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Nos Lecteurs ont la Parole

Capital humain en péril

On m’a dit « écris ta colère ».

J’ai préféré attendre que la déferlante se calme pour bien peser mes mots. Mais elle ne se calme pas. Elle est toujours là, aussi brûlante qu’au premier instant.

Cet instant, marqué au fer rouge dans mon cœur, où suite à mon insistance et sous réserve de ma propre responsabilité on m’a autorisée à entrer dans la chambre d’hôpital de mon père. Admis pour une infection, il avait été mis en isolement pour « suspicion de Covid-19 » en attendant le fameux sésame, le PCR négatif.

Comment oublier son regard hagard et craintif lorsque je l’ai découvert dans un état d’effondrement total, complètement traumatisé et déstabilisé par le traitement inhumain qu’il avait subi durant les dernières vingt-quatre heures? Comment ne pas crier mon indignation et ma peine face à l’immense détresse psychique de mon père, un vieil homme au crépuscule de sa vie ?

Je tiens tout d’abord à saluer le travail formidable accompli par l’ensemble du corps infirmier et médical en ces temps difficiles de crise économique et de pandémie. À travers ce témoignage et mon expérience, j’aimerais surtout alerter sur l’importance de la santé mentale des patients mis en isolement et les graves dégâts causés par la négligence de leurs besoins psychiques.

Privé de repère temporel, de contact humain, d’assistance physique ou personnelle – la communication se faisant essentiellement à travers un micro et une caméra placés dans la chambre du patient –, le mental s’étiole et le corps se meurt.

L’isolement peut tuer autant que le virus : sans soutien psychologique, c’est aussi un crime.

Le virus est dangereux ; je ne conteste ni sa virulence ni sa morbidité, mais il n’agit pas seul, il se renforce lorsque les hommes sont déshumanisés et oublient que lorsque la tête va mal, que le spectre de la mort rôde dangereusement, quand la dignité est bafouée et que les soins mécaniques prévalent sur la chaleur humaine ô combien nécessaire pour le malade, alors le combat pour la vie n’a plus de raison d’être.

Je tiens à préciser que mon père était vraisemblablement testé négatif bien avant son affectation à l’étage des laissés-pour-compte. Mais cela est une autre histoire que seul l’appât du gain entre assurances et hôpitaux pourrait expliquer.

Les gestes barrières protègent du virus, certes. Sachons toutefois lever les barrières humaines pour protéger notre santé mentale. Dans la déliquescence de nos droits les plus élémentaires, préservons le peu qui reste de ce qui faisait notre fierté : le capital humain non achetable, non négociable.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

On m’a dit « écris ta colère ». J’ai préféré attendre que la déferlante se calme pour bien peser mes mots. Mais elle ne se calme pas. Elle est toujours là, aussi brûlante qu’au premier instant.Cet instant, marqué au fer rouge dans mon cœur, où suite à mon insistance et sous réserve de ma propre responsabilité on m’a autorisée à entrer dans la chambre...

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