Après des mois d’intenses efforts diplomatiques, principalement sous l’impulsion de la France, le Parlement européen a adopté jeudi, avec 575 voix sur 705, une résolution sur le Liban portant un soutien sans équivoque à la population, au mouvement de contestation né du soulèvement d’octobre 2019 et à la société civile. Ce texte, qui n’a pas de valeur contraignante, est également un message clair adressé au nouveau gouvernement pour que des réformes structurelles soient mises en place au plus vite afin de lancer la coopération internationale et les plans de sauvetage.
Cette nouvelle pression diplomatique exercée sur les responsables libanais intervient alors que malgré les menaces de sanctions de l'Union européenne, les avertissements et les accusations "d'obstruction organisée" ces derniers mois, les dirigeants politiques ont poursuivi leurs habituels marchandages. Début août, le président français, Emmanuel Macron, qui suit de près le dossier libanais, avait alors accusé la classe dirigeante, largement honnie par la rue et ayant survécu à un soulèvement populaire à l'automne 2019, de faire "le pari du pourrissement".
À l’origine de la démarche, le groupe centriste "Renew Europe", qui compte dans ses rangs 23 députés européens "macronistes". "Nous venons aujourd'hui de voter au Parlement européen une résolution que j'ai portée sur la situation au Liban. Par cette résolution, nous montrons notre soutien, nous députés européens, au peuple libanais, a déclaré le député Christophe Grudler, négociateur en chef du texte, dans une vidéo partagée sur son compte Twitter. L'UE est à vos côtés et souhaite la fin de la corruption qui abîme jour après jour votre magnifique pays". "Avec cette résolution, nous souhaitons obtenir des réponses de la part des dirigeants libanais", poursuit-il, affirmant avoir "noté" la formation du gouvernement. "Il était temps après 13 mois !" lance M. Grudler, soulignant que le nouveau cabinet Mikati ne doit "pas perdre le temps, c'est maintenant que les Libanaises et Libanais ont besoin d'un retour des services publics (...)". "Nous appelons également à ce que des enquêtes soient menées en toute indépendance et transparence pour faire la lumière sur ce qui s'est passé exactement sur le port de Beyrouth", poursuit-il en référence à l'explosion du 4 août 2020. Enfin, M. Grudler rappelle qu'il est "indispensable que les élections (législatives) se tiennent bien comme prévu en mai 2022". "Nous veillerons à ce qu'elle ne soient pas décalées, ajoute-t-il. Il en va de la stabilité du pays, à un moment aussi difficile". "Nous, Européens, ne laisserons pas tomber le Liban et nous nous assurerons que les sanctions européennes portent leurs fruits", conclut-il.
Notre résolution du Parlement européen sur le #Liban ?? est adoptée par 575 voix !✅
— Christophe GRUDLER (@GrudlerCh) September 16, 2021
L'Europe envoie un message fort: nous ne laissons pas tomber les Libanais!
Le rétablissement des services publics et la lutte contre la corruption doivent être la priorité absolue.@RenewEurope pic.twitter.com/IjvWdgwxVm
Ce texte émerge au lendemain d’une visite d’eurodéputés sociaux-démocrates au Liban, qui avaient appelé la classe politique à former un gouvernement dans les plus brefs délais. Cette résolution, que L’Orient-Le Jour a pu consulter, s’appuie sur la décision du Conseil européen du 30 juillet dernier, qui crée un cadre pour des sanctions ciblées contre des personnes ou entités au Liban ayant porté atteinte à la démocratie ou à l’État de droit.
La résolution du Parlement européen est non contraignante, mais elle a une valeur politique et symbolique. Celle-ci appelle les États membres de l’UE à poursuivre leur politique de sanctions à l’égard des dirigeants libanais et, pour ce faire, à dresser au plus vite une liste de noms dans ce sens. Elle rappelle aussi "que l’introduction de sanctions ciblées pour avoir entravé ou affaibli le processus politique démocratique reste une option qui pourrait être activée si les acteurs responsables au Liban continuaient à bloquer les réformes et la lutte contre la corruption".
Le texte impute à la classe politique la responsabilité de l’effondrement du Liban à travers son refus du plan de sauvetage, demande au nouveau gouvernement d’effectuer des réformes structurelles au plus vite et appelle à la création d’un tribunal spécial pour traiter les affaires de corruption. Le mot est employé à sept reprises dans la résolution, signe que le Parlement considère la lutte contre la corruption comme le cœur du sujet.
Le Liban s'est doté vendredi dernier d'un nouveau gouvernement dirigé par Nagib Mikati après 13 mois d'attente marqués par d'interminables tractations politiques ayant aggravé une crise économique inédite qui a fait sombrer des millions de libanais dans la pauvreté. La mise en place d'un nouveau cabinet était une condition préalable à l'obtention de l'aide internationale dont le Liban en crise a cruellement besoin, mais reste à savoir si cette équipe sera en mesure de mener à bien les réformes demandées et de sauver le pays de la faillite.
La crise économique inédite que traverse le Liban depuis l'été 2019 n'a eu de cesse de s'aggraver, la Banque mondiale la qualifiant d'une des pires au monde depuis 1850. Avec une inflation galopante et des licenciements massifs, 78% de la population libanaise vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU. Chute libre de la monnaie locale, restrictions bancaires inédites, levée progressive des subventions, pénuries de carburants et de médicaments, le pays est aussi plongé dans le noir depuis plusieurs mois, les coupures de courant culminant jusqu'à plus de 22 heures quotidiennement. De nombreux défis attendent ainsi le prochain gouvernement, notamment la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), avec lequel les pourparlers sont interrompus depuis juillet 2020. Il s'agit pour la communauté internationale d'une étape incontournable pour sortir le Liban de la crise et débloquer d'autres aides substantielles. Jusqu'ici, les pays donateurs se sont contentés de fournir une aide humanitaire d'urgence, sans passer par les institutions officielles du pays, faute d'existence d'un gouvernement réformateur.
C'est dans ce contexte que la résolution "invite les autorités libanaises à reprendre les discussions avec le FMI dans les meilleurs délais (...) et demande instamment aux autorités libanaises de mettre en œuvre les engagements pris précédemment dans le cadre de la conférence économique pour le développement, par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), qui s’est tenue en avril 2018".
Responsabilité particulière du Hezbollah
Le texte de la résolution appelle en outre l’UE à envoyer une mission d’observation au Liban pour contrôler le bon déroulement des élections législatives de 2022, considérées comme décisives pour l’avenir du pays. La résolution reprend aussi l’idée défendue par le député français Gwendal Rouillard de la mise en place d’une task force sous le contrôle des Nations unies afin de permettre l’acheminement de denrées alimentaires, hydrocarbures et médicaments en vue de protéger les droits les plus basiques des Libanais. Ce mécanisme devrait aussi permettre de protéger les organisations humanitaires de la corruption et trouver les moyens d’éviter d’éventuels détournements de fonds.
La résolution mentionne nommément le Hezbollah et "met en avant sa responsabilité particulière, ainsi que celle d'autres parties, dans la répression du mouvement populaire libanais de 2019 et dans la crise politique et économique du Liban". Le texte accuse le parti chiite, du fait de son "allégeance idéologique à l'Iran", de déstabiliser la cohésion gouvernementale. Il demande dans ce cadre "à toute puissance extérieure de s’abstenir de toute immixtion dans les affaires du Liban et de respecter sa souveraineté."
La résolution condamne enfin l'obstruction de l'enquête sur l'explosion dévastatrice du port de Beyrouth et rappelle qu’"une enquête transparente, indépendante, neutre et efficace est une priorité et qu’il faut faire en sorte qu’elle ait lieu". Elle demande aussi "qu’une mission d’information internationale indépendante soit envoyée au Liban, sous les auspices des Nations unies, pour enquêter sur l’explosion de Beyrouth".
L'explosion survenue le 4 août 2020, et imputée de l'aveu même des autorités au stockage sans mesures de précaution d'énormes quantités de nitrate d'ammonium, a fait au moins 214 morts, plus de 6.500 blessés, et dévasté des quartiers entiers de la capitale. Les autorités libanaises, pointées du doigt, ont rejeté d'emblée toute enquête internationale, alors que l'enquête locale continue de piétiner plus d'un an plus tard, dans un contexte de fortes pressions politiques.
commentaires (9)
Et vous croyez vraiment que les sois disants observateurs des elections vint pouvoir se promener librement au sud? Meme la FINUL doit prendre des autotisations pour se promener. Encore une fois cet idiot de Macron a vendu le Liban et les Libanais...
IMB a SPO
18 h 26, le 17 septembre 2021