous ses articles, surtout celui sur l'affaire Labaky. A l'heure où le liban se dégrade politiquement et culturellement ; la voix de Caroline est espérance.
14 h 34, le 17 novembre 2021