
Des milliers de Syriens se dirigeant vers leur ambassade hier pour voter à la présidentielle. Photo Mohammad Yassine
« Allez ! Plus que quelques mètres », lance Ghina, un petit bout de femme de 20 ans, le drapeau syrien dans une main et un poster de Bachar el-Assad dans l’autre. Comme elle, des milliers de Syriens se ruaient hier aux portes de l’ambassade syrienne située sur les hauteurs de Yarzé, pour participer à l’élection présidentielle. Dans la file indienne qui mène au bureau de vote, certains s’impatientent. Pressés d’effectuer leur devoir de citoyen sous les flashes des caméras et les regards perçants des services de sécurité. « Moi ? Je viens de la Békaa, mais je serais venue du fin fond du monde pour voter pour le docteur (Bachar el-Assad) ! » lâche Hanine* en s’assurant que tout le monde l’entende bien. Masques, bouteilles d’eau, fanions, drapeaux et chants patriotiques passent en boucle.
Le vote des Syriens au Liban pic.twitter.com/HqpJb5gQmd
— Mohammed Yassin (@Moe_Yassn) May 21, 2021
Les organisateurs n’ont pas lésiné sur les moyens. Des hommes arrivent par grappes après avoir été déposés par des bus, encadrés par des chauffeurs de salle qui donnent le « la ». « Par notre âme et notre sang, nous nous sacrifions pour toi ô Bachar », hurle à tue-tête la foule. Des familles se pressent pour prendre un selfie devant le drapeau installé sur la façade. C’est un jeu de surenchère à qui se montrera le plus loyaliste. Des vieux en abaya montent péniblement la côte qui mène aux bureaux de vote, tenus à bout de bras. Bahjat, lui, n’a que 45 jours. Il dort, enveloppé dans un drapeau syrien, lové contre la poitrine de son père qui se prête au jeu des caméras. « Aline me pose beaucoup de questions sur les élections. C’est vrai qu’elle n’a que cinq ans, mais elle voulait voir comment ça se passe. Elle aime beaucoup notre président », affirme Khadija, 26 ans, en tenant la main de sa fillette.
Nahla Obeid montre son bulletin de vote signé de son sang. Photo Mohammad Yassine
« Je sais qu’il n’y a pas mieux que Bachar »
Une quinzaine de personnes enregistrent les votants et leur tendent un bulletin. Des petites mains abîmées retirent d’un sac de congélation une carte d’identité. Ahmad, 20 ans, est désemparé. Il n’a d’autre pièce d’identité qu’un acte d’état civil en lambeaux placé dans une pochette en plastique. « Mais je viens de Baalbeck pour voter pour le président », tente-t-il de convaincre. « Ils sont nombreux dans son cas. Ils ne pourront pas voter », dit tout de go un organisateur, avant de se rendre compte qu’il en a trop dit. Malgré la cohue et les visages parfois non masqués, cette élection doit paraître la plus organisée et démocratique possible. Un service d’ordre en costume cravate est là pour s’en assurer. Les portraits des trois candidats sont affichés sur les tentes installées pour l’occasion. Mais l’illusion ne trompe personne. « Moi je vous parle cash. Je ne sais pas qui sont les autres prétendants, mais je sais qu’il n’y a pas mieux que Bachar », lâche Ahmad, 33 ans, venu de la banlieue sud de Beyrouth et originaire de Deir ez-zor. « Je suis sunnite, mais je sais que si un sunnite prend la tête de l’État, il fera comme Daech », martèle cet ouvrier.
Mohammad Kheir Abou Turki al-Naïmi, la soixantaine, a fière allure avec sa moustache ébène, son keffieh et sa dichdacha mordorée. « Personne ne m’oblige à voter. J’aime mon pays, j’aime le président, pourquoi en essayerais-je un autre ? » dit-il avant d’entamer un poème de sa composition, en soutien aux Palestiniens. « Nos amis, nos frères, notre cause », lâche-t-il, le doigt levé. Un père et ses six enfants habillés en militaires fendent la foule. « Montrez bien les pancartes, les enfants », dit-il en les faisant poser devant les journalistes. L’aînée de cette famille venue de Tripoli, Fatmé, 17 ans, est convaincue que son père est parti lui chercher un bulletin pour voter. « Ah, je ne savais pas qu’il fallait avoir 18 ans. » Un homme, sa femme et leurs trois enfants s’engouffrent dans l’un des minuscules isoloirs. « J’ai pas besoin de me cacher, moi ! Je suis fier ! » crie un vieil homme édenté. « C’est bon ? J’ai répondu comme il faut ? » demande-t-il à un organisateur en montrant bien qu’il a coché la case sous la photo d’Assad. « Oui, c’est parfait, tu peux y aller », lui répond le jeune homme en lui indiquant les urnes. Parmi les exaltés, qui donnent le sentiment de faire semblant de l’être, il y a des hommes et des femmes qui marchent le regard dans le vide, visiblement pressés de rentrer chez eux. Des associations des droits de l’homme ont fait état de pressions et de menaces à l’encontre de réfugiés qui ne souhaitaient pas s’inscrire aux élections.
Des milliers de Syriens se dirigeant vers leur ambassade, hier, pour voter à la présidentielle. Photo Mohammad Yassine
« C’est Geagea qui nous a cognés »
Des Bédouines ont sorti leurs plus belles tenues en velours, chamarrées et scintillantes, une casquette blanche à l’effigie d’Assad posée sur leur foulard. Des chefs de tribu, originaires de Raqqa, défilent les uns après les autres, dans une sorte de cérémonie d’allégeance à leur « maître suprême ». Comme le cheikh Abou Ali Bou Hamad de la tribu Bou Hamad de Raqqa. C’est aussi le ballet des évêques et archevêques, maronites et syriaques-orthodoxes, venus apporter leur consigne de vote, et happés par les journalistes de la télévision. « Bachar el-Assad a chassé les terroristes, qui d’autre que lui mérite d’être aux commandes du navire ? » répètent-t-ils en chœur. Un jeune sunnite de Raqqa se prend en photo avec les hommes en soutane. « On vivait heureux tous ensemble, chrétiens et musulmans, avant les “événements” », dit-il. Marwan, 23 ans, est venu seul et a l’air un peu perdu. Sur son bras droit, une croix tatouée. Il évite les regards et se montre véritablement mal à l’aise face aux questions. « Tout va bien en Syrie, on a gagné la guerre. Tous ceux qui ont pu douter un jour soutiennent de nouveau le président », susurre-t-il, sans qu’on sache trop s’il parlait de lui. Nahla Obeid arbore sur sa robe noire l’écharpe du PSNS (Parti syrien national social) et tend son bulletin en l’air. Elle vient de se piquer le doigt avec une aiguille et a signé de son sang sous le nom du raïs. Pour amplifier son geste devant les regards scrutateurs, elle déchire les deux côtés du bulletin marqués du portrait des autres candidats, avant que quelqu’un ne vienne lui dire que le papier n’est plus valide. Piquée au vif, elle repart discrètement attraper un bulletin puis répète la scène. Deux femmes au brushing impeccable, sac de grande marque à la main, évitent de se mêler à la foule en déposant leur bulletin, avant de s’engouffrer dans les couloirs du bâtiment pour aller « saluer l’ambassadeur ». À l’intérieur, une speakerine de la télévision syrienne fait signe à ses connaissances avant de recracher un discours millimétré. Dans les salons climatisés de l’ambassade, le gratin syrien venu voter boit un café. À l’extérieur, les ouvriers, les livreurs, les travailleurs agricoles et autres marchent sous un soleil de plomb. Dib Markouchi arrive de Jounieh, la tête bandée, ensanglanté, après avoir été tabassé par des partisans des Forces libanaises. « C’est Samir Geagea qui nous a cognés. Enfin, ses chabebs. Je viens d’Idleb, j’ai tout perdu, trois enfants tombés en martyrs. Mais quand tout ça va-t-il s’arrêter à la fin ? » hurle-t-il à qui veut l’entendre. La veille, le chef des FL avait critiqué le vote des Syriens pro-Assad et appelé à leur retour en Syrie. Une jeune femme brandit le drapeau du Hezbollah et se dirige vers la sortie. « Il nous a défendus tout au long de la guerre. Que Dieu protège le docteur et le sayed (Hassan Nasrallah) », clame cette originaire de Damas. Des marées humaines continuent d’affluer sur les lieux. Une fois arrivé dans cette « petite Syrie », un vieil homme, en transe, enlace la photo de « Bachar » comme si c’était un nourrisson, l’embrasse, la pose au sol et se prosterne comme devant Dieu, avant d’être saisi à la chemise par un agent des Moukhabarat, lui-même gêné par le spectacle.
*Les prénoms ont été changés.
« Allez ! Plus que quelques mètres », lance Ghina, un petit bout de femme de 20 ans, le drapeau syrien dans une main et un poster de Bachar el-Assad dans l’autre. Comme elle, des milliers de Syriens se ruaient hier aux portes de l’ambassade syrienne située sur les hauteurs de Yarzé, pour participer à l’élection présidentielle. Dans la file indienne qui mène au bureau de...
commentaires (15)
En votant Bachar coeur de chèvre,ils ont le président qu'ils méritent! qu'ils ne viennent plus nous emmerder, qu'ils souffrent et meurent en silence !
Le Point du Jour.
19 h 57, le 21 mai 2021