Rechercher
Rechercher

Culture - Événement

L’Évangile de Mazepa, témoin des liens séculaires entre l’Ukraine et le Levant

Depuis son arrivée au Liban, l’ambassadeur Ihor Ostash déploie des efforts inlassables pour réveiller la mémoire des attaches qui existent entre sa patrie et la nôtre.

L’Évangile de Mazepa, témoin des liens séculaires entre l’Ukraine et le Levant

L’ambassadeur d’Ukraine au Liban Ihor Ostashe, avec l’Évangile de Mazepa. Photo DR

Le Liban et l’Ukraine, deux édens saccagés, partagent plus d’un point commun. L’Ukraine, un pays aussi grand que la France, était – et est toujours d’une certaine façon – « le grenier à blé de l’Europe » tout comme la Békaa était « le grenier à blé » de l’Empire romain; elle est la « seconde patrie » de l’un de nos grands écrivains, Mikhaïl Neaïmé, qui y a vécu et aimé ; dans la cathédrale Sainte-Sophie, à Kiev capitale de l’Ukraine, reposent les restes mortels de la très populaire sainte Barbara, née à Baalbeck et morte en martyre au IVe siècle (commémorée le 4 décembre) ; le Liban et l’Ukraine honorent tous deux le grand thaumaturge saint Charbel, et tous deux enfin ont souffert jusqu’à « crier vengeance au ciel » de la faim, des tyrannies et des guerres, comme en témoigne le contingent ukrainien de la Finul présent au Liban-Sud et les hangars broyés du port de Beyrouth.


L’ambassadeur d’Ukraine tenant l’Évangile de Mazepa. À l’arrière-plan, la statue du grand poète ukrainien Taras Chevtchenko, que Mikhaïl Neaïmé a traduit vers l’arabe. Photo DR

De Baabda, où niche la chancellerie de son pays depuis l’établissement des relations diplomatiques entre le Liban et l’Ukraine, il y a 29 ans, l’ambassadeur Ihor (Igor en ukrainien) Ostash déploie, depuis son arrivée en 2016, des efforts inlassables pour réveiller la mémoire des anciennes attaches qui existent entre sa patrie et la nôtre, notamment des liens historiques que des voyageurs et des linguistes ukrainiens des siècles derniers ont transmis dans leurs écrits, aujourd’hui traduits vers l’arabe. Ancien parlementaire et président de la commission des Affaires étrangères du Parlement de son pays, Ihor Ostash « n’est pas arrivé les mains vides » au Liban, selon la belle parole du prix Nobel 2021 de littérature, le Tanzanien Abderrazak Gurnah. Il a apporté avec lui et sa passion pour l’histoire, et le souvenir des liens tissés en Orient par l’un des héros de sa nation, le Hetman (chef militaire et politique) Yvan Mazepa, au tournant des XVIIe-XVIIIe siècles.


Une statue du poète et peintre Taras Chevtchenko installée dans un petit jardin près de l’ambassade d’Ukraine à Baabda. Photo DR

La diplomatie culturelle

« En bon stratège, précise-t-il, Ivan Mazepa avait placé la diplomatie culturelle au premier plan de ses actions. Il avait compris, en particulier, que ce n’est qu’à travers la culture et la spiritualité que des relations amicales peuvent être construites entre les peuples. »

Grâce à Ivan Mazepa, l’Église orthodoxe d’Orient – Antioche, Jérusalem et Alexandrie – bénéficia à divers titres de dons allant jusqu’à 6 000 pièces d’or. La part du lion de ce mécénat alla à Antioche. En 1708, un Évangile arabe fut imprimé à Alep aux frais de l’Hetman ukrainien. Cette coûteuse édition prit presque deux ans de travail, un effort monumental dont on a peine aujourd’hui à concevoir l’exploit technique qu’elle représenta. Elle valut à Ivan Mazepa une préface vibrante d’éloges du patriarche grec-orthodoxe d’Antioche, Athanase III Debbas (1647-1724), dernier patriarche orthodoxe avant la grande cassure et l’apparition de l’Église grecque-catholique.

Cette précieuse édition fut publiée par une imprimerie d’Alep qui fonctionna de 1706 à 1711, et où 13 publications chrétiennes différentes ont également été imprimées (Psaumes, Évangile, Épitres, etc.). La ville, à l’époque, était un grand centre de rayonnement entre l’Orient et l’Occident, à l’image d’une Ukraine à deux façades. Ivan Mazepa soutint l’imprimerie d’Alep en 1707-1708. Nous savons aujourd’hui que cette époque fut l’une des plus difficiles et des plus tragiques de sa vie. C’est en effet l’époque de la « grande guerre du Nord », au cours de laquelle il prit la décision fatidique de s’allier avec le roi Charles XII de Suède et le roi polonais Stanislav Leczynski, pour tenter d’établir un État indépendant sur le territoire ukrainien, et de se dégager du l’hégémonie de Moscou. Cette tentative se termina tragiquement pour Mazepa.


Plaque reproduisant un poème de Taras Chevtchenko, l’un des grands poètes ukrainien, traduit vers l’arabe par Mikhaïl Neaïmé. Photo DR

Un long travail de recherche

La redécouverte de cette Bible se fit au terme d’un long travail de recherche qui comprit la visite de nombreux monastères, bibliothèques, archives en Europe et au Liban. Au terme de ces prospections, 13 Évangiles imprimés au début du XVIIIe siècle à Alep furent répertoriés. Aucun, malheureusement, ne comprenait les précieux éloges adressés à Ivan Mazepa par le patriarche Athanase III Debbas. Ce n’est qu’en 2020 que cet artefact historique tant désiré, dédié à Ivan Mazepa en grec et en arabe, fut découvert. Il se trouvait tout simplement à la Bibliothèque nationale d’Ukraine.

L’ambassadeur d’Ukraine se plaît à préciser que l’Évangile en question a été imprimé par Abdallah Zakher, tenu chez nous comme l’un des premiers imprimeurs libanais. Après avoir travaillé à Alep entre 1706 et 1711, Zakher avait fondé une autre imprimerie au grand couvent grec-catholique de Saint-Jean, à Khenchara (Metn), en 1733-1734.

Cerise sur le gâteau, l’ambassadeur eut la surprise, en signant des papiers consulaires, de rencontrer des Libanais de la lignée du patriarche Athanase III, qui gardaient précieusement la mémoire de leur ancêtre. « Comme un hasard ne vient jamais seul, affirme le diplomate, je constatais que l’épouse de César Debbas, héritier de la maison bien connue de vente de luminaires, était… une Ukrainienne de Kiev, et que ce couple avait un enfant, Marc Debbas. Je me retrouvais donc, à ma grande joie, en présence d’un descendant ukrainien du grand patriarche Athanase III d’Antioche. »

Présenté déjà au patriarche maronite, au chef de l’État et à certains évêques, un exemplaire de l’Évangile de Mazepa sera offert à d’autres dirigeants libanais, ainsi qu’à tous les chefs d’Église du Moyen-Orient et à diverses bibliothèques scientifiques et universitaires du Liban.

« Nous espérons que cet événement sera un rappel historique et un témoignage de la politique d’ouverture sur l’Orient d’Ivan Mazepa et aidera aussi à apprécier à sa juste valeur la profondeur de l’histoire des relations bilatérales qui lient nos deux pays, l’Ukraine et le Liban », souligne l’ambassadeur.

Journée de l’écriture ukrainienne à Byblos

Les 9 et 11 novembre 2021, l’Évangile de Mazepa sera présenté respectivement à Jbeil au cours d’une Journée de l’écriture ukrainienne, et, plus académiquement, à l’Université américaine de Beyrouth (10h, West Hall, entrée libre, mais sur présentation d’une pièce d’identité et d’un certificat de vaccination).

À l’AUB, il fera partie d’un plus large exposé sur les travaux de Ahatanhel Krymskyi, un linguiste et folkloriste pionnier des études sur le Moyen-Orient en Ukraine.

Au Centre culturel municipal de Jbeil (vieux souks, face à la citadelle), la Journée de l’écriture ukrainienne commencera à 10h et comprendra une « dictée nationale », la présentation de l’Évangile, un buffet de spécialités et un festival de la chanson ukrainienne. La ville de Jbeil a été choisie pour cet événement en l’honneur de Byblos, capitale de l’alphabet.

Mercredi 1er décembre, 30e anniversaire du référendum sur l’indépendance de l’URSS, une Journée ukrainienne est prévue à l’ALBA à 18h.

Le Liban et l’Ukraine, deux édens saccagés, partagent plus d’un point commun. L’Ukraine, un pays aussi grand que la France, était – et est toujours d’une certaine façon – « le grenier à blé de l’Europe » tout comme la Békaa était « le grenier à blé » de l’Empire romain; elle est la « seconde patrie » de l’un de nos grands écrivains,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut